Intervention de Général Allah Joseph Kouamé

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Allah Joseph Kouamé, directeur de l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme d'Abidjan :

L'Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), constitue un outil structurel de la stratégie de lutte contre le terrorisme en Afrique. Le Sahel fait face depuis près d'un quart de siècle à de nombreuses convulsions sécuritaires d'origine djihadiste. Dans le schéma d'expansionnisme djihadiste vers les pays du golfe de Guinée, la Côte d'Ivoire apparaît comme un objectif stratégique, d'autant plus qu'elle symbolise l'ancrage d'une présence occidentale visée par le narratif djihadiste.

Au regard de cette menace, la Côte d'Ivoire, en partenariat avec le gouvernement français, a créé l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Ce projet unique a été porté par nos deux présidents, le président Alassane Ouattara et le président Emmanuel Macron, lors du sommet Union africaine-Union européenne qui s'est tenu en novembre 2017 à Abidjan. L'objectif consiste à renforcer l'État de droit et la protection des populations africaines contre la menace terroriste, en améliorant la réponse des pays africains. L'Académie est donc le fruit d'une coopération bilatérale exceptionnelle entre la Côte d'Ivoire et la France. Elle s'offre comme un instrument interministériel au service de la formation, de l'entraînement et de la recherche dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

En premier lieu, le cadre normatif qui a permis la création de l'Académie est constitué de plusieurs accords intergouvernementaux du 21 décembre 2019, 19 juin 2021 et 6 avril 2023 ; complétés par des décrets. Enfin, la loi du 11 mars 2022 porte ratification de l'ordonnance de création de l'Académie.

Je souhaite ensuite vous entretenir des objectifs et les moyens de l'Académie, en commençant par sa cartographie. Celle-ci est située à soixante-cinq kilomètres d'Abidjan, dans la localité de Jacqueville, entre la mer et la lagune, et se déploie sur une superficie de 1 200 hectares.

L'Académie vise plusieurs missions. La première a pour objet de renforcer les capacités opérationnelles des unités engagées dans la lutte contre le terrorisme. La deuxième est de créer une communauté et une culture du terrorisme communes à la fois aux forces africaines ainsi qu'à leurs partenaires extérieurs. La troisième porte sur l'amélioration de la coordination interministérielle de tous les acteurs impliqués. L'Académie adopte une approche globale et inédite autour des quatre temps de la lutte contre le terrorisme : le renseignement, pour identifier les organisations, leur financement, leur personnel, ainsi que la doctrine ; la gestion d'une crise terroriste ; l'exploitation judiciaire du terrorisme et l'entrave financière, administrative et judiciaire aux réseaux terroristes. Le projet pédagogique s'articule autour de trois piliers : l'école interministérielle de formation des cadres créée en 2019 ; le complexe d'entraînement de forces spéciales et des unités d'intervention spécialisées créé en 2023 et l'institut de recherche dont le premier colloque s'est tenu en 2021.

En Côte d'Ivoire, la coordination de nos activités est assurée par la Primature et le ministère de la défense en assure la tutelle, en liaison avec les ministères de l'intérieur, de la sécurité, de la justice et des droits de l'homme. En France, le projet est porté par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui implique ses homologues des armées de l'intérieur ainsi que de la justice.

La gouvernance de l'Académie s'articule autour de trois points : le conseil d'administration, la direction générale et le comité scientifique. Le premier conseil d'administration a réuni en 2023 onze pays et organisations internationales, marquant ainsi l'ouverture de la gouvernance de l'Académie aux contributeurs extérieurs. Le deuxième conseil d'administration a eu lieu le 11 janvier 2024 et a regroupé seize pays et organisations internationales. La composition du conseil d'administration se décline de la façon suivante : les membres fondateurs sont la Côte d'Ivoire et la France ; les membres permanents sont l'Union africaine et la communauté des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao) ; les membres actifs sont les pays, les organisations internationales, les partenaires techniques et financiers dont la contribution annuelle minimale est de 500 000 euros. Un seuil minimum de 150 000 euros a été proposé pour devenir membre associé et sera rediscuté lors d'un comité technique à la demande du président du conseil d'administration. À cette occasion, les critères inclusifs seront proposés pour permettre aux pays africains d'y participer en mettant à disposition des experts.

Les financements de l'Académie sont multilatéraux et le premier contributeur demeure l'Union européenne (UE), qui a mis à disposition une contribution de 9,9 millions d'euros. Notre objectif consiste à pérenniser notre travail collectif et à promouvoir l'ancrage africain du projet avec l'adhésion de nouveaux pays africains au sein de la gouvernance.

