Comme cela a été dit, la résilience est dans l'ADN des habitants et des natifs des îles. Entre les ouragans Irma en 2017 et Luis en 1995, qui sont les deux événements majeurs ayant frappé nos îles dans les dernières décennies, une dizaine d'événements cycloniques moins forts ont touché nos collectivités, avec néanmoins un impact suffisant pour contraindre des travaux ou retarder une saison touristique. Les retours d'expérience sont donc essentiels, même si chacun de ces phénomènes successifs diffère des précédents, de telle sorte que nous devons toujours travailler à améliorer notre réponse.
À Saint-Barthélemy, l'ouragan Irma a eu un impact considérable. L'une des difficultés rencontrées tenait au déploiement des forces et des soutiens amenés sur place, avec un préfet délégué pour les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ces dernières sont généralement frappées de la même manière, ce qui rend difficile que l'une puisse compter sur l'autre en pareil cas. Il peut être également difficile de compter sur la Guadeloupe car, très souvent, à vingt-quatre heures près, la situation est incertaine. Ainsi, en 1995, l'ouragan Luis avait infléchi sa trajectoire vers le sud vingt-quatre heures avant de toucher Saint-Barthélemy, si bien que c'est la Guadeloupe qui avait été mise en alerte. En 2017, le cyclone Irma avait provoqué des inquiétudes assez similaires. Il est donc difficile de déployer des moyens en stand-by à un endroit ou à un autre, ce qui a nécessairement des conséquences en termes de délai d'action. Un vrai travail s'impose sur ce point.
Désormais, la présence de la préfecture à Saint-Barthélemy lors des événements cycloniques, avec une répartition des compétences entre le préfet et le secrétaire général, représente un véritable avantage : au passage d'Irma, il n'y avait personne et les moyens de communication étaient hors service au lendemain de l'événement.
L'une des forces de la collectivité est que l'ensemble de la population sait se préparer. Les entreprises de BTP s'organisent en collaboration avec les services techniques et le Centre opérationnel territorial (COT), de telle sorte que les moyens humains et matériels sont généralement disponibles dès la première minute de la levée des interdictions de circulation et peuvent immédiatement commencer à travailler pour déblayer, nettoyer et rendre les accès disponibles le plus vite possible.
Le service départemental d'incendie et de secours fait partie intégrante de la collectivité et la collaboration est donc très fluide. Dans les prochaines semaines s'achèvera la construction, entreprise après l'ouragan Irma, d'une nouvelle caserne – au sens large, car elle abritera aussi, entre autres, le COT lorsqu'il sera déclenché, la sécurité civile ainsi qu'un centre de veille. Tout cela permettra d'optimiser les moyens car, même préparés, nous avons été surpris par la puissance inédite du phénomène Irma. Cependant, bien que cet ouragan soit présenté comme le plus important à ce jour, Saint-Barthélemy n'a pas subi d'inondation, car le phénomène a été peu riche en pluie et très rapide.
Malgré le retour d'expérience que nous tirons d'Irma, une vulnérabilité demeure, car la capacité d'absorption de l'île s'est fortement réduite depuis 1995 avec l'avancée des constructions. Les risques sont évalués et nous y travaillons, en lien avec l'université de Montpellier 3, qui étudie le trait de côte et le risque cyclonique. Trois fois par an au moins, nous organisons des exercices de COT pour mettre tout le monde dans la boucle et nous assurer que nous restons sur le qui-vive, prêts à réagir le jour J. Un schéma territorial d'analyse et de couverture des risques a été voté en 2021 et son règlement opérationnel a été validé par le conseil territorial à l'été 2023. Nous disposerons aussi d'un plan territorial de sauvegarde, dont l'arrêté, actuellement au stade de la dernière lecture, sera pris dans les prochaines semaines. Nous sommes enfin en train de renforcer la réserve de sécurité civile existante : les documents opérationnels dont je vous parle permettront de mieux cibler les besoins et les personnes qui, sur l'île, disposent de l'expérience et du savoir nécessaires, car les moyens humains de la collectivité et ceux qui peuvent être mis à disposition par les services partenaires restent, malgré tout, limités.
