C'est une vaste question. Il ressort de notre étude que, entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les situations sont très différentes ; si bien que la crise provoquée par Irma n'y a pas du tout été gérée de la même manière. Plusieurs facteurs, notamment des facteurs externes, l'expliquent. À Saint-Martin, tout d'abord, le centre opérationnel territorial (COT) a été très endommagé : les autorités se sont retrouvées piégées dans la préfecture, en prise à des vents violents et à des bâtiments inondés. Saint Barthélemy n'a pas connu un problème semblable.
Les populations, mais aussi les autorités elles-mêmes, ont évoqué le problème de l'anticipation. Personne ne s'imaginait que le cyclone serait aussi violent. Le dernier cyclone en date – Luis –, en 1995, avait été très long – trente-six heures – et assez puissant – il était de catégorie 4. Tout le monde avait gardé à l'esprit ce niveau d'intensité. Or, si Irma a duré moins longtemps, il a été beaucoup plus intense, l'œil du cyclone étant passé sur les deux îles. Ces territoires ont manifestement été confrontés à des difficultés d'anticipation de l'intensité de l'aléa : on est passé de la vigilance orange à la vigilance violette en l'espace de quelques heures.
On a toutefois observé de grandes différences entre les deux territoires. À Saint-Barthélemy, le président de la collectivité a affirmé, après le passage de l'ouragan, qu'il pouvait se débrouiller sans l'aide de l'État. Une certaine anticipation avait eu lieu. Des engins de nettoyage des routes avaient été prépositionnnés en collaboration avec les entreprises de l'île. On a observé une forme d'auto-organisation associant la population, les entreprises et la collectivité ; elle était le fruit d'une certaine préparation mais résultait aussi, pour une part, d'actions spontanées. Très vite, le nettoyage des routes a commencé, la collectivité a installé des bornes wifi afin de rétablir les communications, le ravitaillement a été assuré d'une manière assez efficace, aux dires de la population. Une grande majorité des habitants a salué la gestion de la crise.
À Saint-Martin, les choses se sont déroulées de manière assez différente. D'abord, les pillages qui ont eu lieu dans les heures qui ont suivi la fin de l'ouragan ont perturbé la gestion de la crise. Les autorités, les services de secours et de police ont dû agir contre ces pillages, qui ont duré plusieurs jours et qui, selon les témoignages que certains nous ont livrés, ont fait plus de mal que le cyclone. Le traumatisme que ce dernier a causé a été très vite remplacé par le choc consécutif aux pillages.
Ensuite, pour reprendre les propos tenus lors des entretiens que nous avons eus avec les autorités locales et la population, la gestion de crise à Saint-Martin a été jugée désorganisée. Beaucoup, par exemple, n'ont pas compris pourquoi l'État n'avait pas prépositionné des services de secours supplémentaires dans l'île. Les autorités l'ont expliqué par la suite mais cette perception est demeurée dans les esprits. On ne savait pas exactement où ni à quelle heure avaient lieu les ravitaillements. Certains quartiers ont été jugés privilégiés par rapport à d'autres. La perception d'un manque d'anticipation a conduit à un sentiment de méfiance, qui vis-à-vis de l'État, qui à l'endroit de la collectivité – sans que l'on puisse établir une typologie des personnes selon l'institution qu'elles visaient.
La reconstruction a été plus rapide à Saint-Barthélemy qu'à Saint-Martin, ce qui s'explique, d'une part, parce que Saint-Barthélemy est plus petit et, d'autre part, parce que les constructions à Saint-Barthélemy sont moins vulnérables qu'à Saint-Martin, où l'urbanisation est parfois un peu anarchique. À titre d'exemple, le quartier de Sandy-Ground, situé en bord de mer, où l'on recourt souvent à l'autoconstruction, est plus fragile, aussi bien face au vent qu'à la mer.