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Intervention de Aurore Bergé

Réunion du mardi 5 mars 2024 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

Je vous remercie d'avoir accepté le report de cette audition et pour les mots que vous avez eus à mon égard. Nous avons en effet vécu un moment historique hier et je tiens à remercier toutes celles et ceux, au sein des délégations aux droits des femmes du Sénat, de l'Assemblée nationale ou du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui y ont contribué. C'est une belle victoire, car elle est collective. Elle témoigne aussi de la force de la vie politique qui parvient à créer des moments d'unité de nature à rendre confiance dans les initiatives parlementaires.

La défense des droits des femmes et la promotion de l'égalité occupent évidemment une place centrale dans mon engagement et votre présence ici me fait croire que nous le partageons. Nous savons aussi que cette longue marche vers l'égalité n'est pas terminée : depuis cinquante ans, le ministère que j'ai l'honneur d'occuper a permis d'accompagner des avancées majeures pour les droits et pour l'égalité. Il s'agit à la fois de sécuriser ces acquis et de lutter contre toute forme de régression, mais aussi d'avoir un discours de conquête sociale pour de nouveaux droits de façon à faire reculer ce qui affaiblit encore notre promesse d'égalité. L'égalité entre les femmes et les hommes constitue justement la grande cause des deux quinquennats du Président de la République. Ce combat doit être collectif et se faire avec les parlementaires de tous les groupes politiques qui souhaitent s'engager sincèrement sur ce sujet, avec les collectivités locales et aussi avec les associations avec lesquelles je travaille de la façon la plus régulière et rapprochée. Mais nous devons aller plus loin : nous ne devons pas seulement discuter entre nous car, ici, malgré nos désaccords, nous sommes convaincus de la nécessité d'avancer ; nous devons mobiliser la société de la manière la plus large possible, embarquer les entreprises et les Français, car ce combat les concerne tous.

L'égalité entre les femmes et les hommes est un combat que « nous mènerons jusqu'au bout, jusqu'à l'égalité réelle ». C'est par ces mots que la Première ministre Élisabeth Borne avait marqué, le 8 mars dernier, l'annonce du plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027. Il comporte quatre axes principaux : lutter contre toutes les violences faites aux femmes ; promouvoir et donner aux femmes un accès à la santé ; assurer l'égalité professionnelle et économique ; et instaurer une véritable culture de l'égalité dans notre pays. Ce sont mes champs d'action prioritaires, selon lesquels j'ai essayé de découper mon propos liminaire.

Concernant l'égalité économique et professionnelle, ainsi que la parentalité qui lui est connexe, nous savons que les inégalités persistent dans le monde professionnel. Que ce soit dans le choix des carrières ou le choix des métiers, les femmes continuent de faire face à des inégalités. Il est crucial d'améliorer les parcours professionnels des femmes, afin de leur permettre de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle, tout en réduisant les écarts de rémunération. J'aimerais que le slogan « À travail égal, salaire égal » devienne une réalité dès notre génération.

Pour encourager une plus grande mixité dans tous les secteurs d'activité, il est essentiel de fournir aux jeunes filles et femmes des exemples et des mentors, dans ceux où elles sont sous-représentées – filières techniques, scientifiques, numériques, en particulier l'intelligence artificielle.

La directive du 19 juillet 2023 a pour objectif de garantir une attribution de 40 % des emplois ciblés dans la fonction publique à des femmes.

L'introduction d'un congé de naissance, que j'ai défendu dès mon entrée au Gouvernement et qui a été confirmé par le Président de la République, constitue un enjeu d'égalité entre les femmes et les hommes, une chance pour les enfants, ainsi que pour tous les parents d'assumer pleinement leur rôle, en leur laissant évidemment toute liberté dans le recours à ce congé.

Poursuivre la réduction des inégalités d'accès à l'emploi en milieu urbain comme en zone rurale, doit être une priorité. Malgré la loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dite loi Rixain, née d'une initiative parlementaire et qui a permis de féminiser les conseils d'administration et de surveillance des entreprises françaises, les femmes occupent encore trop souvent des postes de second plan, sans véritable pouvoir décisionnel.