De 2019 à 2023, nous avons eu à former un peu plus de 1 400 stagiaires, issus de vingt-six pays africains et nous avons enregistré 150 sessions de formations. Notre public provient généralement des quatre Afrique francophone, anglophone, lusophone et arabophone. Le public est constitué de statuts divers : des préfets, des magistrats, des policiers, des gendarmes, des militaires, des personnels de l'administration financière et pénitentiaire. Les experts sont essentiellement pour l'heure des Français et Ivoriens. Du côté de la Côte d'Ivoire, ils proviennent des forces spéciales, de la police nationale, des sapeurs-pompiers et du ministère de la justice. En France, ils proviennent du parquet national antiterroriste, de la sous-direction antiterroriste, de la direction générale des services intérieurs, du commandement des opérations spéciales, de la direction du renseignement militaire, du GIGN, du Raid, de l'école nationale de magistrature (ENM). Depuis six mois, nous avons observé la présence d'un contributeur extérieur allemand, issu de la structure GSG9.

En 2023, trente-trois stages ont été organisés, représentant quarante-cinq semaines de formation, pour 607 stagiaires dont 283 nationaux et 324 internationaux, tous issus de vingt-six pays d'Afrique. Au total, 599 stagiaires ont suivi le deuxième pilier deux et 408 le premier pilier. Le taux de participation des femmes est en légère hausse, soit 9 % des stagiaires et 32 % des experts pour le premier pilier.

Les activités de l'Académie se sont traduites par des partenariats, notamment avec l'office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, l'Organe international pour le contrôle des stupéfiants et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les interventions d'entités internationales ont permis au premier pilier de bénéficier de formations sur le droit international humanitaire. Le partenariat avec l'ONUDC a permis à l'Académie d'abriter sur son site une formation régionale au traitement des engins explosifs improvisés. Des séminaires ont été organisés au profit des parlementaires ivoiriens de la commission sécurité et défense.

Je souhaite enfin vous faire part des perspectives 2024, après avoir réalisé au quatrième trimestre 2023 un ponton lagunaire permettant le désenclavement de l'Académie. À sa proximité, nous avons pour projet de réaliser la zone contre-terrorisme maritime. Du premier trimestre 2024 au premier trimestre 2025, nous allons construire quatre bâtiments avec les fonds mis à disposition par l'UE. Au troisième trimestre 2024, nous allons réaliser trois infrastructures : le polygone explosif, le champ de tir 1 000 mètres conçu par les Américains et le parcours de tir adapté, qui sera construit par les Émiratis. Du premier au quatrième trimestre 2025, nous allons réaliser la zone de contre-terrorisme combat en terrain libre, la zone urbaine, la zone 3D et la piste d'audace.

En 2024, nous avons pour objectif de favoriser la dimension africaine de l'Académie, à travers sa labellisation comme centre d'excellence par l'Union africaine. Nous allons aider également au développement de la pédagogie en nous appuyant sur des partenariats de haut niveau, notamment avec l'ONUDC, l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, l'Institut international pour la justice et l'État de droit. Nous allons enfin sécuriser le site de l'Académie, par l'édification d'une clôture.

Nous mettons en place une lutte antiterroriste déterminée, respectueuse des droits de l'homme et des conventions internationales. Nous avons aussi pour ambition de recentrer et de revoir le recensement de nos efforts de formations, afin qu'elles portent encore plus sur l'état de la menace. En effet, comme vous le savez, cette menace est en train de descendre depuis les pays sahéliens vers les pays côtiers. Tout en maintenant la coopération avec les vingt-six pays, il s'agira donc d'organiser des stages à la carte au profit des pays côtiers de l'initiative d'Accra, c'est-à-dire le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Togo. Il sera également question de valoriser la participation des femmes aux formations de l'Académie. En outre, les bailleurs souhaitent être plus associés aux processus de sélection des stagiaires. Nous sommes donc en discussion, avec la DCSD pour en évaluer la faisabilité.

En conclusion, l'Académie est un modèle de coopération régionale unique et prometteur. En effet, dans un environnement où l'intervention des puissances occidentales est souvent mal perçue, en particulier par la jeunesse du continent africain, nous pensons que la meilleure réponse internationale à la lutte contre le terrorisme pourrait être la montée en puissance des outils africains. À ce titre, l'Académie est un outil précieux de renforcement capacitaire des pays africains.

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