Intervention de Aurore Bergé

Réunion du mardi 5 mars 2024 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Aurore Bergé, ministre déléguée :

Vous avez conclu, Madame la députée, par les mots de Judith Godrèche, qui nous a interpellés lors de la cérémonie des Césars – « je parle, je parle et je ne vous entends pas » ; ce sont les mêmes mots qu'auraient pu employer beaucoup de femmes israéliennes après les massacres du 7 octobre. En fait, c'est ce qu'elles m'ont dit lorsque je les ai reçues. Elles ont été des témoins directs des mutilations et des viols qui ont été perpétrés de manière systématique à l'encontre des femmes, le 7 octobre dernier en Israël. L'une d'entre elles m'a fait la remarque : « #MeToo est donc pour tout le monde, sauf pour les Juives ». Je vous assure que ce genre de propos saisit et j'espère qu'il remet les pendules à l'heure pour tout le monde. Je ne retire rien des déclarations que j'ai faites, parce que c'est le silence que ces femmes ont d'abord entendu. Or, personne ne doit demeurer silencieux face à ce type de violence : des viols, des viols post mortem, des viols collectifs. On a retrouvé des armes insérées dans le vagin de femmes. Voilà concrètement ce que ces femmes ont subi. Elles ont interpelé le monde entier et ont eu l'impression qu'il n'avait rien à leur opposer que le silence.

J'ai réagi parce que je suis ministre de l'égalité entre les femmes et les hommes : on ne choisit ni ses victimes ni ses bourreaux, tout simplement. À partir du moment où de l'argent public est engagé, il est légitime et nécessaire que l'État français garantisse que pas un euro d'argent public n'aille à des associations qui, selon les termes utilisés une nouvelle fois par Judith Butler aujourd'hui, auraient présenté le Hamas comme un mouvement de résistance. Elle, qui est souvent citée comme référence des études de genre et du féminisme, se disqualifie, à mon avis, en osant dire que, face aux mutilations, aux viols et aux exactions commises, certaines femmes seraient moins victimes que d'autres, parce qu'elles seraient du mauvais côté. Les associations peuvent me critiquer, et le Gouvernement avec, autant qu'elles le veulent sans risquer de subir de quelconques représailles. Au contraire, je serai la garante de leur liberté démocratique évidente de ton et d'expression, mais je crois que nous devons être aux côtés de toutes les femmes victimes. Je trouve plutôt rassurant, une fois l'examen réalisé, qu'aucune association financée par l'État n'ait tenu de propos problématiques.

Les 125 000 femmes en France ayant été victimes d'excision sont le plus souvent étrangères ou, parce qu'elles vivent en France, se retrouvent condamnées à retourner dans leur pays d'origine pour y subir des mutilations. Ces violences ne sont heureusement pas commises sur notre sol. J'ai réuni récemment des gynécologues spécialistes de la réparation de ces femmes, et des associations qui s'engagent énormément pour cette cause, comme Les Orchidées rouges, que nous finançons et que nous soutenons. Nous prenons en charge financièrement la réparation des femmes qui ont subi ce type de mutilations sexuelles, évidemment gravissimes. Nous menons également des campagnes d'information massives en direction des familles, et nous souhaitons, avec la ministre de l'éducation, pleinement intégrer cette question au programme Vie affective à l'école, afin que partout nos enfants, même les plus jeunes, entendent parler de leurs droits et du respect de l'intégrité de leur corps. Ce sont enfin des formations que nous menons avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour rappeler systématiquement aux femmes et hommes arrivant dans notre pays nos règles, nos valeurs et que, s'ils ne les respectent pas, le droit et la loi s'opposeront à eux, leur interdisant d'infliger de quelconques mutilations à leurs enfants. Nous agissons de manière très déterminée et la France a toujours été à l'avant-garde du combat contre les mutilations infligées aux femmes.

Concernant la prostitution j'ai annoncé dès ma nomination, reprendre le travail de mes prédécesseurs sous la forme d'une stratégie que nous présenterons au printemps. Elle concernera non seulement les majeurs, mais aussi les mineurs : aujourd'hui, 13 % des femmes sont des mineures. Dans chaque département, se tiennent des réunions entre les instances concernées pour garantir le parcours de sortie de ces femmes de la prostitution, en intervenant au stade du repérage, en leur assurant un accompagnement financier et en veillant à leur reconversion. Anne-Cécile Violland a raison d'insister sur le sujet très spécifique des enfants protégés et issus de l'ASE qui sont souvent des proies pour des prédateurs et le système prostitutionnel.

