Lors du grand débat national de 2019, le Président de la République avait formulé le vœu d'un « système où l'on puisse recouvrer beaucoup plus rapidement l'argent auprès des mauvais payeurs » pour mettre fin à l'injustice subie par de nombreux parents – très majoritairement des mères – qui peinent à recevoir la pension alimentaire qui leur est due.
Dans leur rapport préfigurant la création de l'Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (Aripa), l'Inspection générale des affaires sociales, l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des services judiciaires estimaient, en 2016, le taux d'impayés à 35 % – soit 315 000 personnes sur 900 000 parents créanciers. Grâce à la succession des réformes entreprises depuis lors, ce taux avoisine désormais 25 %. C'est une amélioration incontestable, mais ce n'est pas suffisant.
En effet, rappelons que la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, plus couramment nommée pension alimentaire, est un droit, clairement affirmé à l'article 371-2 du code civil, que le parent créancier est fondé à demander au parent débiteur.
La mise en place de l'Aripa, le 1er janvier 2017, a marqué une étape décisive dans l'amélioration du recouvrement des créances et le versement, le cas échéant, des aides sociales adaptées à la situation du parent créancier. Dans une optique de prévention des impayés, et non plus seulement de simples recouvrements, la constitution d'un véritable service public d'intermédiation financière des pensions alimentaires, le 1er juin 2020, a conforté cette avancée.
Néanmoins, étant donné qu'une intermédiation fondée uniquement sur la base du volontariat des parents ne permettait pas une montée en charge suffisamment puissante pour pallier les défaillances des parents débiteurs, nous avons mis en place, depuis le 1er janvier 2023, une intermédiation financière systématique pour la partie en numéraire des pensions alimentaires.
Concrètement, toute pension alimentaire fixée par un titre exécutoire – c'est-à-dire une décision judiciaire ou une convention entre les parents, homologuée par un juge ou par l'organisme débiteur des prestations familiales – est versée automatiquement, par l'intermédiaire de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA), selon la situation des parents.
Le principe de l'intermédiation est donc désormais la norme, sous réserve de deux exceptions : en cas de refus des deux parents, exprimé dans le titre exécutoire et pouvant intervenir à tout moment ; et, à titre exceptionnel, lorsque le juge estime, par décision spécialement motivée, le cas échéant d'office, que la situation de l'une des parties ou les modalités d'exécution de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant sont incompatibles avec sa mise en place.
Lorsque le parent débiteur a fait l'objet d'une plainte ou d'une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l'enfant, l'intermédiation financière est automatique, même en cas de refus du parent violent.
S'il est évidemment prématuré de dresser le bilan de ce dispositif récent, tous les acteurs auditionnés lors des travaux préparatoires ont témoigné de sa très forte montée en puissance. Ils appellent désormais à une consolidation et à une appropriation de l'outil par les différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des parents eux-mêmes ou des avocats.
Le dispositif que je vous présente aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de ces différentes réformes. Il vise à répondre à une situation que nous peinons à quantifier mais qui n'en demeure pas moins réelle : celle des enfants majeurs percevant directement la pension alimentaire de la part du parent débiteur.
Il est difficile d'évaluer le nombre d'enfants majeurs qui perçoivent directement la pension alimentaire puisque ce versement intervient, dans bien des cas, de manière informelle, par un accord oral entre les deux parents, dès lors que le jeune quitte le foyer familial du parent qui en a la charge pour suivre ses études.
Néanmoins, les travaux préparatoires à l'examen de ce texte ont permis d'évaluer que 5 % des cas de médiation familiale assurée par les CAF concernent les relations entre parents et enfants adolescents ou jeunes majeurs. Ces médiations n'ont certes pas toutes pour objet le versement des pensions alimentaires, mais ce chiffre donne, malgré tout, un ordre de grandeur.
Si, dans la majorité des cas, le versement de la pension à l'enfant est donc informel, cette possibilité est toutefois expressément prévue par la loi puisque l'article 373-2-5 du code civil dispose que « le juge peut décider ou les parents convenir que la contribution sera versée en tout ou partie entre les mains de l'enfant », notamment majeur.
Dans cette situation, le versement de la pension alimentaire reste un droit dû au parent créancier et non à l'enfant majeur, qui ne peut d'ailleurs pas solliciter ce versement auprès du juge aux affaires familiales. Par conséquent, en cas de difficulté de versement, c'est toujours le parent qui a la charge principale de l'enfant qui doit engager une procédure pour le recouvrement de la créance puisque la décision qui fixe la pension alimentaire crée une obligation entre les deux parents et non envers l'enfant.
Cette situation peut être délicate pour le jeune majeur devenu autonome qui ne souhaite pas forcément ouvrir un conflit entre ses deux parents mais a néanmoins besoin de sa pension alimentaire mensuelle pour vivre. Je rappelle, en effet, que la pension alimentaire n'est pas qu'une simple obligation alimentaire couvrant les besoins vitaux, telle que définie aux articles 205 et 207 du code civil. Nous parlons bien ici d'un montant suffisamment élevé pour couvrir les besoins d'entretien et d'éducation de l'enfant, comme les frais de scolarité par exemple.
Dans un contexte de soutien au pouvoir d'achat de ces jeunes qui vivent souvent dans la précarité, je souhaite, par cette proposition de loi, leur ouvrir la possibilité de bénéficier de l'intermédiation financière afin de prévenir les situations d'impayés.
L'article 1er de la proposition de loi complète, d'une part, les dispositions du code civil relatives à la situation de l'enfant majeur percevant la pension alimentaire en précisant que l'intermédiation financière, prévue depuis le 1er janvier 2023 pour les parents, est mise en place lorsque la contribution est directement versée à l'enfant majeur. Dans le respect de la notion d'autorité parentale, telle qu'elle est conçue par notre droit, cette intermédiation ne pourra pas être sollicitée directement par l'enfant mais nécessitera l'accord des deux parents ou une décision du juge.
D'autre part, les dispositions relatives au rôle des organismes débiteurs des prestations familiales dans l'intermédiation financière, définies à l'article L.582-1 du code de la sécurité sociale, sont étendues à la situation de l'enfant majeur.
Un décret en Conseil d'État viendra préciser les modalités pratiques d'extension de ce dispositif aux jeunes majeurs afin de préserver, notamment, la spécificité des droits ouverts aux parents débiteurs qui ne pourront pas l'être aux enfants majeurs.
Je vous proposerai, par ailleurs, de différer l'entrée en vigueur du dispositif afin que toutes les parties prenantes puissent s'en saisir et déployer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre opérationnelle.
L'article 2 prévoit, de manière assez habituelle, la compensation financière de la charge que devront supporter les organismes débiteurs des prestations familiales pour financer et déployer, notamment, un nouveau système d'information.
Pour conclure, je tiens à remercier mon amie Anne Reymann, qui m'a inspiré cette proposition de loi. Travaillant à l'université de Strasbourg, elle voit trop souvent, malheureusement, des étudiants en situation de grande précarité.