Je vous remercie pour la qualité du débat. C'est un moment de vérité pour nos finances publiques ; il est essentiel que chacun puisse présenter ses préférences.
Sur la forme, je considère que le Gouvernement peut légitimement appliquer des dispositions légales, or la loi organique relative aux lois de finances nous autorise à réduire le montant des crédits de 1,5 % par voie réglementaire.
S'agissant des apprentis, je suis en désaccord avec vous, monsieur le président : ils travaillent. Cela justifie de les compter comme des personnes en emploi. Comme vous, j'ai lu les propos d'Olivier Blanchard dans son entretien ; je partage mot pour mot son analyse : il faut « définir un plan crédible d'ajustement et de baisse des dépenses sur cinq à huit ans ». C'est exactement ce que nous proposons, avec l'objectif d'atteindre 3 % de déficit d'ici à 2027 et l'équilibre d'ici à 2032.
Le pouvoir d'achat n'a pas été épargné seulement grâce aux revenus du patrimoine : nous sommes le seul pays de la zone euro à avoir instauré un bouclier tarifaire sur l'électricité et le gaz. Nous avons également créé la prime de partage de la valeur (PPV), avec succès puisque plusieurs millions de salariés ont perçu une prime d'un montant moyen de près de 900 euros.
Vous avez comparé les États-Unis et l'Europe, soulevant une question majeure. Personne ne peut se satisfaire de la situation économique en Europe. Le taux moyen de croissance est de 0,5 %, inférieur à celui de la France. Plusieurs États sont en récession, notamment l'Allemagne, notre premier partenaire économique, qui a révisé sa croissance de 1,1 % – et non de 0,4 %, comme nous. Il est légitime que les États cherchent à rétablir leurs comptes publics, comme nous nous proposons de le faire. Toutefois, je mets en garde sur la nécessité absolue de définir une stratégie de croissance européenne. Confrontés à la crise liée au covid, nous avons été capables d'élaborer une réponse forte, totalement en dehors des clous, en autorisant des prêts garantis par l'État (PGE) et le soutien à l'activité partielle, pour protéger les Européens. J'aimerais que nous puissions en faire autant pour relancer la croissance, au moment où l'Europe est prise en tenailles entre une Chine de plus en plus interventionniste, qui soutient massivement ses entreprises avec des aides ou avec la commande publique, et les États-Unis, qui bénéficient d'un des prix de l'électricité les plus bas du monde et de l'Inflation Reduction Act (IRA), extraordinairement offensif. La réponse doit être européenne, non nationale.
Je propose donc une stratégie de croissance européenne, fondée sur trois piliers. Premièrement, pour avoir de l'électricité décarbonée au prix le plus bas possible, il faut relancer le nucléaire au niveau européen. Pour y parvenir, j'ai proposé lundi d'élaborer un projet collectif, comme nous en avons pour les batteries électriques, l'hydrogène et les médicaments, afin de développer les recherches et de construire les réacteurs nécessaires. Les Américains sont un des premiers producteurs d'énergies fossiles au monde ; nous ne pourrons jamais leur disputer la compétition si nous ne rattrapons pas notre retard dans le domaine de l'énergie décarbonée, grâce aux énergies renouvelables et nucléaire.
Deuxièmement, nous devons soutenir les industries. La France a instauré le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV) ; un tel dispositif devrait exister au niveau européen. Nous allons perdre l'industrie chimique, qui va partir en Chine ou aux États-Unis, parce que le coût de l'électricité est trop élevé pour elle et que nous ne la soutenons pas suffisamment. Il est urgent de réagir.
Troisièmement, il faut simplifier massivement. L'Europe ne doit pas être le continent de la norme et de la suradministration, mais celui de l'innovation, de la croissance et de la prospérité. Cela suppose de renoncer à définir, pour chaque production, des règles toujours plus complexes et plus lourdes. Dans le domaine fiscal, je suis le ministre des finances qui s'est battu, sous l'autorité du Président de la République, pour créer un impôt minimal sur les sociétés et une taxe sur les services numériques : je suis favorable à un impôt minimal sur le revenu au niveau international.
Il est trop tôt pour évaluer les recettes de l'État en 2024. En 2023, les recettes de l'impôt sur les sociétés ont été bien inférieures à celles prévues, ce qui nous a amenés à réagir. Leur évolution déterminera si un PLFR est nécessaire.
Enfin, vous avez raison, monsieur le rapporteur général, tous ceux qui participent aux dépenses devront également contribuer à l'effort national de redressement des comptes publics. L'État a déjà rempli son rôle ; restent les dépenses sociales et celles des collectivités locales.