Intervention de Aurore Bergé

Réunion du mardi 5 mars 2024 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Aurore Bergé, ministre déléguée :

La budgétisation intégrant l'égalité est essentielle, parce qu'elle permettrait d'objectiver ce qui a été fait dans chacun des ministères – par la police, la justice, l'enseignement supérieur, l'éducation nationale ou la santé… –, et ce qui reste à faire. En vérité, tous mes collègues y gagneraient. Vous avez bien fait de rappeler la mission conjointe de l'IGAS et l'IGF en cours. En effet, l'opération n'est pas si simple à réaliser : que faut-il mesurer ? quels sont les indicateurs justes et pertinents ? La mission dévoilera ses conclusions au printemps et j'invite, j'incite et j'engage l'ensemble des membres du Gouvernement à suivre ses recommandations. Certains départements ministériels ont un peu d'avance, comme le logement, qui a rapidement mis en place avec transparence la manière dont les hébergements d'urgence sont attribués aux femmes. Ce sera un atout pour tout le monde de mieux savoir et connaître. Par exemple, en matière de marchés publics, l'État et ses opérateurs achètent annuellement pour 41,7 milliards d'euros ; ils peuvent donc avoir un rôle d'avant-garde à jouer, vous l'avez rappelé.

Au sujet de l'aide universelle d'urgence, je le réaffirme : pour les 12 228 bénéficiaires, pas un euro ne manquera pour garantir à toutes les femmes qui en ont besoin qu'elles pourront y recourir. Il y a sans doute eu un effet de rattrapage au début – des femmes victimes depuis longtemps ont réclamé cette aide –, mais le volume aujourd'hui est à peu près constant. Nous verrons s'il se maintient dans les prochains mois. Comme vous, je souhaiterais que moins de femmes en aient besoin, mais si cela leur permet effectivement de partir sans éprouver de difficultés supplémentaires liées au manque de moyens, de franchir ce pas essentiel et vital, alors nous poursuivrons.

À propos de la confrontation judiciaire que mentionne Sandrine Josso – à qui j'adresse toute mon amitié et mon soutien –, s'il est nécessaire que le principe du contradictoire prévale, il y a aussi un enjeu d'accompagnement des femmes dans leur parcours. Nous avons discuté avec le garde des Sceaux des moyens à mettre en œuvre pour garantir aux victimes – qui ont eu le courage de porter plainte et de témoigner, alors qu'elles savent que la question du probatoire est toujours délicate dans les affaires de violences sexistes et sexuelles – une meilleure prise en charge face aux aléas qui peuvent survenir lors de l'audition ou une meilleure organisation. Il y a sans doute des manières par lesquelles encore mieux sécuriser leur parcours.

L'ensemble des dispositifs mis en place doit être évalué, je l'ai dit également à Stéphane Viry. Je crois à la vertu de la confrontation positive, qui doit exister, entre les forces de l'ordre, les procureurs et les associations. Je crois également à la vertu des retakes. Ce n'est pas exactement notre culture, mais je crois qu'il est important, lorsqu'un féminicide se produit, d'organiser des retakes afin de savoir s'il y a eu ou non des manquements. Il ne s'agit pas d'inquisition, mais de savoir comment améliorer les capacités d'accueil des femmes, la prise en charge de leur parole, leur accompagnement et la coordination entre les différents services.

Les violences sont multiples, ce ne sont pas seulement des coups, ce sont aussi l'humiliation, l'inspection d'un téléphone portable, la lecture insidieuse des messages – en somme, le contrôle de la vie de la compagne. Aujourd'hui, les logiciels de traque existent, malheureusement, mais ceux qui permettent de les détecter et de garantir que l'on n'est pas fliqué ou contrôlé aussi. J'avais eu l'opportunité de le constater à la maison de protection des familles à Bois-d'Arcy où les gendarmes, en lien avec La Poste, renseignaient les femmes. J'espère que ce travail aura beaucoup plus d'écho et que dans toutes les maisons de protection des familles, dans toutes nos gendarmeries et dans tous nos commissariats, les femmes apprendront l'existence de ces dispositifs. En matière de violences conjugales, on ne pense pas forcément immédiatement à de telles intrusions, mais elles constituent une forme de violence et d'emprise que l'on doit pouvoir éviter.

