Je remercie M. Bruno Le Maire et M. Thomas Cazenave – à qui je souhaite un joyeux anniversaire – d'avoir répondu à la demande formulée conjointement avec le rapporteur général dès le mardi 20 février, lorsque Bruno Le Maire a annoncé d'importantes annulations de crédits, avant même la publication du décret. Je me montrerai un peu moins aimable dans la suite cette introduction, tout en restant courtois et républicain.
Avant de vous entendre sur le fond, je souhaite faire quelques remarques de forme. La première portera sur le taux de croissance annoncé au cours des discussions entourant le vote de la loi de finance. La plupart des institutions étaient beaucoup plus pessimistes que le Gouvernement. Dès l'introduction des débats, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) avait fait savoir par la voix de son président, M. Pierre Moscovici que le taux de croissance n'atteindrait pas 1,4 % – chiffre que vous aviez retenu. Au même moment, la Banque de France prévoyait 0,9 % et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) 0,8 %. Ces estimations faisaient alors consensus parmi les économistes. De nombreux députés, dont j'étais, avaient tenté de vous mettre en garde : le taux que vous indiquiez ne pourrait être atteint. Je me souviens que M. Bruno Le Maire affirmait que la réforme des retraites doperait la croissance française. Deux mois plus tard, vous êtes revenu à des estimations plus réalistes – quoique vous péchiez encore par optimisme. De deux choses l'une : soit vous le saviez et dans ce cas la construction du budget était insincère ; soit vous ne le saviez pas, et vous reconnaîtrez que ceux qui doutaient de ce chiffre avaient raison. Cela devrait vous encourager à tempérer votre assurance d'un peu d'humilité quand vous avancerez une analyse ou un raisonnement économique au cours de nos débats.
Il est important de vous auditionner au sujet de cette annulation. Je n'en conteste pas la légalité : correspondant à peu près à 1,3 % des crédits ouverts, le montant des annulations n'excède pas le plafond, fixé par la loi organique à 1,5 %. Dans un entretien accordé au Monde, vous rapportiez cependant vous-même l'annulation des 10 milliards, non au budget total dont elle ne représente effectivement que 1,3 %, mais au seul budget de l'État, dont elle représente près de 2,1 %. L'opération reste légale, mais constitue un record : il n'y a jamais eu d'annulation de crédits d'un tel montant – 10 milliards ! – sans projet de loi de finances rectificative (PLFR). Pour mémoire, la dernière loi de finances de fin de gestion concernait 7 milliards : nous en avons débattu à l'Assemblée. Le montant des annulations est tel qu'on peut considérer que nous avons sous les yeux un nouveau budget. Certes les lois de finances ne sont plus débattues, ni votées, mais je ne veux pas me rendre à cet argument cynique ; je tiens au contraire les débats budgétaires pour nécessaires et je ne crois pas être le seul. On nous dit qu'il y a urgence et que les oppositions auraient voté contre un projet de loi de finances rectificative, mais l'argument n'est pas recevable car le Parlement n'a pas pour fonction d'enregistrer des décisions prises à l'avance, et je regrette donc qu'il n'y ait pas de PLFR.
Bien qu'il soit moins grave, je signale un autre problème de forme. L'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 1er août 2001 vous fait obligation d'informer, et non d'aviser, les deux commissions des finances, celle du Sénat et celle de l'Assemblée, des décrets d'annulation que vous prenez. De fait, un pli m'a été remis à zéro heure vingt-huit dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 février. Il contenait les décrets, publiés au Journal officiel à peine quelques heures plus tard. S'agit-il encore d'information ? J'estime plutôt que vous avez usé d'un procédé pour rester dans les clous. Vous me permettrez de penser que ce n'est pas respecter la volonté du législateur organique que d'envoyer ces informations aussi tardivement.
J'ai par ailleurs demandé de plus amples détails concernant les 10 milliards d'annulations. Dès que je l'ai reçue, j'ai transmis à tous les rapporteurs la réponse écrite de M. Bruno Le Maire. Je l'estime un peu brève et dépourvue des informations détaillées dont nous aurions eu besoin pour débattre. M. le rapporteur général a eu plus de chance ; j'ai d'ailleurs fait circuler les éléments qu'il a obtenus.