Madame Ernotte Cunci, j'aimerais vous interroger sur quelques zones d'ombre qui entourent l'action de France Télévisions.
Le 5 juillet dernier, vous avez déclaré ici même, à l'Assemblée nationale : « Je tiens à dire qu'on ne représente pas la France telle qu'elle est […] mais on essaie de représenter la France telle qu'on voudrait qu'elle soit. » Cette phrase a choqué de nombreux observateurs, tandis que certains philosophes, comme André Perrin, se sont interrogés sur l'obligation, pour les médias, de dire la vérité. Mais on peut toujours tenir des propos qui nous échappent : maintenez-vous cette position ? Si oui, où fixez-vous la limite entre le journalisme et le militantisme ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit si vous souhaitez construire la France telle que vous voudriez qu'elle soit – mission qui relève, je le dis avec beaucoup d'humilité, plutôt des politiques. Si vous agissez ainsi, à quel moment masquez-vous la France telle qu'elle est ? Comment cela se passe-t-il ? Pourriez-vous nous donner quelques exemples ?
Cette première question n'est pas sans lien – même si, en réalité, j'espère qu'il n'y en a pas – avec la suivante. Il s'agit de l'émission « Complément d'enquête » consacrée à Jordan Bardella il y a quelques semaines, un numéro qui a fait « pschitt » puisqu'il n'a absolument pas éclairé le public sur quoi que ce soit. J'aimerais savoir pourquoi Jordan Bardella a été choisi comme sujet de reportage. Êtes-vous tenue informée lorsqu'un tel choix est fait, que ce soit en amont de la réalisation ou au moment de la diffusion de l'émission ?
Je m'interroge d'autant plus que l'on a appris quelques jours plus tard, le 19 janvier 2024, que le directeur de l'information de France Télévisions, Alexandre Kara, avait demandé aux journalistes de suspendre leurs enquêtes sur deux autres personnalités, Rachida Dati et Gabriel Attal, qui appartiennent cette fois à la majorité. Il a été dit qu'il s'agissait de laisser la priorité aux émissions de débat mais vous avez affirmé il y a quelques instants que vous souhaitiez que France Télévisions poursuive ses activités d'investigation. Pourriez-vous nous expliquer ce qui mène à un tel choix, qui suscite d'autant plus de questions que France Télévisions est financée par de l'argent public et que chacun doit s'y retrouver, comme vous l'avez dit vous-même ? En l'occurrence, chacun ne s'y retrouve pas : vous avez diffusé une émission à charge contre l'opposant principal au pouvoir en place mais aucune sur des personnalités actuellement aux manettes de notre pays.