Vous voulez, monsieur le ministre de l'économie, associer les parlementaires à l'élaboration du budget. Pour ma part, je souhaiterais surtout que nous retrouvions un Parlement qui débatte et qui vote les budgets. La situation qui prévaut depuis deux ans ne peut perdurer. Ne faire voter le budget que quand on est sûr d'avoir la majorité, ce n'est pas la démocratie. Je ne sais s'il faut remercier le Gouvernement ne pas être allé jusqu'à annuler 12 milliards de dépenses publiques ! Il n'en demeure pas moins que le montant exceptionnel qui a été prévu, s'il est légal, n'est pas politiquement légitime et qu'il aurait fallu passer par un PLFR. C'est la conception même de la vie démocratique et du rôle du Parlement qui est en jeu et qui devrait tous nous préoccuper.
J'en viens au fond. Vous avancez à l'appui de votre démonstration certains chiffres censés établir que l'économie française serait solide et créatrice d'emplois. Or, entre 2019 et 2022, en raison du changement des règles de calcul de l'Insee, une création d'emploi sur trois correspondait en fait à l'embauche d'un apprenti. Au dernier trimestre 2022, ces embauches représentent même les trois quarts des emplois créés. Ces chiffres ne reflètent donc pas toujours de véritables créations d'emploi et doivent être relativisés.
Quant au pouvoir d'achat, vos chiffres montrent certes qu'il a augmenté, mais pas pour tout le monde : comme nous l'avons vu lors de l'audition des représentants de l'Insee, celui des salariés a baissé et c'est essentiellement l'augmentation des revenus du patrimoine qui explique la hausse de 0,48 % du pouvoir d'achat moyen, ce qui pose problème en termes de consommation populaire.
Au-delà des chiffres, il y a un débat, y compris au sein des économies libérales, sur ce qu'il convient de faire quand l'activité économique se contracte. L'approche que vous défendez est la suivante : baisser les dépenses pour réduire les déficits et finalement la dette. La politique économique américaine ne procède pas ainsi. On me répondra que les Américains ont le dollar. Mais avant de nous interroger sur ce qui leur permet de faire ce qu'ils font, demandons-nous s'ils ont raison de le faire. De fait, ils relancent et ça marche ! Ils n'accordent pas la priorité à la question des déficits dans un moment de risque de récession, ce qui explique l'écart de croissance considérable entre l'économie américaine et l'économie européenne. Même un économiste aussi orthodoxe qu'Olivier Blanchard, ancien chef économiste au FMI, mettait en garde il y a peu : l'an prochain ne constituera vraiment pas un moment opportun pour baisser les dépenses publiques. N'oublions pas que ces dépenses représentent aussi des recettes, qui contribuent également à faire fonctionner l'économie. Tel est le premier point, macroéconomique, que je voulais aborder.
« Quand on gagne moins, on dépense moins », dites-vous dans un entretien donné au Monde. Si l'État gagne moins, ce n'est pas tombé du ciel. Le problème n'est pas que vous ayez globalement diminué les impôts et que vous soyez face à des gens qui veulent les augmenter, c'est l'effort réclamé. Vous demandez s'il est normal de payer certains déplacements de santé. Dans une période de recul économique, est-il normal que les entreprises du CAC 40 aient déclaré 140 milliards de bénéfices en 2022 et 150 milliards en 2023 ? Pire, les dividendes explosent, ce qui signifie que ces bénéfices ne sont pas investis dans l'économie, mais vont enrichir les actionnaires. Nous nous sommes déjà interrogés sur ce point, puisque nous avions adopté, avec des voix issues de la majorité, des amendements au projet de loi de finances (PLF) visant à instaurer des prélèvements sur les superdividendes et les transactions financières, à hauteur de 15 milliards d'euros. La question est de savoir qui contribue à l'effort, et comment. S'il faut vraiment réduire le déficit, on peut donc diminuer la dépense fiscale sans augmenter les impôts de l'ensemble de la population, en faisant contribuer les plus riches.
Vous dites que vous ne rabotez pas, mais vous offrez un rabot à chaque ministère. Vous les avez chargés de répartir les annulations au sein de leur budget respectif. Vous donnez l'impression de fixer des objectifs théoriques sans vous préoccuper de la manière dont les ministères pourront les atteindre. Cela expliquerait vos difficultés à préciser quelles actions budgétaires seront affectées. À charge ensuite pour chacun de trouver coûte que coûte des postes d'économies. Dans quelle mesure les annulations excéderont la réserve de précaution ? Ne vont-elles pas remettre en cause certaines lois de programmation, notamment militaire, de la recherche et de l'intérieur ?
Vous annoncez une diminution de 10 milliards d'euros de crédits, indépendamment de la baisse de 12 milliards des dépenses conjoncturelles prévue pour le prochain projet de loi de finances. Il s'agit donc de dépenses structurelles. Or, à vous entendre, cela n'aurait pas de conséquences. On diminuerait de 0,8 milliard les dépenses inscrites au titre 2, c'est-à-dire les dépenses de personnel, sans affecter l'activité des services. Permettez-moi de douter que ce soit possible, surtout quand 450 millions proviennent de la réduction des effectifs de l'éducation nationale, au moment même où des personnels et des parents d'élèves se mobilisent pour dénoncer les insuffisances en la matière. Rapportée au salaire moyen des enseignants, cette somme représente 11 000 postes. J'ai du mal à croire que cela n'aura aucune incidence sur les mesures que Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, a annoncées lors de l'examen du PLF. Il avait notamment déclaré qu'il ne diminuerait pas les effectifs.
L'écologie est également un domaine important ; son budget va diminuer de 3 milliards. Vous avancez que vous avez prévu des crédits qui n'ont pas été dépensés, que la loi de finances de fin de gestion en a ainsi enlevé à la rénovation thermique, et qu'il en va de même ici. Pourquoi alors procédez-vous ainsi ? Je me demande si votre intention n'est pas de vanter un budget vert en augmentation, tout en sachant que les fonds ne seront pas dépensés. Nous n'atteindrons pas les objectifs de rénovation thermique que vous avez vous-mêmes définis si chaque année nous amputons les budgets concernés, alors même qu'il s'agit pour vous d'une priorité.
La situation du logement, enfin, s'apparente à une bombe sociale – je reprends ici une expression que vous avez vous-même validée, monsieur le ministre, lors de l'examen du PLF pour 2024. Les gens ont du mal à avoir un logement, que ce soit en louant ou en achetant. Pourtant, vous baissez de 300 millions d'euros le montant des crédits de l'aide au logement – j'ai du mal à comprendre.