Je tiens tout d'abord à vous remercier de nous permettre de vous apporter notre vision de la problématique du logement, sous l'angle des collectivités.
Il convient d'abord de souligner l'importance des enjeux de cohésion économique structurelle, environnementale et sociale qui marquent les outre-mer. Une attention particulière doit être portée à la question de l'habitat, au regard de l'ampleur des besoins en logement et de leur impact économique et social sur la vie de nos territoires.
En matière d'accès au logement social, la crise de l'offre de logements décents et abordables se prolonge. Dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), 80 % de la population est éligible au logement social (contre 65 % au sein de l'Hexagone) et 70 % est éligible au logement très social (contre seulement 36 % au sein de l'Hexagone). Dans l'ensemble des outre-mer, l'Union sociale pour l'habitat (USH) évalue le déficit à plus de 110 000 logements. Malgré les efforts engagés depuis plusieurs années et malgré l'action des bailleurs sociaux, la situation du logement social et de l'habitat en général reste préoccupante. Le secteur est ainsi marqué par une forte baisse de l'offre de logements neufs, par la persistance de l'habitat indigne, la faible réhabilitation du parc locatif social, mais également par le retard pris en matière d'aménagement et d'équipement des fonciers constructibles, la faiblesse des moyens des collectivités locales et la hausse des coûts de revient du logement social. Ces problématiques sont exacerbées par la forte évolution de l'inflation que connaissent les outre-mer, qui fait obstacle à l'accès du plus grand nombre à un logement décent. Sur la période 2021-2022, on constate ainsi une baisse de 12 % des logements financés et une baisse de 11 % des logements livrés par rapport à 2016.
Sur le sujet du pilotage des politiques du logement, des défis différents existent dans chaque territoire en raison de ses spécificités géographiques, culturelles et économiques. Si les observations s'avèrent donc difficiles à généraliser, on constate néanmoins un bilan globalement contrasté sur la montée en compétences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans les politiques locales. Bien que celle-ci se soit traduite par une plus grande efficacité dans certains territoires, au sein desquels le dialogue local en matière d'habitat existe historiquement, les politiques locales de l'habitat cherchent encore une cohérence et un portage dans d'autres, en raison de fortes résistances. Afin de concevoir et de mettre en œuvre des politiques efficaces, il est donc essentiel de favoriser une maturation du dialogue local entre les différentes collectivités, mais également entre les collectivités et l'ensemble des acteurs du secteur de l'habitat. L'échelon pertinent de gouvernance à retenir pour le logement nous semble être le niveau intercommunal, dans la mesure où les plans locaux d'habitat (PLH) y sont obligatoires et où ce sont les EPCI qui possèdent la compétence aménagement, eau et assainissement. Les EPCI assurent une coordination et une collaboration entre les différentes entités locales, qui permettent de mieux répondre aux besoins en logement de la population. L'efficacité des cadres de référence repose cependant sur leur nécessaire adaptation aux réalités spécifiques de chaque territoire, tout comme il est indispensable de s'assurer que la gestion globale ne desserve pas certaines communes au sein même de l'EPCI.
Sur la question de la production de logements, il est possible d'identifier à la fois des obstacles à la construction et à la réhabilitation des logements sociaux et des réponses à apporter aux besoins des populations.
Certaines mesures spécifiques rencontrent des retards dans leur mise en place. On peut citer la simplification et l'adaptation des normes liées à l'acte de construire, incluant des délais relatifs au temps d'étude (loi sur l'eau ou fouilles archéologiques) qui s'étendent jusqu'à trois ou quatre ans dans nos territoires. Il est donc urgent de lancer une simplification des normes ainsi que la mise en œuvre des normes RUP (régions ultrapériphériques) prévues par le Comité interministériel des outre-mer (Ciom).
On peut également citer le manque d'outils permettant de suivre le déploiement du plan au niveau de chaque territoire et de procéder à une évaluation à la fois qualitative et quantitative pour chacun.
La faible disponibilité de foncier à aménager et à équiper représente, en outre, une contrainte importante pour les politiques publiques. À cette problématique s'ajoutent celle des indivisions et celle des zones inconstructibles, car la forte demande se heurte à une offre insuffisante, en particulier dans le logement intermédiaire.