Nous avons été les premiers à mettre en place l'index de l'égalité professionnelle, ou index Pénicaud. Les entreprises qui obtiendront un score inférieur à 75 sur 100, qui refuseraient d'utiliser l'index ou de le publier, n'auront plus accès aux marchés publics, et je n'aurai aucun tabou si nous devions aller plus loin et envisager d'autres sanctions. Avec Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement et de la recherche, nous comptons approfondir la mesure des écarts à l'entrée de la carrière professionnelle, parce qu'il y aura toujours ceux qui, malgré la pertinence de l'index Pénicaud, insisteront sur ses défauts ou le contesteront au prétexte qu'après quinze ou trente ans de carrière, on compare l'incomparable. À l'entrée de la carrière, quand on sort de la même grande école, faculté, ou centre de formation des apprentis (CFA) avec le même diplôme, il n'y a aucune raison de constater des écarts. On doit donc les mesurer et c'est ce que nous allons mettre en place.

Il est également important de mieux tenir compte des disparités de revenus au sein même des couples, notamment en appliquant par défaut un taux individualisé au prélèvement à la source du revenu, comme le prévoit la loi de finances pour 2024.

Nous améliorons le cahier des charges du label Égalité professionnelle pour mieux prendre en considération les violences faites aux femmes, l'évolution des modes de travail et l'usage de l'intelligence artificielle.

Il ne s'agit pas seulement de droits, mais aussi d'un ensemble de représentations culturelles et sociales à combattre – c'est souvent ce qu'il y a de plus difficile à changer –, qu'il s'agisse du sexisme, des stéréotypes, de l'éducation à la vie affective ou de la pornographie. Ainsi, 90 % des contenus pour adultes montrent aujourd'hui des scènes réelles de violence physique, sexuelle ou verbale, d'humiliation systématique des femmes ; or, une portion significative de la société ne voit malheureusement pas ces contenus comme problématiques. Soyons lucides : nos enfants, à l'âge de 10 ou 11 ans en moyenne, ont déjà visionné un contenu pornographique. Ainsi, une culture sexiste et violente se propage, incluant des scènes de torture et de barbarie accessibles librement et facilement, comme l'a mis en lumière le récent rapport « Pornocriminalité » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH). Cela a une influence malheureuse sur les plus jeunes générations. Nous devons donc nous appuyer sur les recommandations du HCEFH et du Sénat afin d'aborder cette question dès le plus jeune âge et promouvoir auprès de nos enfants une véritable culture de l'égalité dans le moindre geste du quotidien. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, auquel vous avez contribué, contient de nombreuses dispositions pour lutter contre toutes les formes de violence et contraindre plus fortement l'industrie pornographique. J'espère qu'elles seront maintenues en commission mixte paritaire (CMP), parce qu'elles sont protectrices pour les femmes. Comme vous, je soutiens la mise en place de ces sanctions afin d'éliminer les contenus mettant en scène des violences physiques et sexuelles envers les femmes ainsi que les discours incitant à la haine. La nécessité des sanctions contre les violences représentées dans l'industrie pornographique et la propagation de contenus nuisibles pour les mineurs met en évidence notre devoir d'agir pour la santé publique et la protection des droits.

Je souhaite poursuivre le travail engagé depuis 2017 et qui a entraîné des avancées importantes en matière de violences sexistes et sexuelles : la mise en œuvre de mesures de prévention et de lutte contre les violences conjugales et domestiques, issues notamment du Plan rouge VIF, conçu par Émilie Chandler et Dominique Vérien, est en cours ; elle a marqué une étape décisive de notre combat – je pense aussi à la proposition de loi visant à allonger la durée de l'ordonnance de protection et à créer l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Le nombre de places d'hébergement pour les victimes a été doublé, atteignant plus de 11 000 places, afin de fournir un refuge à celles qui en ont le plus besoin, souvent des mères d'enfants en bas âge. Le bracelet antirapprochement (BAR) a été adopté et il y en a plus de 1 000 en circulation aujourd'hui ; le téléphone grave danger (TGD), dont le nombre dépasse 5 000, a prouvé son efficacité puisque les interventions des forces de l'ordre ont triplé, passant de 3 634 en 2022 à près de 10 500 l'année dernière. À cet égard, l'intervention il y a quelques semaines en Seine-Saint-Denis à la suite du déclenchement d'un TGD a sans doute permis de neutraliser un homme et d'éviter un féminicide, démontrant l'efficacité de ces dispositifs. Les moyens alloués à la lutte contre ces violences ont augmenté de 13 millions d'euros par rapport à 2023, pour mettre en œuvre une initiative parlementaire, l'aide universelle d'urgence pour les femmes victimes de violences, notamment conjugales ; le lancement du numéro d'assistance 3919 et du site arretonslesviolences.gouv.fr offre aujourd'hui un accès permanent à des ressources essentielles et les près de cinquante équivalents temps plein (ETP) permettent d'accroître la vigilance et de multiplier les actions, à l'aide d'un budget renforcé grâce à vous ; le versement automatique des pensions alimentaires a été un pas important en direction de l'autonomie financière des femmes, dont les victimes de violences sont souvent privées, ce qui les empêche de prendre leur destin en main et de se libérer des violences dont elles souffrent.

