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Intervention de Frédéric Bereyziat

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Frédéric Bereyziat, directeur général en charge des ressources d'Arte France :

Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Bruno Patino, président d'Arte, pour raisons médicales.

Deux mots, d'abord, sur le degré de liberté dont je dispose ici. Certaines des questions qui nous ont été transmises nous invitent à porter une appréciation sur l'exercice par l'Arcom des responsabilités qui lui ont été confiées par le législateur pour qu'elle les assure de manière indépendante et sous le contrôle du juge. Or les textes fondateurs d'Arte ont expressément placé la chaîne en dehors du champ de contrôle de l'Arcom. Dans ces conditions, non seulement nous ne sommes pas les mieux placés pour évaluer la manière dont elle exerce sa mission, mais il serait quelque peu inapproprié et incohérent de former publiquement des jugements ou des recommandations à ce sujet alors que les engagements internationaux de la France s'opposeraient à ce que l'Arcom fasse la même chose en ce qui concerne Arte.

Cela ne nous empêche pas d'avoir de très bonnes relations avec les services de l'Arcom, son collège et son président : nous échangeons des informations, des bonnes pratiques et nous menons parfois même des opérations communes, par exemple en matière d'éducation à l'image.

J'aimerais préciser les spécificités d'Arte par rapport aux autres titulaires d'autorisation d'émettre, y compris nos collègues et amis de l'audiovisuel public. L'endroit depuis lequel Arte parle, si je puis reprendre cette expression quelque peu connotée mais explicite, est un endroit un peu particulier pour au moins quatre raisons.

D'abord, cet endroit n'est ni totalement la France, ni l'Allemagne, ni même la réunion des deux pays, puisque nos textes constitutifs, notamment le traité international signé entre la France et les États fédérés allemands en 1990, font de nous une chaîne certes binationale, mais à vocation européenne. Je rappelle que l'acronyme Arte signifie « Association relative à la télévision européenne ». Notre fonctionnement quotidien traduit cette mission, puisqu'il est gouverné par trois entités distinctes : Arte France, Arte Allemagne et la filiale commune, située à Strasbourg, le groupement européen d'intérêt économique Arte GEIE. Chacune de ces entités compte des collaborateurs de toutes les nationalités européennes.

Ensuite, la culture, patrimoniale ou de création, est omniprésente à Arte. L'article 2 de notre traité nous assigne comme finalité de rassembler les peuples européens par la culture – rien que cela !

Troisième spécificité, dans cet endroit coexistent trois Arte, correspondant à trois offres légèrement distinctes mais complémentaires et sciemment articulées. Il y a tout d'abord la chaîne linéaire, celle qui vous intéresse et qui est diffusée sur la TNT ; mais Arte est aussi une plateforme de vidéos à la demande, disponible sur le site arte.tv et reprise en tant que service de médias par des distributeurs, notamment les fournisseurs d'accès à internet ; enfin, on trouve les chaînes sociales d'Arte, c'est-à-dire les différents canaux que nous administrons et que nous éditons sur des services de communication fournis par des tiers – en général, des grands opérateurs transnationaux de partage de vidéos en ligne comme YouTube ou de réseau social comme TikTok, Facebook et Instagram.

Enfin, Arte est un endroit où la publicité au sens strict n'existe pas. L'article 19 du contrat de formation des entités franco-allemandes l'exclut de l'antenne linéaire, aussi bien en France qu'en Allemagne. Un peu plus de souplesse existe pour l'offre non linéaire, dans les territoires où elle est présente, mais nous recourons de manière mesurée aux seuls parrainages. L'absence de publicité est un marqueur fort de notre promesse aux spectateurs, donc de notre identité.

De cet endroit très particulier, quelle est la vision d'Arte sur l'avenir de la TNT ? S'il est un point consensuel entre toutes les personnalités auditionnées jusqu'ici par la commission d'enquête, c'est que le contexte est devenu extrêmement concurrentiel. En effet, les technologies numériques ont fait sauter, les unes après les autres, les barrières à l'entrée qui existaient en 2005, au moment du lancement de la TNT.

La première barrière avait trait à l'accès au réseau de diffusion. Or rien n'est plus simple techniquement, grâce à la télévision en streaming hors offre du fournisseur d'accès, dite over the top (OTT), et aux réseaux sociaux, que de mettre en ligne des contenus à la disposition du plus grand nombre. Il est également très facile de basculer d'un réseau à un autre, ce qui crée des convergences, comme le montre la télévision connectée.

La deuxième barrière à s'être singulièrement abaissée concerne l'accès à des publics différents, de nationalités et de langues diverses, sous l'effet du développement des outils d'adaptation linguistique et de la diminution des coûts associés, mais aussi de l'acculturation des publics locaux à des œuvres étrangères, aussi bien en termes de forme que de contenu.

La première conséquence de ce nouveau contexte est l'exposition du spectateur à une profusion d'images – Bruno Patino emploierait le terme de « submersion ». Les éditeurs doivent donc mener une lutte intense pour la visibilité et l'attention durable des spectateurs. Pour cela, la TNT ne manque pas d'atouts : Mme Ernotte Cunci vient de les décrire de manière précise et conforme à ce que nous pensons à Arte, donc je n'y reviendrai pas.