La construction de logements sociaux rencontre d'importants retards, dus notamment à un manque de soutien fiscal aux collectivités territoriales et à un manque d'équilibre entre les recettes et les dépenses induites des acteurs du secteur. Sur ce sujet, nous approuvons la proposition de M. Maurice Gironcel, président de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (Cinor), qui suggère que la politique de sanction à l'encontre des collectivités qui ne construisent pas assez de logements sociaux soit couplée avec une politique de récompense financière ou fiscale pour celles qui remplissent leurs objectifs. Cela permettrait d'induire des comportements vertueux au sein de certaines collectivités, qui préfèrent aujourd'hui faire le choix d'anticiper la sanction financière dans leurs budgets.
Nous déplorons par ailleurs la centralité du pilotage du plan depuis Paris, alors même que l'objectif initial était celui d'un pilotage en partenariat avec les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités de chaque territoire.
Quant à l'augmentation des prix, qui s'accélère depuis ces deux dernières années, elle a pour effet une multiplication des appels d'offres déclarés infructueux ainsi que la prolifération de chantiers abandonnés avant leur terme, aussi bien dans le secteur du logement social que dans celui du logement privé. La fédération du BTP demande d'ailleurs que soit actée, de la même façon qu'en Guyane, une exonération de charges renforcée afin de permettre une remise à niveau. S'ajoutent à cela l'augmentation des délais d'approvisionnement en matériaux de construction et des prix unitaires, qui ne permettent plus de tenir les délais et budgets de chantier ; avec pour conséquences un allongement des délais de livraison des programmes et des coûts de sortie des opérations neuves désormais incompatibles avec les ressources de nombreux ménages. Il est important de rappeler que les besoins en logement en outre-mer sont essentiellement sociaux et très sociaux, en raison du coût de la vie et des faibles revenus des ménages.
Si nous tenons à saluer l'annonce faite par le Premier ministre, le 14 février 2024, concernant la simplification et les investissements qui vont être engagés pour 22 territoires français dont La Réunion, Mayotte et la Guyane, nous estimons que ces mesures, qui concernent 25 % d'un total de trente mille logements en trois ans, sont insuffisantes au regard des besoins réels.
À la lumière des éléments que je viens de vous présenter, il semble plus opportun d'engager des chantiers de rénovation que de construction. Les difficultés induites par le millefeuille administratif rendent impérieuse la simplification des procédures. Nous demandons également une augmentation et une facilitation sur la ligne budgétaire unique (LBU) pour les départements qui souffrent d'un fort déficit de logements, particulièrement Mayotte et la Guyane.
Sur la question des outils et selon les chiffres de l'USH, une vingtaine d'organismes interviennent dans le domaine du logement social en outre-mer, parmi lesquels treize sociétés d'économie mixte (SEM) immobilières et neuf organismes HLM. En 2019, le chiffre d'affaires de ces organismes était de 868 millions d'euros, pour plus de dix mille emplois par an. Du fait de la baisse des subventions et de la mise en œuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS), l'équilibre économique des opérations s'est dégradé au fil du temps. Par ailleurs, du fait de la non-revalorisation, pendant plusieurs années, du barème des APL, les loyers de sortie sont aujourd'hui trop élevés pour permettre aux ménages les plus modestes d'accéder à des logements neufs. Nous estimons préférable de consolider les opérateurs déjà existants, qui disposent d'une bonne connaissance des territoires ultramarins, plutôt que de faire appel à de nouveaux intervenants.
On trouve, en outre, des exemples de réussite parmi les opérations de regroupement des organismes. La reprise des parts de Siguy, SEM immobilière guyanaise qui se trouvait en grande difficulté financière, par la société immobilière de Kourou, est notamment saluée par les collectivités concernées.
Sur la question de la fiscalité applicable à la construction en outre-mer, le taux de TVA réduit à 2,1 % est satisfaisant.
Il est également nécessaire d'aborder la problématique centrale du foncier et des territoires au sein desquels des zones entières se retrouvent quasiment inconstructibles, majoritairement du fait de la zéro artificialisation nette (ZAN). En Guyane, par exemple, l'État, qui détient une grande majorité des terres, se doit de libérer certaines zones au profit des collectivités afin de permettre la construction de logements.