À propos de l'endométriose, je crois que, malheureusement, si je faisais un sondage auprès des femmes présentes dans cette salle, toutes confirmeraient avoir déjà entendu la phrase : « C'est normal d'avoir mal ». Peut-être l'avons-nous même entendue dans nos propres familles, parce que c'est une phrase qu'on a entendue génération après génération. Non, ce n'est pas normal d'avoir mal et il n'est pas normal non plus que l'errance diagnostique ait pu durer sept ans. Les choses ont heureusement profondément évolué concernant la détection, le repérage, le parcours et l'accompagnement de celles qui souffrent de cette pathologie. Nous aurons l'occasion de nous exprimer à nouveau sur ce sujet à la fin du mois, puisqu'une journée de sensibilisation lui sera dédiée. D'autres annonces interministérielles pourront être faites à ce moment. Je réserve donc ma réponse jusqu'à cette date.

Les Maisons des femmes souffrent d'un manque de coordination : dans certains départements il n'y en a aucune, alors que dans d'autres il y en a plusieurs. Au moment du pilotage, de l'organisation et du maillage territorial, il faut se demander si une collectivité territoriale doit avoir la charge du pilotage. Il ne serait pas tout à fait inutile qu'il existe une coordination entre préfets, ARS (agence régionale de santé) et départements, parce qu'il faut une approche globale pour les femmes en matière de santé et de violences : quand on vient dans une maison des femmes pour un enjeu de santé, on est évidemment accompagnée sur le sujet des violences. La coordination est donc importante.

Certes, le dernier rapport du HCEFH n'est pas réjouissant, mais s'il met en garde contre notre tendance à nous reposer sur l'idée que tout cela relèverait d'un fait générationnel et qu'une nouvelle génération permettrait d'embrasser l'égalité de manière naturelle, il a le mérite de rappeler que l'égalité demeure un combat permanent.

Il faut garantir que tous les dispositifs qui sont mis en place dans l'Hexagone et dans l'outre-mer soient accessibles à toutes les Françaises, y compris celles installées à l'étranger. Il y a donc encore du chemin à parcourir parce qu'il est sûrement encore plus difficile de détecter et repérer les violences subies au-delà des frontières, comme de quitter un conjoint violent lorsque l'on a tout laissé derrière soi pour le suivre. Il y a un gros engagement des entreprises concernant la mobilité professionnelle. Pour en avoir discuté avec elles, elles essaient aujourd'hui de réaliser ce travail de repérage et de détection, qu'elles avaient notamment effectué pendant le confinement, lorsque des femmes affirmaient, non pas être victimes de violences, mais avoir très envie de revenir au sein de l'entreprise. Cela avait déclenché des alertes. Ces femmes doivent être prioritaires en matière de mobilité professionnelle. C'est aussi un engagement que l'État doit prendre.

Je me souviens que la première réunion politique à laquelle j'avais assisté avait pour objet le statut de l'élu – je ne suis certes pas âgée, mais c'était il y a quelque temps déjà. Il y a encore du chemin à parcourir. Personnellement, je ne pense pas que revenir au cumul des mandats aiderait les femmes, je pense même que cela pourrait avoir l'effet inverse – je ne fais que livrer ma conviction personnelle. Il existe beaucoup de freins à l'engagement – associatif, syndical ou politique – qui mériteraient d'être levés. Je le répète, ce n'est pas de l'autocensure, mais nous vivons dans une société qui n'a pas été pensée et structurée pour accueillir des femmes dans des filières dans lesquelles elles n'étaient pas attendues et dans lesquelles elles ont pu être vues, au début, comme des intruses. Aujourd'hui, nous sommes là et nous comptons bien rester. Je laisse le mot de conclusion à Roselyne Bachelot qui disait qu'un jour la parité protégerait les hommes. Peut-être y arriverons-nous.

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