Dans ce contexte, les offres de la TNT doivent gagner en interactivité pour offrir une expérience aux utilisateurs qui soit comparable à celle des autres réseaux. C'est technologiquement possible. La norme de diffusion interactive HbbTV pour Hybrid Broadcast Broadband TV, largement exploitée dans d'autres pays, notamment européens, y compris en Allemagne, l'est très peu en France. Cette technologie permet de basculer d'une diffusion linéaire vers une diffusion non linéaire, simplement en appuyant sur un bouton de la télécommande. Si vous prenez un programme en cours et que vous souhaitez le voir depuis le début, vous pouvez le faire ; si vous aimez une série et que vous voulez regarder la suite qui n'est pas programmée sur la chaîne linéaire, vous pouvez également le faire ; vous pouvez aussi accéder directement à un programme dont vous venez de voir la bande-annonce sur la chaîne linéaire. Cette technologie offre l'avantage d'être peu gourmande en investissements et d'être déjà présente chez les constructeurs ; elle consomme également peu de ressources courantes, notamment en fréquences radioélectriques supplémentaires ; les constructeurs la maîtrisent, même si, comme toute norme, elle est évolutive. Pourtant, Arte est la seule à proposer une offre de ce type sur la TNT – sur le canal 77 –, dans le cadre d'une expérimentation qui a débuté, avec l'accord de l'Arcom, en avril 2021. Chez Arte, nous avons le sentiment qu'il s'agit d'une faiblesse de l'offre actuelle de la TNT à laquelle nous pourrions aisément remédier, chacun dans notre sphère de responsabilité, en développant les services proposant cette interactivité, ce qui inciterait les constructeurs à se concerter et à uniformiser le parc, comme cela a été fait dans d'autres pays.

Deuxième conviction d'Arte sur l'avenir de la TNT : il faut des offres qui se démarquent, qui soient facilement distinguées et choisies dans le torrent d'images. C'est ce que nous avons toujours tenté de faire, et nous continuerons. Non seulement Arte est gratuite, comme toutes les autres chaînes de l'audiovisuel public, et vierge de toute publicité, mais elle propose entre 88 % et 90 % d'œuvres européennes. Ses programmes sont multilingues et peuvent s'écouter en français, en allemand, souvent en anglais, mais également en bulgare ou en croate pour respecter les langues de la création européenne. Le nombre de cases dédiées au cinéma est sans égal pour une chaîne gratuite et les documentaires occupent environ 45 % de la grille. Nous proposons par ailleurs une offre complète d'information, en privilégiant l'information tiède – celle du reportage, qui traite d'événements datant de trois à six mois – et l'information froide – celle du documentaire, douze à dix-huit mois après l'événement. Nous diffusons aussi de l'actualité chaude, mais il ne s'agit pas de notre angle prioritaire ; en cela, nous sommes distincts et complémentaires des autres offres. Dans le traitement de l'information, nous adoptons aussi un angle différent : nous portons toujours un regard français sur l'Allemagne et allemand sur la France, mais également européen sur les sujets d'intérêt européen. Enfin, nous déployons une offre culturelle, patrimoniale et de création, qui va de l'art lyrique au concert de rap, du théâtre à Avignon aux arts de la rue et au cirque : nous promouvons toutes les formes de création et d'art.

Troisième et dernière conviction, nous pensons que les offres de la TNT doivent contribuer au vivre-ensemble et à la cohésion à la fois sociale, locale et nationale. Mme Ernotte Cunci vient de rappeler que le législateur a choisi de fixer des contreparties à l'utilisation gratuite de ressources qui relèvent du domaine public : dans ce cadre, on peut raisonnablement attendre des offres de la TNT qu'elles contribuent à la solidité d'une autre forme de domaine public, à savoir la préservation de l'ensemble des biens communs de la nation. Il faut retenir une acception très large de ce terme, qui englobe la protection de l'environnement, celle de l'enfance, les valeurs démocratiques, évoquées par Mme Saragosse, la confrontation respectueuse des idées, l'éducation à l'image et l'irrigation de notre écosystème national de création et de production.

Bien sûr, la loi de 1986 a partiellement identifié ce domaine, à travers des notions assez plastiques comme celles d'intérêt pour le public ou de sauvegarde du pluralisme d'expression des courants socioculturels – plastiques mais aussi inflammables dans leur interprétation et leur mise en pratique. Je me garderai bien de juger ce que font les autres éditeurs sur ce terrain, mais je serais ravi d'exposer par écrit à votre commission ce que fait Arte, à son échelle et avec ses moyens, pour remplir cette exigence. Je pense en particulier au soutien à la création d'œuvres nouvelles : nous prenons chaque année des engagements sur un volume de programmes nouveaux, représentant un investissement annuel d'au moins 90 millions d'euros. Nous soutenons également la production dite indépendante : l'essentiel de nos émissions sont coproduites avec des acteurs extérieurs à la chaîne, sans lien de dépendance. Nous travaillons à sensibiliser le public à la protection de l'environnement par des campagnes d'impact autour de programmes comme Gardiens de la forêt, que vous avez peut-être vu. Nous développons aussi l'éducation à l'image avec des contenus dédiés à la lutte contre la désinformation, comme la pastille « Désintox », et à la citoyenneté – nous avons signé une convention de coopération avec l'Arcom dans ce domaine, autour de fiches pédagogiques et d'événements physiques illustrés par des contenus d'Arte, et nous participons à la semaine de la presse et des médias qui se déroule au mois de mars dans les écoles. Nous œuvrons aussi à la préservation d'un espace de débat critique respectueux d'autrui, de la complexité des choses et des nuances, qui donne toute sa place à l'analyse plutôt qu'aux prises de position – Bruno Patino dirait que nous privilégions les enjeux plutôt que le jeu des acteurs.

Si nous prenons en compte les trois éléments que j'ai mentionnés pour la visibilité de chacun des services de la TNT, nous aurons réalisé un progrès important pour l'actualisation et l'objectivation de ce qu'est l'intérêt des programmes pour le public, au sens de la loi de 1986, même si d'autres critères peuvent entrer en jeu.

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