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Intervention de Delphine Ernotte Cunci

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions :

Je suis très heureuse d'échanger avec votre commission d'enquête.

La consommation de la télévision, en particulier des services autorisés à émettre gratuitement sur la télévision numérique terrestre (TNT), reste le premier loisir des Français et nos groupes de médias, publics ou privés, sont au cœur de la vie des gens.

Ils sont d'abord au cœur de leur quotidien, assurant un accompagnement très précieux compte tenu du nombre de personnes qui vivent seules ou se sentent isolées. Nos programmes créent du commun comme aucun autre média ne peut le faire.

Au cœur de la vie de la cité, ensuite, pour informer, mais aussi pour exposer le débat public et garantir une présence de proximité dans tous les territoires de la République. Au sein d'un monde polarisé et face à l'explosion des ingérences étrangères dans l'information, cette mission est plus essentielle que jamais.

Nos médias sont enfin au cœur de la vie culturelle des Français. Ils donnent accès gratuitement à une diversité de contenus, du cinéma aux séries, du spectacle vivant aux grandes compétitions sportives ou au documentaire. Ils jouent ainsi un rôle de passeurs et démocratisent la culture et le sport, notamment dans les territoires qui n'ont guère ou pas accès à ces offres. J'ai l'habitude de dire que nos médias, notamment publics, sont le patrimoine culturel de ceux qui n'en ont pas. Cette mission justifie à elle seule l'existence d'une offre de télévision gratuite puissante en France – une offre qui est, dans l'ensemble, de très grande qualité.

France Télévisions reste le premier groupe audiovisuel français. Même si les usages de la télévision évoluent très fortement, sa dimension instantanée reste très attractive. À vingt et une heures, l'heure de plus grande écoute, quelque 26 millions de Français la regardent en direct, quand ils sont 4,5 millions devant une plateforme de partage de vidéos – YouTube ou un réseau social – et 4,2 millions devant une plateforme de streaming. Ce rapport de 1 à 6 ou 7, qui va certes tendre à se réduire, reste très favorable à la télévision, notamment gratuite.

La part de marché de France Télévisions avoisine 30 %. C'est un indicateur que nous prenons de moins en moins en considération, puisque l'on ne regarde plus nécessairement la télévision en direct sur un téléviseur. Nous sommes beaucoup plus attentifs au nombre de Français que nous touchons : ils sont un sur deux chaque jour, huit sur dix chaque semaine, et, chaque mois, il s'agit d'à peu près tout le monde.

Ces dernières années, nous avons procédé à une évolution très marquée vers le numérique. Nous sommes aujourd'hui le premier média numérique, grâce à nos deux plateformes france.tv et France Info – cette dernière étant une œuvre commune avec Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et France Médias Monde. Chaque mois, 35 millions de visiteurs uniques se rendent sur l'une ou l'autre, ou sur les deux. France Info est depuis plusieurs années le premier site d'actualité en France et france.tv est désormais la première plateforme de streaming gratuite, avec 32 ou 33 millions de visiteurs uniques par mois.

Nos médias publics – cela vaut également de notre audiovisuel extérieur, d'Arte et de la radio publique – sont donc plébiscités par les Français et nos résultats, du point de vue tant de l'audience que de la confiance accordée à notre offre, sont à un niveau qui n'avait pas été atteint depuis plusieurs années.

Ces bons résultats s'expliquent par le fait que France Télévisions, comme nos médias publics en général, occupe une place à part dans le paysage de la TNT gratuite. Cela vient d'abord de la très grande diversité et complémentarité de nos offres. À France Télévisions, le bouquet de cinq chaînes de la TNT, assez proche de ce que l'on voit ailleurs en Europe du point de vue du nombre de chaînes comme de la qualité, réunit une grande chaîne généraliste – France 2 –, une chaîne des territoires, une chaîne dédiée à la connaissance, une offre hybride jeune public et culture, sur le canal 14 en soirée, enfin une chaîne d'information en continu avec nos entreprises sœurs.

La singularité de nos offres s'inscrit dans le strict cadre de la loi du 30 septembre 1986 : un cahier des charges exigeant, un contrat d'objectifs et de moyens comprenant des indicateurs précis ; au total, France Télévisions est soumise à une centaine d'obligations – de diffusion, de moyens, d'investissement – qui sont mesurées et chiffrées. L'Arcom, qui en rend compte annuellement, relève que, globalement, nous atteignons les objectifs qui nous sont assignés par la représentation nationale et par l'État.

Cette exigence correspond à plusieurs enjeux.

D'abord, la place de l'information, du décryptage, du débat public et de l'investigation, qui représentent environ un tiers de ce que nous diffusons et 40 % de la consommation de contenus par nos publics. La qualité de cette offre est reconnue par les Français : ils sont 75 % à lui accorder leur confiance, soit le taux le plus élevé du paysage, supérieur d'à peu près 20 points à celui atteint en moyenne par les chaînes commerciales.