À propos du sujet de la santé et de l'accès aux soins, j'ai toujours dit que la constitutionnalisation de l'accès à l'IVG n'est pas pour solde de tout compte. Elle n'efface pas les difficultés que rencontrent encore aujourd'hui en France des femmes pour avorter, en particulier dans les zones rurales parce que la démographie médicale est compliquée et que l'on manque de praticiens. Depuis 2017, nous n'avons eu de cesse de faire monter en compétence d'autres professions médicales, notamment les sages-femmes en les autorisant à continuer de pratiquer après le confinement l'IVG médicamenteuse jusqu'à sept semaines. Nous devons revoir le décret du 16 décembre 2023 qui est bien trop restrictif et non conforme à la volonté des parlementaires – je le sais puisque j'ai été députée. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention, s'est engagé, pas plus tard que cet après-midi en répondant à un de vos collègues, à revoir ce décret. Les sages-femmes méritent évidemment notre respect et notre reconnaissance. L'enjeu est d'offrir un parcours sûr et en aucun cas au rabais – ce que garantissent les sages-femmes.

Concernant la double clause de conscience, je considère qu'une seule clause suffit, parce que l'IVG, que beaucoup considèrent comme un acte sortant de l'ordinaire, doit pleinement devenir un acte médical. C'est ma conviction personnelle. La clause de conscience doit continuer de prévaloir et aucun professionnel de santé ne doit être forcé à pratiquer un acte alors qu'il ne le souhaite pas. Par contre, le professionnel de santé qui ne souhaite pas pratiquer l'IVG doit immédiatement réorienter la femme qui s'adresse à lui pour éviter qu'elle se retrouve hors des délais. Ces situations d'entrave existent malheureusement, notamment en ligne. C'est pour cela que je vais recevoir les moteurs de recherche sur Internet, en particulier Google, parce qu'il y a des enjeux majeurs liés au référencement. On doit garantir l'accès à de l'information, non à de la désinformation, aux femmes qui souhaitent exercer ce qui est désormais une liberté fondamentale inscrite dans notre Constitution.

La nouvelle mission sur les violences sexistes et sexuelles que nous souhaitons lancer ne vise pas à parler d'autre chose. Un certain nombre d'alertes émises par des femmes, mais aussi par des hommes qui, avec #MeTooGarçons, lèvent un tabou supplémentaire et dont je veux saluer le courage, émanent de milieux caractérisés par une hiérarchie très marquée qui laisse s'exprimer une domination, parfois même une toute-puissance – celle d'un réalisateur sur un plateau ou d'un entraîneur sportif qui décide de la participation à une compétition ou de changer une vie. Dans tous ces secteurs, des contre-pouvoirs et des régulations doivent exister. L'Assemblée nationale elle-même s'est interrogée : le rapport entre un assistant ou une assistante parlementaire et un parlementaire n'est pas un rapport d'égalité, pour des raisons évidentes. Nous avons malheureusement connu de tels systèmes, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, et nous avons essayé de mettre en place des garde-fous, des contre-pouvoirs et des cellules antiharcèlement. Peut-être méritent-ils d'être renforcés, mais ils témoignent de notre propre interrogation sur la manière d'instaurer des règles partout où des situations hiérarchiques peuvent conduire à des abus de pouvoir.

Dès mon entrée au Gouvernement, j'ai milité pour une réforme du congé parental, parce qu'il n'est actuellement pas équitable entre les femmes et les hommes : si 14 % des femmes y ont recours, moins de 1 % des hommes l'utilisent. Notamment parce que le congé était très mal indemnisé : 429 euros mensuels maximum. Quand vous gagnez 2 000 ou 3 000 euros et que vous venez d'avoir un enfant – ce qui est coûteux –, vous ne pouvez pas vous arrêter, sauf à avoir très peu d'écart de revenus ou énormément d'épargne. Il y avait un grand nombre de Français qui auraient aimé s'arrêter, mais qui ne le pouvaient pas et, à l'inverse – levons ce tabou –, des femmes qui auraient aimé s'arrêter pendant une période plus courte, mais qui n'ont pas pu, faute de mode de garde. Il faut à la fois renforcer les modes de garde, pour conserver la liberté de choix des parents, et garantir, si l'on souhaite s'arrêter, de bonnes conditions matérielles et financières, d'où le congé de naissance, de plusieurs mois, qui sera indemnisé non plus à hauteur de 429 euros, mais jusqu'à 1 800 euros. Il pourra être pris par chacun des parents ou les deux, en même temps ou successivement, à temps plein ou à temps partiel – l'idée étant de laisser la plus grande liberté possible. Par le passé, quand certains ont essayé d'adjoindre une logique coercitive, cela n'a pas fonctionné. Le nombre de recours au congé parental a été divisé par deux. Les chiffres sont éloquents : cela n'a pas permis une meilleure répartition des rôles et des tâches, ni même une meilleure égalité entre les femmes et les hommes, cela a même plutôt conduit à l'inverse.