Ces mesures doivent être accompagnées par un effort continu pour mieux accueillir la parole des femmes. Les femmes ont toujours parlé et exprimé les violences dont elles étaient l'objet, mais la société ne les a pas suffisamment écoutées. Nous leur disons clairement que désormais nous les écoutons et que nous les croyons. Il faut, dans la mesure du possible, les inciter à porter plainte et à s'engager dans la voie judiciaire, extrêmement exigeante. Nous devons assurer un soutien efficace dès le dépôt de la plainte et jusqu'à l'éloignement de l'agresseur. C'est d'abord cela qui doit être mis en place. Une telle approche est cruciale pour transformer notre société, garantir la sécurité et l'égalité pour toutes les femmes.

Depuis 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes, qu'elles soient intrafamiliales ou systémiques, est une priorité. Nous avons encore vu récemment que la mobilisation a permis à de plus en plus de femmes de briser une forme d'omerta ayant longtemps prévalu dans des secteurs où la domination masculine, solidement ancrée, rendait l'expression encore plus difficile. Nous devons continuer à nous mobiliser sur ce sujet, comme le montre la multiplication récente des témoignages d'artistes ou de sportives, dont les récits mettent en lumière des situations de domination et des risques d'abus de pouvoir qui persistent dans des secteurs tels que la culture, le sport, la santé ou l'enseignement supérieur, situations qui soulèvent incidemment la question d'une forme de complicité silencieuse de l'entourage ou celle de la responsabilité parentale. C'est pourquoi nous lançons une mission interministérielle incluant tous les ministres clés sur ce sujet, de manière à établir un état des lieux et à recueillir les témoignages, mais aussi à développer de manière systématique des contre-pouvoirs, des garde-fous et des régulations là où ils font cruellement défaut. Nous continuerons à combattre les violences sexistes et sexuelles pour encourager les prises de parole jusqu'à l'obtention de la justice.

Pour veiller à la protection des victimes, nous multiplions par deux le nombre de maisons d'accueil des femmes sur le territoire. C'est une des initiatives du pack nouveau départ, destiné à couvrir les coûts immédiats avant d'élaborer des solutions à long terme, de façon à donner la possibilité aux femmes victimes qui le souhaitent de partir, grâce à une coordination effective et efficace de l'ensemble des services.

Enfin, consolider l'aide aux victimes et diffuser notre culture de l'égalité passe aussi par la diplomatie féministe. Ce n'est pas un gadget. Pour avoir été dans un conseil informel des ministres européens en charge de l'égalité et rencontré notamment mon homologue polonaise à la veille du vote sur la constitutionnalisation de l'IVG, j'ai constaté un effet d'entraînement. C'est rassurant, car cela signifie que la voix de la France est encore largement écoutée et attendue sur les droits humains, en particulier les droits des femmes. L'engagement de notre pays sur ces sujets est donc absolument déterminant. Il doit se poursuivre, d'autant plus que nous accueillons dans quelques mois les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). J'y vois l'occasion d'envoyer un message au monde sur les enjeux d'égalité, sur la culture de l'égalité et sur la lutte contre toutes les formes de mutilation faites aux femmes. Des phénomènes de traite humaine et de mutilation peuvent se produire en parallèle de ces événements. De telles situations doivent être révélées et judiciarisées, afin de conforter et soutenir les femmes. À partir de dimanche prochain, je serai, ainsi qu'un certain nombre d'entre vous, à New York pour assister à la réunion annuelle de la commission de la condition de la femme des Nations Unies. Notre vote hier et les enjeux que nous souhaitons porter seront très importants, c'est pourquoi j'ai décidé que l'événement que parrainera la France, comme peut le faire chaque pays, portera sur la question du viol comme arme de guerre et arme terroriste, notamment après ce qui s'est produit le 7 octobre dernier. Nous ne pouvons rester muets alors que tant de femmes ont subi des violences sexuelles et des mutilations. J'espère que la voix de la France sera également écoutée.

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