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Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2024 à 9h00
Réduction de l'impact environnemental de l'industrie textile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Pour les commerçants comme pour les industriels français, les plateformes de commerce en ligne telles que Shein sont un véritable fléau, tant la concurrence qu'elles imposent est problématique : ces plateformes sont abreuvées chaque année par des dizaines de milliers d'articles, proposés à des prix défiant toute concurrence. De ce fait, l'industrie textile française est en danger, alors qu'elle compte encore 2 500 entreprises et emploie 32 000 salariés, rien qu'en France. Les chiffres sont éloquents : en 2022, les Français ont consommé 3,3 milliards de vêtements, chaussures et articles de linge de maison, soit une cinquantaine de pièces neuves par an et par Français ; dans les années 1980, c'était deux fois moins.

La proposition de loi s'attaque au marché de la fast fashion – mode express, mode éphémère ou encore mode jetable – pour rendre la mode plus éthique et plus écologique. C'est une saine ambition, l'industrie textile étant responsable de pas moins de 10 % des émissions de gaz à effet de serre et rejetant à elle seule 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an dans l'atmosphère. La pollution textile n'est pas nouvelle. En 2017, à partir des données d'Oekom Research, le Fonds mondial pour la nature (WWF) avait classé les entreprises du secteur en fonction des mesures environnementales qu'elles appliquaient : 33 % étaient au-dessous de la moyenne et 33 % autres étaient en retard ou adoptaient des pratiques très opaques empêchant d'évaluer leur impact environnemental. Autrement dit, moins de la moitié des acteurs du secteur avaient réellement pris conscience des enjeux et de l'impact de leur activité sur l'environnement.

La demande de vêtements devrait continuer de croître, passant de 62 millions à 105 millions de tonnes d'ici à 2030. À l'heure où les changements climatiques sont palpables, il est urgent d'agir, d'autant plus que, depuis l'arrivée du commerce en ligne, il est très facile de se procurer de nombreuses marques étrangères bon marché.

Il faut savoir que les produits fabriqués par ces entreprises du bout du monde, le plus souvent en Asie, utilisent 4 % des ressources en eau potable de la planète. Une fois le vêtement fabriqué, l'eau utilisée est polluée, car souvent peu ou pas traitée. Le produit effectue, lui, un parcours de 40 000 kilomètres en moyenne, et un jean peut parcourir jusqu'à 65 000 kilomètres entre le champ de coton et la boutique où il est mis en vente.

Par ailleurs, acheter des vêtements vendus par les distributeurs de fast fashion, c'est bien entendu encourager la précarité sociale, économique et financière des salariés travaillant directement ou indirectement pour ce type d'entreprise. Un exemple en dit long : 20 % du coton utilisé dans le monde est cultivé dans le Xinjiang, peuplé de Ouïghours, une minorité musulmane réprimée par Pékin. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'industrie textile peine à montrer patte blanche. Selon un rapport de l'Australian Strategic Policy Institute publié en mars 2020, quatre-vingt-trois marques de renommée mondiale participeraient à l'exploitation de cette minorité en Chine, dont trente-huit dans le secteur du textile. Concrètement, entre 2017 et 2019, pas moins de 80 000 Ouïghours auraient été transférés dans vingt-sept usines chinoises fournissant quatre-vingt-trois grands noms du textile, de la technologie et de l'automobile.

Face à cette concurrence aussi déloyale que sordide, il est temps d'agir. C'est ce qu'entreprend cette proposition de loi. Elle prévoit plusieurs mesures, dont l'instauration d'un malus sur les produits de fast fashion assorti d'une interdiction de publicité pour les sites concernés, tandis que les entreprises vertueuses se verront, elles, attribuer un bonus. Petit bémol : vous renvoyez le détail de ces mesures à des décrets ultérieurs, ce qui laisse les acteurs du secteur dans un flou pour le moins angoissant.

Autre inquiétude : les droits de douane. L'ultrafast fashion inonde le marché de produits sans aucune traçabilité. Or, en Europe, aucun droit de douane n'est dû si la valeur des biens expédiés est inférieure à 150 euros, ce qui concerne environ 95 % des paniers de ces monstres du textile bas de gamme. Selon Bercy, les droits de douane devraient être rectifiés en 2028 ; c'est beaucoup trop tard et malheureusement, certains acteurs seront morts d'ici là.

Le chemin à parcourir est encore long pour réguler efficacement la fast fashion. Cette proposition de loi s'inscrit, tout comme la loi Agec, dans une dynamique positive pour protéger et développer l'industrie du textile français, et je la voterai, bien évidemment. Mais elle doit avant tout éviter l'affichage. Prochaine étape : soutenir le made in France, qui ne demande qu'à se développer.

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