Si l'efficacité des nombreux dispositifs fiscaux doit être renforcée, il est également nécessaire de veiller à limiter les effets d'aubaine, d'assurer leur simplification et également de garantir des produits diversifiés. Il est par ailleurs essentiel de mettre en place des mesures en faveur de l'accession des habitants de nos territoires à la propriété.
Nous avons également été interrogés sur le parc de logements existants. Bien que le développement des locations saisonnières soit notable sur l'ensemble de nos territoires, nous déplorons, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, le manque de données concernant l'outre-mer. Nous suggérons de rendre obligatoire la déclaration à la mairie des logements vacants utilisés comme location saisonnière, la mise en place d'une taxe sur cette activité, ainsi que d'une taxe en cas de non-occupation des logements durant, par exemple, plus de 50 % des nuitées annuelles. Cela permettrait, d'une part, de quantifier le parc de logements réellement vacants et, d'autre part, de limiter les potentiels abus des propriétaires qui mettraient leur logement en location saisonnière uniquement pour éviter la taxe sur les logements vacants en zone tendue. Je rappelle d'ailleurs que tous les territoires d'outre-mer sont en zone tendue. En dehors des nouvelles constructions, que les mairies peuvent quantifier grâce aux demandes de permis de construire, les collectivités ne disposent d'aucune visibilité sur le parc de logements privés et ne peuvent effectuer aucun contrôle sur les prix des loyers ou des transactions. En Guyane, par exemple, les fonctionnaires achètent des biens pour la durée de leur mission et les revendent après seulement quelques années, provoquant ainsi une hausse substantielle des prix sur le marché.
Sur le vaste sujet de l'adaptation du parc de logements à de nouveaux besoins, nous proposons également des pistes de réflexion. Pour tenir compte des habitudes culturelles spécifiques à l'outre-mer, du fait desquelles les personnes âgées privilégient le maintien à domicile, il est nécessaire de développer des outils pour adapter les logements, les parties communes et les espaces extérieurs au vieillissement et à la perte d'autonomie. Une piste à considérer pourrait être le développement de solutions nouvelles adaptées, intégrées dans une programmation mixte. Au-delà de la partie immobilière, la partie « Services » est essentielle et doit pouvoir s'appuyer sur un écosystème d'acteurs en lien les uns avec les autres. Les bailleurs sont ainsi fortement encouragés à développer des stratégies transversales en lien avec les partenaires du territoire.
Sur la question de l'emploi, la répartition des logements sur le territoire est inégale, aussi bien dans les Antilles qu'à La Réunion. Les communes en déficit de logements sont celles qui recensent le plus grand nombre d'emplois, tandis que les communes correctement équipées en logements souffrent du manque d'activité économique. Les habitants sont ainsi fréquemment contraints à l'exil au sein de communes dortoirs, et les conséquences sur les réseaux routiers comme sur le pouvoir d'achat des ménages s'observent au quotidien. En 2023, le nombre de demandes en attente pour un logement s'élève, dans les Drom, à 89 847, pour 11 489 attributions. Une partie des ménages ne trouve donc pas de solution adaptée à sa situation d'emploi, particulièrement au sein des zones les plus tendues où l'activité économique est la plus dynamique et l'offre de logement la plus notoirement insuffisante.
Le prêt à taux zéro est un dispositif clé pour les ménages à revenus modestes, en ce qu'il permet de faciliter la constitution de leur apport personnel et, par le mécanisme du différé, de mieux les solvabiliser. Il a cependant, faute d'actualisation annuelle des plafonds, largement perdu en efficacité. Si les annonces récentes du Gouvernement vont dans le bon sens, une révision de la composition familiale pourrait s'avérer profitable.
Si le bail réel solidaire (BRS) trouve progressivement sa place parmi les dispositifs d'accession sociale, le mécanisme de dissociation foncier/bâti ne saurait cependant se substituer aux politiques foncières des collectivités locales. Les conditions d'agrément des organismes fonciers solidaires par les services de l'État doivent faire l'objet d'une attention particulière, la pertinence économique et sociale des porteurs de projet n'étant aujourd'hui pas suffisamment analysée. Un seul organisme foncier solidaire, situé en Guadeloupe, est aujourd'hui agréé en outre-mer.