Pour en revenir Irma, une grande partie du travail a été accomplie par des acteurs privés, même si nous disposions d'une réserve de sécurité civile et de services techniques qui, comme le cabinet du président, ont accompli un énorme travail. Ces acteurs privés ont pu, dans l'urgence, trouver des solutions, par exemple dans le domaine des communications : au lendemain d'Irma, nous avons été capables d'installer un réseau wifi en empilant des batteries de voiture pour disposer d'une capacité à émettre. Cette expérience nous a conduits à mettre en place un réseau wifi, que nous avons d'ailleurs baptisé réseau Irma, qui n'est pas disponible au quotidien mais que la collectivité peut ouvrir à tout moment en cas de force majeure.
La collectivité a également équipé le service d'incendie et de secours de drones qui lui donnent une capacité d'action et de réaction beaucoup plus rapides. Ils peuvent être déployés très rapidement sur un site et fournir un visuel permettant d'optimiser le choix des moyens à engager. Faute de moyens humains, nous nous efforçons ainsi d'optimiser les moyens technologiques.
Nous avons évidemment renforcé les liens avec nos partenaires, et tout particulièrement avec la Croix-Rouge, avec laquelle nous avons de nombreux échanges pour parvenir à travailler à l'échelle de la zone.
Le retour d'expérience d'Irma a révélé le manque d'un plan B. Le bâtiment qui servait de COT étant hors service et les moyens de communication inexistants, il a été difficile de réunir tous les acteurs. Il a fallu trouver un autre endroit – en l'occurrence, l'aéroport – mais les intervenants sont arrivés au compte-gouttes. Pour ma part, c'est en passant sur la route en allant m'assurer que ma famille allait bien que j'ai vu cet attroupement à l'aéroport et que je me suis arrêté. Nous avons travaillé dans les jours et les semaines qui ont suivi, mais nous aurions pu gagner du temps si nous avions disposé de fiches réflexes, sur lesquelles nous travaillons encore aujourd'hui, pour bien définir les besoins et le rôle de chacun. Irma ayant touché Saint-Barthélemy et Saint-Martin, c'est la préfecture qui a pris le relais et nous devons donc être capables de travailler en bonne intelligence. De telles rencontres sont bienvenues, car, plus encore que les élus et les agents, qui peuvent changer, c'est la population locale qui est en mesure d'agir. Nous devons donc être capables d'impliquer tout le monde et d'avoir des acteurs au fait de la situation pour pouvoir réagir.
Une clé pour ce faire étant la communication, la collectivité a investi dans un système d'alerte par SMS. Nous continuons à inciter les gens à s'inscrire car ce système, qui ne coûte rien à personne, permet, dès qu'un phénomène approche, de déclencher l'alerte et de diffuser des informations afin de permettre aux gens d'agir au mieux.
L'importance de la communication tient aussi au fait que Saint-Barthélemy connaît une rotation récurrente de sa population, avec tous les ans des départs et de nouvelles arrivées. Or, si la résilience fait partie de l'ADN des personnes qui grandissent sur l'île, ce n'est pas nécessairement le cas pour les visiteurs ni pour les personnes récemment arrivées. Très souvent, certains sont même excités à l'approche d'un phénomène climatique : ils espèrent aller voir les vagues, ou même aller surfer ! Nous avons donc besoin de communiquer et d'alerter.
Il faut aussi gérer les fake news. Ainsi, un soir, après l'ouragan Irma, je suis rentré très inquiet du COT car on avait entendu dire – et l'information venait du président et du préfet – qu'une navette transportant des hommes armés était partie de Saint-Martin après le pillage de l'armurerie de la gendarmerie. Cette milice armée qui devait débarquer à Saint-Barthélemy n'a jamais existé !
Il faut donc pouvoir centraliser l'information et diffuser une information fiable pour rassurer et, le cas échéant, alerter, afin que tout le monde puisse avoir les bons réflexes. Nous y travaillons pour tenter d'améliorer la situation.