Intervention de Général de corps d'armée Régis Colcombet

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général de corps d'armée Régis Colcombet, directeur de la coopération de sécurité et de défense, au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

C'est un vrai plaisir d'être ici avec vous ce matin pour partager mes réflexions sur la coopération portée en particulier par la DCSD, qui plus est en présence du général Kouamé. En effet, il est assez inédit qu'un officier général africain puisse venir ici témoigner de cette coopération partagée. Je voudrais d'ailleurs commencer par remercier le gouvernement ivoirien, qui a donné tout de suite un accord de principe lors du conseil d'administration de l'Académie il y a quinze jours. J'y vois un symbole de l'importance portée par le gouvernement ivoirien à ce projet commun.

La DCSD est un outil unique, sans équivalent dans le monde des coopérations internationales. Outil pleinement interministériel, elle est l'opérateur régalien qui porte les coopérations de sécurité, de défense et de protection civile. La DCSD, issue du ministère de la coopération, a été intégrée au Quai d'Orsay dans les années 2000. Elle est aujourd'hui pleinement une direction de la direction générale politique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, au contact quotidien des directions géographiques, mais aussi des autres acteurs de la coopération que sont la direction générale de la mondialisation (DGM) et le centre de crise.

En 2008, à la suite des travaux sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la direction de la coopération militaire et de défense (DCMD) est devenue la DCSD. A été alors incorporé à la partie militaire qui préexistait l'ensemble du spectre des coopérations d'État, en particulier la police, la gendarmerie, la protection civile. Cet aspect interministériel se développe, intégrant dans le réseau des douaniers, un magistrat et surtout les affaires maritimes, qui prennent de plus en plus d'importance.

La DCSD est présente dans une cinquantaine de pays, à travers 300 experts et coopérants déployés, soit un réseau relativement important, même s'il est presque dix fois inférieur à ce qu'il a pu être une trentaine d'années auparavant. Il permet néanmoins de couvrir de nombreuses thématiques différentes. Historiquement, deux tiers de la présence de la DCSD se situent sur le continent africain et deux tiers des actions sont menées par le ministère des armées. Deux expansions importantes sont en cours : une expansion géographique et une expansion thématique. L'expansion géographique vise à mieux couvrir l'Indopacifique, se traduisant par des projets à Singapour, au Sri Lanka, en Australie et dans les îles du Pacifique autour de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit en outre d'ouvrir des coopérations en Europe, puisque nous allons déployer un coopérant spécialisé en formation sur le déminage en Ukraine, et un autre en Moldavie. La deuxième expansion, thématique, est plus ancienne, mais elle concerne aujourd'hui des champs nouveaux, en particulier la cybersécurité, demande croissante de nos partenaires, mais également la protection civile et la francophonie.

Nos deux grands modes d'action sont le renforcement de capacités à travers la formation et le développement de projets.

Au titre de la formation, environ 1 200 stagiaires étrangers viennent chaque année en France suivre des scolarités dans nos écoles, qu'il s'agisse d'écoles de formation initiale ou des écoles comme l'École de guerre à Paris, l'école des commissaires à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, les écoles de police ou les écoles de formation pour les affaires maritimes. Mais la DCSD dispose surtout d'un réseau unique à l'international, portant sur des académies et des centres de formation, à l'instar de l'AILCT. Au Liban, par exemple, l'Académie de police d'Aramoun, forme les commissaires de police de la région, en partenariat avec l'université de Lyon 3, qui forme précisément les commissaires de police français à l'école de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or. Nous sommes également présents dans d'autres centres de formation, des centres de formation au Maintien de la Paix par exemple, mais le cœur du réseau de la DCSD est constitué par les ENVR, les écoles nationales à vocation régionale, porté par les pays, mais en lien très étroit avec notre direction.

Le principe est le suivant : le pays met à disposition une infrastructure, l'hébergement, la direction de l'école ; la partie française propose l'ingénierie pédagogique et surtout finance l'ensemble des stagiaires de la sous-région. Ce réseau d'écoles couvre une vingtaine de pays, sur une dizaine de thématiques. A titre d'exemple, je pense à la seule école de cybersécurité du continent africain située à Dakar, à une école de police judiciaire à Djibouti, un pôle santé au Togo et au Gabon qui forme des médecins militaires, une école de sécurité maritime à Abidjan et une école de déminage au Bénin.

Ce réseau d'écoles constitue une spécificité française, qui sera le point de démarrage de l'expansion de nos coopérations dans les dix ans à venir, en particulier avec nos alliés et partenaires européens, qui nous demandent d'utiliser ces centres comme des hubs de formation dans lesquels ils pourraient envoyer leurs experts. L'AILCT est un peu l'école phare de ce réseau, car elle embarque aujourd'hui treize partenaires internationaux et dispose d'un budget de plus de soixante millions d'euros d'investissement. Surtout, son organisation se fonde sur trois piliers, dans un dispositif assez novateur. Le premier, interministériel, permet d'étudier et d'enseigner la lutte contre le terrorisme sous un angle judiciaire (police et magistrature). Le deuxième pilier concerne la formation opérationnelle avec les unités spécialisées, comme le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), le Raid ou les forces spéciales. Le troisième pilier est un centre de recherche, qui permet aussi de financer des bourses et un écosystème de chercheurs africains dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

Pour terminer, cette année, nous allons créer ou transformer cinq nouvelles écoles : un centre de formation cyber au Monténégro en partenariat avec la Slovénie, une école de formation maritime au Sri Lanka, une école de lutte contre la criminalité environnementale des espaces naturels au Congo, une école de transmissions, qui sera positionnée à Abidjan et la transformation de l'école de guerre à Kinshasa en ENVR.

