Je vous remercie, monsieur le président, de me donner la parole pour remettre en perspective ce débat. Je n'ai malheureusement pas pu assister à vos travaux hier car j'étais avec le Président de la République en Tchéquie – un pays membre, comme vous le savez, de l'Alliance européenne du nucléaire, créée par ma prédécesseure Mme Agnès Pannier-Runacher. Outre la promotion du nucléaire en Europe, j'ai eu l'occasion d'y évoquer la possible exportation de nos réacteurs pressurisés européens (EPR) ainsi que la coopération dans le domaine de la sûreté, un sujet qui nous intéresse au premier plan.
Derrière la suppression hier de l'article 1er du texte, qui pose le principe même de la fusion, il y a selon moi deux types d'opposition. Certains sont contre le nucléaire ; ils étaient contre la création de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et s'opposeraient de la même façon à une réforme de la gouvernance que nous proposerions dans quinze ans. D'autres se posent des questions légitimes sur les conditions de mise en œuvre de la réforme. J'espère pouvoir répondre à l'ensemble de leurs questions. Le Gouvernement proposera de réintroduire l'article 1er en séance publique dès la semaine prochaine mais, à ce stade, il nous paraît indispensable de poursuivre la discussion sur l'ensemble des autres articles.
Une première proposition de réforme n'avait pas été adoptée par l'Assemblée nationale l'année dernière. Depuis, nous avons pris le temps de travailler avec vous pour, je l'espère, trouver un terrain d'entente sur l'ensemble des sujets. Je souhaite en premier lieu saluer les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Je remercie en particulier MM. Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir qui ont étudié en détail l'opportunité et les modalités du rapprochement, livrant un rapport complet et pédagogique. Je profite de l'occasion pour saluer les travaux du Sénat, notamment des rapporteurs MM. Patrick Chaize et Pascal Martin. Je remercie enfin les membres de la commission des affaires économiques, qui ont examiné certains articles au fond et d'autres pour avis il y a deux jours, ainsi que l'ensemble des commissaires présents aujourd'hui.
Pourquoi faut-il une nouvelle organisation ? Vous le savez, nous entrons dans une nouvelle ère. Nous avons devant nous vingt ans de relance du nucléaire, comme l'exposait le Président de la République à Belfort il y a presque deux ans jour pour jour. Grand carénage, EPR 2, petits réacteurs modulaires (SMR), réacteurs innovants, recherche et développement, cycle du combustible : nous nous inscrivons dans une démarche de relance complète. Nous sommes convaincus que celle-ci est un élément essentiel de la réindustrialisation de la France et pour la souveraineté européenne. Elle nous permettra de faire de notre pays la première puissance décarbonée au monde et de placer l'Europe au premier rang.
Nous sommes face à des défis gigantesques : il nous faut continuer de nous assurer de la sûreté des centrales nucléaires existantes, prolonger leur durée de vie de façon sûre et développer le nouveau nucléaire avec cette même exigence. Ce projet de loi permet selon nous de relever ces défis et d'améliorer l'efficacité des moyens que l'État engage dans la relance du nucléaire. C'est pourquoi il me semble que si l'on défend une politique nucléaire souveraine aujourd'hui, on doit être favorable à cette réforme – dont les détails peuvent néanmoins être discutés.
Pourquoi voulons-nous cette réforme ? Nous souhaitons accélérer les procédures et les simplifier, afin que l'entité soit dimensionnée pour gérer l'inflation probable du nombre de dossiers et l'intensification des contrôles. Nous souhaitons également concentrer nos talents : nos experts de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sont rares et travaillent dans des métiers en tension. Nous devons leur donner envie de rester en leur permettant de passer, au cours de leur carrière, du contrôle à l'expertise et inversement. Ces passages entre les deux entités existent déjà aujourd'hui, mais ils seront clairement facilités au sein d'une même institution. Enfin, nous souhaitons qu'une organisation optimale permette à l'entité nouvellement créée de se concentrer sur la sûreté plutôt que de se disperser dans des tâches administratives ou de coordination entre structures.
Ce texte s'inscrit aussi dans la logique de simplification que nous déployons depuis deux ans dans le cadre notamment de la loi relative à l'industrie verte, que j'ai eu l'honneur de défendre, et du projet de loi de simplification à venir.
Nous souhaitons évidemment mettre en œuvre ce rapprochement en conservant le niveau de sûreté exigeant qui est déjà le nôtre. Nous recherchons l'excellence dans toutes les activités importantes pour la sûreté nucléaire du parc. Je pense parler en votre nom à tous et à toutes : personne n'est contre la sûreté, évidemment. Imaginer que l'on veuille cette nouvelle autorité pour baisser la garde ou pour mettre sous cloche l'indépendance n'a aucun sens.
Nous souhaitons donc garder l'essentiel de l'existant – notamment la transparence, la rigueur et les compétences –, qui n'a pas démérité Mais nous souhaitons aussi une institution plus puissante, plus efficace, plus indépendante et plus transparente. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) quittera la tutelle du Gouvernement pour s'intégrer à une autorité indépendante. L'indépendance vis-à-vis des exploitants sera renforcée grâce à des règles de déontologie strictes et rigoureusement appliquées.
La transparence vis-à-vis du public sera améliorée grâce aux informations mises à sa disposition. Elle ne sera en rien diminuée par le regroupement des activités de l'ASN et de l'IRSN, qui permettra au contraire une communication plus lisible et une information plus structurée. Je vais dire tout haut ce que les gens pensent tout bas : la publication d'avis dans les jours qui suivent leur transmission à l'autorité n'est pas un gain pour la transparence ; elle peut au contraire, sauf exception, introduire de la confusion.
Pour renforcer l'attractivité des métiers, un article du projet de loi prévoit une augmentation de la rémunération des contractuels de droit public en 2024 et la bonification des parcours de carrière. Nous souhaitons enfin assurer une culture de l'excellence, reposant sur des compétences fortes et sur un socle de recherche ambitieux et partenarial : les activités de recherche actuellement conduites par l'IRSN se poursuivront évidemment au sein de la future entité.
Je voudrais, pour conclure, insister sur un point qui me semble essentiel. Comme vous sans doute, j'ai vécu au cours de ma carrière des fusions – certaines réussies, d'autres moins. Je respecte profondément le travail parlementaire mais je suis aussi convaincu qu'une fois que ce projet de loi sera adopté, s'il l'est, le travail ne fera que commencer. Le suivi que nous ferons du travail de coordination, de préparation et de préfiguration de la fusion, dont le projet de loi prévoit la mise en œuvre dès le début de l'année 2025, sera tout aussi important que ce qui nous occupe aujourd'hui. Je m'engage devant vous à m'y impliquer de très près afin que cette fusion, une fois votée, je l'espère, par votre assemblée et par le Sénat en lecture définitive, soit mise en œuvre de manière efficace au bénéfice de tous et de toutes.