Ma propre conviction n'est pas faite à propos du congé paternité, quant à savoir s'il faut le rendre obligatoire ou non. Il a été élargi et sept jours sont déjà obligatoires. L'avantage est qu'aujourd'hui le taux de recours au congé paternité est très élevé – plus de 70 % – et il continue de progresser, mais vous avez des écarts très importants. Je schématise, les cadres sont nombreux à avoir recours au congé paternité parce qu'il est valorisé socialement ; en revanche la proportion est beaucoup plus faible chez les employés ou les ouvriers. De ce point de vue, cela peut avoir un avantage de le rendre obligatoire, mais j'ai peur que, en utilisant la contrainte et en s'immisçant dans la vie des familles, on n'aboutisse à des effets inverses. Il est compliqué d'obliger celui qui ne veut pas s'arrêter. De la même manière, je veux qu'on laisse aux femmes le plus de liberté possible. Quand j'ai eu le bonheur d'être enceinte tout en étant présidente de groupe, j'ai entendu tout et son contraire : je revenais trop vite ou trop tard, mais je ne prenais jamais la bonne décision. J'aime l'idée qu'on laisse beaucoup de liberté de choix aux parents, père ou mère, et qu'on ne les culpabilise ni quand ils s'arrêtent ni quand ils ne s'arrêtent pas. C'est pour cela que je n'ai pas d'opinion définitive à ce sujet et les propositions de loi que vous déposerez seront l'occasion d'en débattre.

À propos de la mixité des métiers, de l'égalité professionnelle et de la lutte contre les stéréotypes de genre, nous souhaitons continuer à opérer à la racine. Une étude très récente a montré que le décrochage en mathématiques concerne non pas les jeunes filles, mais les petites filles : c'est entre le CP et le CE1 que le décrochage est le plus puissant. Cela veut dire qu'il y a un enjeu autour de la formation de nos enseignants et que l'on continue, parfois à cause de biais que l'on ignore soi-même et que l'on continue de répéter – parce qu'ils sont très ancrés en nous –, de s'adresser différemment à un garçon ou à une fille et d'attendre différents comportements selon le sexe. Résultat : il y a un décrochage très significatif, non pas au collège ou au lycée, mais dès le CP et le CE1. Il faut donc lutter dès le départ contre les stéréotypes et œuvrer pour davantage de mixité, j'y crois beaucoup. Comment arrive-t-on à construire des imaginaires pour nos enfants dans les deux sens ? Autrement dit, il ne faut pas seulement dire à des petites filles qu'elles peuvent devenir ingénieures, mais aussi expliquer à des petits garçons que les métiers dans lesquels les femmes sont surreprésentées, tels que les métiers du lien, du soin ou de l'accompagnement, ne sont pas des métiers par essence féminins. De même qu'il n'existe pas de qualités ou défauts intrinsèquement masculins ou féminins, il n'y a pas de métiers féminins ou masculins, mais des représentations très répandues. Or, ce sont elles qui sont les plus difficiles à changer.

Sur le sujet des métiers scientifiques ou numériques, les entreprises s'engagent, parce qu'elles voient qu'il n'est pas possible de réindustrialiser la France, d'être tête de pont en matière de cybersécurité ou d'intelligence artificielle en se coupant d'un vivier de 50 % de la population. Il s'agit d'un enjeu stratégique pour nos propres entreprises, mais aussi d'égalité entre les femmes et les hommes. Dans l'enquête que mène chaque année Gender Scan sur le sujet et que je vous invite à consulter, on constate que l'argument de l'autocensure a bon dos : souvent on affirme que les femmes ne voudraient pas aller vers ces carrières numériques, scientifiques ou techniques, par autocensure, mais c'est plus complexe en vérité, car 40 % des femmes engagées dans de telles études expliquent l'avoir fait contre l'avis de leurs familles ou de leurs enseignants. Elles ont donc lutté, non contre elles-mêmes, mais contre les représentations que la société se fait des métiers qu'elles ont choisi d'exercer.