Ensuite, une présence marquée et unique dans tous les territoires, y compris, bien sûr, outre-mer, grâce à nos quelque 130 implantations. Les implantations régionales de France 3 et de La Première représentent plus de 50 % des effectifs de France Télévisions. La place des territoires a été considérablement renforcée ces dernières années, notamment sur France 3 ; cela correspond à une très forte attente des Français.

Enfin, le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique. Chaque année, 500 millions y sont investis ; cela fait de France Télévisions le premier financeur en France de la création française. D'où une exposition inégalée des séries françaises, du cinéma français, du documentaire français, de l'animation française, du spectacle vivant français, et d'abord aux heures de grande écoute, sur l'ensemble de nos antennes.

La TNT reste pour nous un socle fondateur de la régulation du secteur audiovisuel. D'abord, elle est une source d'universalité et de qualité des contenus. On sait que les usages vidéo évoluent très vite et vont continuer de le faire, et que nos grandes séries documentaires et grands magazines d'investigation sont consommés en délinéarisé à hauteur de 30 ou 40 % – une proportion qui ne cesse de progresser et devrait bientôt atteindre 50 %. Je reste néanmoins convaincue que certains genres, comme l'information, le sport, les grands événements de la vie de la nation, bref tout ce qui se passe en direct, resteront absolument essentiels.

C'est la TNT qui garantit un accès universel à nos contenus, grâce à sa couverture, qui est exceptionnelle, même si d'autres modes de réception progressent. Elle seule assure un accès réellement gratuit, libre et disponible dans tout le territoire. Ce sont 5 millions de foyers qui n'ont pas d'autre moyen d'accéder à la télévision, en particulier des ménages âgés, sans doute moins favorisés, et résidant dans des territoires peu urbanisés. La fracture numérique reste une réalité. On a donc besoin de la TNT pour assurer l'universalité de la télévision publique, financée par tous les Français.

Un autre élément dont on parle malheureusement assez peu, mais qui est essentiel, est la vertu écologique de la diffusion hertzienne des contenus audiovisuels. On tarde à en prendre conscience, mais l'empreinte écologique du streaming a fortement progressé ces dernières années. La TNT est dix à vingt fois plus sobre en énergie que les autres modes de réception. Cet atout important doit être pris en compte.

C'est aussi pour cette raison que nous croyons en l'avenir de la TNT, dans laquelle nous investissons en tant que groupe public. Nous allons profiter des Jeux olympiques et paralympiques pour la moderniser. France 2 est depuis le début de l'année la première chaîne accessible en ultra-haute définition. France 3 le sera avant les Jeux. Notre objectif est d'offrir à tous les Français une expérience de la plus haute qualité sur la TNT à cette occasion.

Enfin, la régulation adossée à la TNT permet à la France d'avoir l'une des meilleures offres audiovisuelles en Europe. Cette qualité est le fruit du modèle d'attribution gratuite des fréquences hertziennes en contrepartie d'engagements des éditeurs en matière de diversité des programmes, de pluralisme et d'investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique. Ce modèle donnant-donnant doit être préservé, sous le contrôle de l'Arcom, qui accomplit tous les jours un travail acharné pour le faire respecter alors même que ses missions ne cessent de s'étendre.

La TNT est également un facteur d'équilibre du paysage de la télévision gratuite. J'ai toujours défendu cette dernière comme un écosystème où tous les acteurs doivent être solidaires. Face à la grande évolution des usages et à l'émergence de géants mondiaux du numérique, nos destins sont liés. C'est la raison pour laquelle j'ai défendu en son temps le projet de fusion entre TF1 et M6 et, plus récemment, la visibilité des services de télévision dans les environnements connectés, qui ne doit pas être réservée aux chaînes publiques mais concerner l'ensemble de la TNT, afin de donner à voir la richesse de la télévision gratuite en France.

C'est la prochaine frontière. La récente délibération de l'Arcom sur la visibilité des services d'intérêt général sur les interfaces numériques est un tournant fondamental, une décision aussi importante que l'avait été celle sur la numérotation logique. Il s'agit de réaffirmer et d'étendre au-delà du linéaire le principe selon lequel l'attribution d'une fréquence TNT vaut reconnaissance de la contribution d'un média à l'intérêt général. Grâce à la force du regroupement, cette décision doit nous permettre – c'est mon souhait le plus cher – de rendre nos médias nationaux plus visibles dans des environnements dominés par les acteurs internationaux, notamment américains et asiatiques.

Dans une société où les usages s'individualisent de plus en plus, dans un contexte où nos médias deviennent des outils au service de notre souveraineté culturelle et informationnelle, notre responsabilité pour créer du commun, partager la connaissance, lutter contre les fausses informations et les manipulations est immense. Il faut préserver cette possibilité.

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