Monsieur le président, permettez-moi de dire que je respecte infiniment la haute fonction de la République et tous ceux qui sont derrière cette fonction. Lorsqu'un ministre ou un préfet vous donne sa parole, dans le chaos dans lequel nous étions tous, on ne revient pas sur cette parole. Certes, « Les paroles s'envolent, les écrits restent ». Mme la ministre Annick Girardin a annoncé devant caméra et également à la radio qu'elle décrétait l'état d'urgence impérieuse. Si vous l'interrogez, elle vous confirmera avoir alors pris ses responsabilités.
Aussi, je vous interpelle sans doute de manière virulente, mais je ne veux pas qu'un autre président ou qu'un autre élu se retrouve dans la même situation.
Dans ces situations, l'humain est un critère qu'il ne faut pas négliger. Le préfet Serge Gouteyron, qui a succédé à Mme Danielo-Feucher, pendant ses deux années de mandat, a accompli un important travail d'accompagnement. L'humain a certainement joué, mais dans un contexte différent. J'ai sauvé la fin de mon mandat grâce au préfet Gouteyron qui a joué le jeu d'un véritable accompagnement de l'État. La gestion de l'après- Irma n'était pas compliquée. Il fallait simplement assurer la coordination et que les services de l'État aient confiance aux élus.
S'agissant des reconstructions qui ne seraient pas terminées, sachez qu'aujourd'hui, personne n'est sans toit. Toutes les personnes sont hébergées ou relogées par la famille, quelquefois sur une autre partie de l'île, grâce à l'entraide. Effectivement, les stigmates d' Irma sont visibles sur certaines propriétés. La seule problématique concerne les personnes qui n'étaient pas assurées et qui n'ont pas repris la construction de leur habitation, car elle était trop chère. Ils sont donc passés à un mode de vie locatif, certainement. Je m'avance peut-être, car je n'ai pas de statistiques. En effet, le manque incontestable de statistiques est également un problème depuis des années. Il faut se fier au comptage de l'État.
À l'époque, avec la préfète Laubies, nous avions établi une liste des personnes qui étaient en danger, en grande difficulté et qu'il fallait reloger. J'ai moi-même, au niveau de la collectivité, pris en charge des personnes en grande difficulté et sans toit pendant deux ans, voire plus. J'ai financé leur hébergement et leurs repas, etc. Ces personnes, hommes, femmes et enfants, étaient en danger. Vous imaginez les problématiques que cela pouvait causer.
Aujourd'hui, s'agissant de la reconstruction, nous devons rester positifs et continuer sur cet élan. Notre stratégie de développement économique repose sur notre matière première, qui est le tourisme. Les institutions doivent bien comprendre que ce territoire n'est pas un territoire qui mendie. Il sait fonctionner dans ce qu'il sait faire de mieux, c'est-à-dire du tourisme. Pour cela, il a besoin d'aide, à la fois pour ses infrastructures, et peut-être en raison de dispositifs législatifs qui sont mal adaptés au territoire. Ce dont il a besoin n'est pas difficile à obtenir. Le territoire a mis en œuvre de manière institutionnelle un schéma de développement touristique et un schéma de l'habitat, qui ne demandent qu'à être accompagnés.
Certes, je vous dirai que je ne suis plus aux commandes et n'ai plus la maîtrise de ces aspects. Tout dépend de l'homme qui est « derrière les manettes ». Néanmoins, la reconstruction s'est faite en bonne intelligence. Nous avons même édité un guide de la reconstruction pour les personnes qui voulaient se charger elles-mêmes de la reconstruction de leur habitation, comme de nombreux Saint-Martinois, afin de s'assurer qu'elles avaient les bons réflexes et qu'elles utilisaient les bons matériaux. Nous avons pratiqué une forme de pédagogie auprès de la population sur certains aspects de la reconstruction, après les pillages.