Je m'attendais à une question concernant le budget, puisque les parlementaires peuvent aider à changer les choses. Le décret du 21 février 2024 concerne l'ensemble des ministères. C'est normal, notre pays ne peut pas sans cesse faire exception en matière de déficit et de dette. Mais, et je le réaffirme, parce que c'est la grande cause des deux quinquennats du Président de la République et parce que, si vous mettez en place l'aide universelle d'urgence, vous ne refuserez pas d'accueillir une femme sous prétexte que les crédits sont épuisés. Les 12 228 femmes qui ont bénéficié de l'aide universelle d'urgence en sont la preuve, malheureusement. Cela veut dire que cette aide fonctionne, et elle a été bien calibrée. L'aide est délivrée en un peu moins de trois jours en moyenne – cinq jours maximum – et le montant moyen octroyé s'élève à 875 euros, ce qui en fait une aide significative. Puisque vous ne pouvez pas limiter le nombre de bénéficiaires, le 3919, le Planning familial et toutes les associations qui œuvrent en matière d'accès aux soins et luttent contre toutes les formes de violence ne verront en aucun cas leurs budgets amputés – je l'ai répété aux associations que j'ai reçues récemment. On poursuit notre travail entre ministères pour que les choses avancent et que ces budgets absolument nécessaires continuent d'arriver à bonne destination.

À propos de l'évaluation demandée de nos dispositifs en matière de lutte contre les violences, notamment intrafamiliales, je n'ai aucune difficulté à ce que nous fassions notre propre évaluation. Ayant été parlementaire, j'aurais toutefois trouvé mieux que les députés évaluent les dispositifs mis en place par l'État, mais nous pouvons nous évaluer nous-mêmes, voire faire les deux. Peut-être que le sujet pourra être abordé lors du Printemps de l'évaluation ou en semaine de contrôle, mais si vous souhaitez des éléments de bilan, nous nous tenons à la disposition du Parlement et nous pouvons les produire. Certains dispositifs sont récents ou en cours d'expérimentation, tel le pack nouveau départ, défendu par Émilie Chandler, qui est en cours de déploiement dans le Val-d'Oise, avant d'être étendu à quatre autres départements, puis généralisé. C'est une nouvelle méthode qui doit également permettre de mieux calibrer les dispositifs et garantir leur efficacité.

Sur la question plus spécifique des familles monoparentales, une mission sera lancée par le Gouvernement, j'en avais parlé quand j'étais ministre des solidarités et des familles. Parce que leurs situations sont parfois très spécifiques en raison d'un cumul de difficultés, nous avons essayé d'avoir une politique très volontariste à leur égard, qu'il s'agisse des pensions alimentaires ou de l'élargissement du complément de libre choix du mode de garde (CMG) jusqu'aux 12 ans de l'enfant. À propos du point spécifique relatif à France Travail, le ministre du travail de l'époque, Olivier Dussopt, avait eu l'occasion de répondre dans le débat que les cas seraient évalués à l'aune de la situation de chaque public accueilli. Il n'y a pas de principe uniforme puisque les situations sont différentes.

Enfin, au sujet des territoires ruraux, j'aimerais que nous ayons une attention spécifique aux violences qui s'y produisent, parce que 50 % des femmes victimes de violences habitent des territoires ruraux, alors qu'ils n'accueillent que 31 % de la population. Il y a donc une surreprésentation des femmes victimes de violences dans ces territoires. Cela ne signifie pas qu'il faille les stigmatiser, mais il faut admettre qu'il est plus difficile de dénoncer les violences dont on fait l'objet quand tout le monde se connaît, quand on a peur du qu'en-dira-t-on et quand il n'y a pas toujours de référent à qui parler. À ce titre, je souhaite saluer l'action des maires, qui sont très mobilisés, notamment l'Association des maires ruraux de France (AMRF). En lien avec l'AMRF et l'AMF (Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité), nous essayons de garantir que chaque commune dispose d'élus formés à accueillir cette parole et de référents communaux de confiance. Les maires travaillent aussi ensemble, parce qu'il est parfois plus facile de se rendre non pas dans sa propre mairie, mais dans la mairie voisine, par peur de la stigmatisation ou que l'on apprenne la raison de votre visite. Ce sont des choses très concrètes que nous devons mettre en place. Les freins en ruralité que vous avez mentionnés – la mobilité ou l'accès aux soins – s'ajoutent au fait que dans certains territoires, les métiers peuvent être très genrés. Quand il y a une surreprésentation de femmes dans certains métiers, il est plus difficile d'y trouver un levier d'émancipation. Cela rejoint ce que nous avons discuté en matière de mixité, de représentations, d'imaginaires et de luttes contre toutes les formes de stéréotypes.

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