Intervention de Daniel Gibbs

Réunion du jeudi 22 février 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Daniel Gibbs, ancien président de la collectivité de Saint-Martin :

Vous m'avez demandé de ne pas pratiquer la langue de bois. Donc, je ne manierai pas la langue de bois et reprendrai les propos que j'ai toujours tenus pendant mon mandat de 2017 à 2022.

Il est urgent que l'État se penche sur une question primordiale et qui m'a valu, pendant tout mon mandat, un couperet avec de nombreux articles 40. Comment voulez-vous qu'un président d'une collectivité puisse s'en sortir après un événement aussi dramatique, lorsque la période d'urgence qui est normalement fixée immédiatement après l'événement est de moins de six mois ?

La période d'urgence impérieuse a été fixée par la ministre des outre-mer, Annick Girardin, et par la préfète pour une période de six mois, jusqu'au 31 décembre 2017. Le président de la collectivité de Saint-Barthélemy et moi-même avons été contactés, et il nous a été dit : «  Vous êtes en période d'urgence impérieuse et vous avez la possibilité d'être hors la loi sur les marchés pour permettre de reconstruire le plus rapidement possible ». L'objectif était effectivement de remettre notamment les écoles en ordre de marche, car le ministre de l'éducation voulait venir à Saint-Martin pour inaugurer le retour « à la normale » et le retour en cours des étudiants. Pour ce faire, il a fallu, comme le président de la République l'avait demandé, bousculer les procédures. J'ai donc passé toutes mes procédures pendant la période d'urgence impérieuse.

Deux ans après l'événement cyclonique, la même personne qui était préfet à la reconstruction sur Irma, est devenue préfet de la région Guadeloupe. Elle m'adresse un courrier en me signifiant qu'au final, la période d'urgence n'était pas de six mois, mais d'un mois, soit du 5 septembre au 10 octobre 2017. Pour ce monsieur, le 10 octobre 2017, tout était redevenu normal, sachant que l'état d'urgence de l'État a duré jusqu'en 2018. Les dernières réquisitions de l'État sur le port se sont terminées et l'armée s'est retirée en décembre 2017. Nous avions effectivement convenu que l'État gérait les denrées et les dons qui arrivaient sur notre territoire. Tout cela nous a été « refourgué » alors que nous n'avions aucune logistique pour pouvoir parer à cette situation. L'État était en état d'urgence impérieuse, au moins jusqu'au mois de décembre 2017.

Pourquoi est-ce que j'insiste sur ce point ? Parce que cette décision a des conséquences pour nous, élus. Monsieur le président, vous comprendrez ma hargne, car il faut véritablement protéger les présidents et les dirigeants des territoires après de tels événements. Quand vous avez la garantie, écrite noir sur blanc, de votre état d'urgence impérieuse et que vous êtes autorisés à passer outre les procédures habituelles de marchés afin de sortir du marasme dans lequel vous vous trouvez et que, quelque temps plus tard, on vous indique que la période a changé, vous avez déjà passé vos commandes publiques et vous avez déjà payé vos prestataires. Vous vous trouvez ensuite dans l'illégalité. Quand vous avez, en tant que dirigeant d'un territoire, ce couperet au-dessus de la tête, croyez-moi, ce n'est pas facile.

L'ironie du sort, c'est que ce même préfet de région m'a adressé ce courrier, mais ne l'a pas adressé au président de Saint-Barthélemy. Là aussi, on peut se poser des questions.

C'est pourquoi, je le répète, il y a la fonction et il y a l'être humain derrière cette fonction. Cela a une très grande importance dans la mise en place de tout le modus operandi après un drame pareil.

Cette question de l'urgence impérieuse est primordiale. Je vous donnerai un exemple pour vous expliquer les raisons de ma frustration. Peu de temps après Irma, la cathédrale Notre-Dame de Paris a brûlé. Connaissez-vous la durée de la période d'urgence impérieuse décrétée pour la reconstruction de cet édifice, sachant encore une fois qu'elle permet de passer des marchés hors appel d'offres ? La première période a été de six mois, puis elle a été très rapidement étendue à un an, voire deux ans. Vous pouvez comparer les travaux de la cathédrale Notre-Dame avec ceux de l'île de Saint-Martin, détruite à 95 %.

Je pense qu'il existe un véritable dysfonctionnement dans certaines méthodes appliquées par des représentants de l'État. Cette situation contribue au fait que des élus comme moi n'ont plus envie de se retrouver dans une pareille situation. J'irai même plus loin. Je comprends aujourd'hui que dans certains villages, villes ou territoires, d'aucuns n'ont plus envie de consacrer du temps à la fonction d'élu. Je le dis du fond du cœur parce que l'expérience que j'ai vécue pendant cinq ans n'est pas une expérience agréable, croyez-moi.

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