S'agissant des pillages, vous me demandez si l'intervention de l'État a été trop tardive. Je vous assure que c'était le chaos, à tous les niveaux. Les unités sur Saint-Martin n'étaient pas suffisantes pour pouvoir protéger l'entièreté du territoire. Que s'est-il passé véritablement ? De nombreux commerces et supermarchés ont effectivement été pillés, car certaines personnes étaient à la recherche de nourriture, etc., occasionnant de nombreux dégâts, mais aucun mort. Ces pillages ont eu des conséquences néfastes pour les propriétaires dont une bonne partie a par la suite quitté le territoire. Je ne blâmerai pas les services de l'État et plus précisément les services de la gendarmerie sur le dispositif, car il était très compliqué d'amener du renfort sur le territoire et d'aider les différents services à s'organiser.
À l'époque, avec le général de brigade Jean-Marc Descoux, nous avons effectué un Retex et nous avons longuement discuté des solutions post-cycloniques que nous pouvions apporter. Premièrement, il ne faut pas amener tous les secours avant le phénomène cyclonique. En effet, en cas de drame comme celui d' Irma, tous ceux qui seront présents subiront ce drame et ne seront pas opérationnels. Tout le matériel qui sera apporté sera peut-être défectueux ou abimé par le cyclone. L'idée est de faire rentrer une petite partie des forces pour aider au renforcement immédiat, mais que la « grosse cavalerie » arrive ensuite très rapidement, 24 heures après le passage du cyclone. Ainsi, nous serions beaucoup plus efficaces. Cette « grosse cavalerie » doit être postée dans les environs de nos territoires.
À l'époque, nous avons attendu le navire Dixmude un certain temps, car il devait traverser l'Atlantique. J'avais préconisé de pouvoir disposer dans la région d'un bateau spécialisé dans les interventions post-événements climatiques. Aujourd'hui, cette solution a été mise en application et le bateau est à présent basé en Martinique. Si le cyclone arrive principalement sur la Martinique, le bateau se déplacera au fur et à mesure de l'avancement du cyclone et interviendra sur les territoires qui auront déjà subi son passage afin de parer aux situations que nous avons connues après Irma. Dans l'avenir, en bénéficiant du renfort nécessaire immédiatement après le passage du cyclone, nous ne vivrons plus une telle situation.
Toute la population est restée 48 heures sans aide, car il était impossible d'accéder à certains endroits de l'île. À un moment donné, « il se fait faim », et la situation peut expliquer un certain nombre d'événements.
Je voudrais soulever le point des organisations non gouvernementales (ONG), dont nous n'avons pas assez parlé dans toutes les enquêtes comme dans toutes les missions. Pour ma part, j'ai été choqué du fonctionnement de certaines d'entre elles. Lorsque l'on est en situation de détresse, on a envie de toute l'aide possible, mais pas n'importe quelle aide et pas par n'importe quel moyen. Il ne s'agit pas de venir planter un drapeau en disant : « Je suis telle organisation, j'étais là et j'ai apporté tant de temps et tant de matériel ». Cela a créé une désorganisation complète qui est plus néfaste que prolifique. Certaines ONG reconnues ont très bien fonctionné et sont restées d'ailleurs très longtemps. Ces ONG bénéficient d'une autorisation de l'État pour intervenir sur nos territoires, mais elles doivent être intégrées au mode de fonctionnement de l'État et des collectivités et non pas imposer leurs propres règles afin de justifier de leur action. En agissant de cette manière, elles désorganisent un système déjà mis en place. Il faut avoir un regard très particulier sur le filtrage des ONG qui interviennent : qu'elles ne soient pas trop nombreuses et plus efficaces. Pour ce faire, elles doivent bénéficier d'une certaine expérience de nos territoires. Je ne voudrais pas citer de nom, mais j'ai eu l'impression que certaines ONG avaient « découvert la lune ». Je force le trait, mais le fonctionnement des ONG est un sujet problématique qui n'a pas été évoqué.