Le deuxième mode d'action concerne les projets menés, qui sont portés par un coopérant, souvent en lien avec un opérateur, par exemple Expertise France, Défense conseil international (DCI), l'Economat des armées, Civipol, l'Agence française de développement (AFD) ; mais également des opérateurs étrangers comme Enabel, Coginta…. Dans ce cadre, le rôle de la DCSD, en convention avec ces opérateurs est de jouer un rôle d'incubateur ou de catalyseur, pour développer des projets.

En Afrique, nous appuyons notre action sur des stratégies définies en lien avec le ministère des armées, le ministère de l'intérieur et les directions du Quai d'Orsay. L'objectif consiste à participer à l'endiguement des menaces autour de la périphérie de la bande sahélienne, à renforcer nos capacités d'action en mer dans le golfe de Guinée et les espaces de souveraineté autour de la zone sud de l'océan Indien, de la Réunion et de Mayotte. En matière thématique, notre action met en œuvre des stratégies dédiées sur la partie cyber, la partie sécurité intérieure et la partie formation.

L'Afrique constitue deux tiers de notre portefeuille, à travers une trentaine de pays, une vingtaine d'écoles et plus de 200 coopérants. L'actualité est dense : nous terminons le mouvement de réorganisation après la fermeture de trois dispositifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Cette réorganisation se traduit par la relocalisation de quatre écoles qui étaient présentes dans ces pays : l'école logistique est partie au Bénin ; l'Académie des frontières menée par les Douanes sera relocalisée au Bénin aussi ; l'école de protection civile passera de Ouagadougou à Djibouti ; et l'école de formation des Infirmiers rejoindra le pôle de santé de Lomé au Togo.

Le deuxième axe de l'actualité africaine concerne l'appui au ministère des armées dans la transformation des bases, afin d'y intégrer des centres de formation et des académies portées en commun avec la DCSD. À Abidjan, au camp de Port-Bouët, une école de transmission verra le jour pour former des spécialistes. Au Gabon, une école d'administration sera intégrée sur le camp de Gaulle.

Simultanément, nous recevons de multiples demandes de nos partenaires en faveur d'une coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité intérieure. Je pense ainsi à l'école cyber de Dakar, hub technique en pleine expansion, qui sera peut-être répliqué en Afrique du Sud, pays qui souhaite s'équiper pour tracer les crypto-monnaies. Un autre axe d'effort porte sur la protection civile en Afrique, en particulier en Afrique de l'Ouest. Des pays comme le Cameroun, le Bénin, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, nous demandent ainsi d'investir massivement pour développer des centres de secours, un maillage territorial et parfois même un numéro d'appel centralisé pour le pays. Un dernier axe d'expansion porte sur la formation professionnelle. En Guinée Conakry et en République démocratique du Congo, nous menons deux projets dans ce domaine. Il s'agit de former soit des jeunes qui étaient dans des rébellions, pour leur permettre de se reconvertir ; soit des jeunes qui sont sortis du système scolaire et ont besoin de formation.

Enfin, nous entrons dans une nouvelle période marquée par des transformations, mais aussi un nouveau dialogue avec nos partenaires, qui se traduit par des opportunités. Dans ce cadre, le formidable réseau d'écoles et d'académies que je vous ai brièvement décrit sera en partie le point d'ancrage de développement de ces coopérations.

Vers nos partenaires européens d'abord, en permettant l'ouverture de ces centres et de ces écoles à une action commune. L'UE a lancé la Security and defence initiative qui pourra s'y déployer. Nous y voyons plusieurs avantages, dont bien sûr celui de partager les financements. À ce titre, l'AILCT constitue un exemple marquant puisque treize pays bailleurs sont présents. Cette expansion vers des partenaires nécessitera cependant un effort de gouvernance dans ces écoles, afin de disposer d'un conseil d'administration structuré.

D'autres initiatives voient le jour dans le cadre de ce dialogue renouvelé avec nos partenaires : nous développons un jumelage entre nos lycées militaires et leurs homologues africains. Un séminaire vient d'ailleurs de se dérouler à Tours. Des échanges de cadres interviennent également, pour développer une réciprocité qui est très enrichissante avec des cadres africains qui sont présents dans nos écoles en tant que formateurs.

Le troisième axe porte sur l'augmentation des offres de formation, en France en particulier, afin de développer la surface de contact. Elle se traduit par une hausse du nombre de places dans les structures qui existent, mais aussi par des formations nouvelles, à l'école des administrateurs maritimes du Havre, dans les écoles de sapeurs-pompiers, dans le domaine de la formation aux médias. Nous allons essayer de doubler le nombre de places offertes à nos partenaires africains dans les cursus de formation français.

Enfin, je souligne le rôle de catalyseur en lien avec l'équipe France, avec tous les opérateurs, au sein d'un paysage de coopération de plus en plus complexe et de plus en plus concurrentiel. La DCSD joue un rôle d'incubateur pour porter l'expertise gouvernementale d'un projet avec le partenaire et l'ambassade. À ce titre, le portage type est celui que nous développons à Singapour sur le projet Global port security, pour la sécurité portuaire d'une dizaine de ports autour de la région de Singapour. Il s'agit à la fois de gérer des incidents réels qui ont eu lieu dans ces ports, mais également de diffuser les bonnes pratiques et de travailler à la prévention des risques. Dans ce cadre, un expert spécialiste de la protection civile français basé à Singapour s'appuiera sur un opérateur et l'Union européenne, qui finance le projet à hauteur de six millions d'euros.

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