Intervention de Anne-Cécile Violland

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2024 à 9h00
Réduction de l'impact environnemental de l'industrie textile — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Cécile Violland, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

L'urgence est là. Les activités humaines bouleversent l'environnement à un rythme et avec une ampleur sans précédent depuis des millénaires, voire des centaines de milliers d'années, entraînant des impacts toujours plus ravageurs, généralisés et désormais pour partie irréversibles. Alors que les vies de milliards de personnes en sont déjà affectées, un changement climatique de plus 4 degrés annoncerait des menaces accrues sur la production alimentaire, des vagues de chaleur intenses et des tensions sur l'approvisionnement en eau dans des régions entières qui ne pourront plus compter sur la fonte estivale des neiges de glaciers disparus. Dans certaines régions où habitent près de 2 milliards de personnes, les climatologues prévoient des variations de précipitations de 40 %, en positif ou en négatif selon les zones géographiques, avec les incidences que l'on peut imaginer en termes d'inondation ou de sécheresse. Au total, c'est près de la moitié de l'humanité qui pourrait être confrontée à un stress climatique dramatique d'ici à la fin du siècle, et au lot de tensions géopolitiques que cela entraînerait.

Face à ce scénario du pire, nous ne pouvons que constater notre aveuglement collectif, qui est aussi celui d'un modèle économique en rupture avec le constat scientifique, où la hiérarchie des prix nous incite trop souvent à faire le choix du pire pour l'environnement : l'avion est moins cher que le train pour rejoindre une capitale européenne, la malbouffe est plus accessible que l'alimentation de qualité, locale et durable, et les produits importés de l'autre bout du monde, produits sans respecter aucune norme avec de l'énergie issue du charbon, sont plus compétitifs que nos industries décarbonées.

S'il est bien un secteur où ce constat est frappant, c'est celui de l'habillement, qui nous submerge d'injonctions permanentes et quotidiennes à la surconsommation : marketing publicitaire agressif, nouvelles collections hebdomadaires et même quotidiennes, ventes flash et surtout prix cassés. Ainsi, en l'espace de deux décennies, le prix moyen des vêtements a diminué de 30 % et les quantités achetées ont doublé : 3,3 milliards de vêtements seraient mis sur le marché chaque année, soit 1 milliard de plus qu'il y a dix ans ! Cela représente quarante-huit nouveaux vêtements par habitant chaque année ! Cet emballement, évidemment décorrélé de toute dynamique démographique ou de tout réel besoin, conduit à moins porter les vêtements et à les reléguer plus rapidement au fond de nos placards pour, au bout de quelques années, finir par les jeter. Les chiffres sont frappants : on estime qu'un tiers seulement des vêtements jugés en fin de vie le sont en raison de leur usure ou de leur détérioration ; on parle même d'obsolescence émotionnelle pour qualifier cette faible durabilité extrinsèque des vêtements.

Cette surconsommation est en fait intimement liée à la montée en puissance de nombreuses enseignes dites de fast fashion ou d'ultrafast fashion – soit, en bon français, de mode express ou jetable. Avec des prix défiant toute concurrence, elles inondent le marché d'une quantité de nouveaux modèles sans commune mesure avec ce qui se pratiquait auparavant, renouvelant de manière quasi permanente leurs collections, pour une durée de commercialisation très courte et en proposant des promotions continues afin de créer des effets de mode et de provoquer un réflexe d'achat régulier chez les consommateurs. Écrasant toute concurrence, en particulier celle des acteurs du textile traditionnel français, le modèle de la mode jetable et de ses prix chocs tend à s'imposer.

Mais ces prix bas ne sont possibles qu'au détriment du respect d'exigences sociales et environnementales élémentaires. Et c'est bien le citoyen qui, in fine, contribue à la lutte contre les dégâts causés par ce mode de production en finançant les services de collecte et de gestion des déchets ou les opérations de dépollution – sans parler des ressources publiques mobilisées pour faire face à la multiplication des aléas climatiques et des événements extrêmes tels que les inondations, les tempêtes, les sécheresses, etc. En vendant leurs produits à des prix si bas, les entreprises de la mode éphémère écrasent la concurrence et font des profits, mais laissent à la collectivité une facture considérable !

C'est pour corriger cette prime au vice que je défends devant vous la présente proposition de loi, qui s'appuie sur trois piliers.

Le premier est l'information du consommateur. Beaucoup l'ignorent, mais l'industrie du textile représente environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre, et ce chiffre pourrait même atteindre 26 % en 2050 si les tendances actuelles de consommation se poursuivent. Au-delà de l'impact sur le climat, la fabrication de polyester – matière première la plus produite par le secteur –, nécessite chaque année 70 millions de barils de pétrole, tandis que le coton, principale alternative végétale aux fibres synthétiques, est la culture la plus consommatrice de pesticides au monde, mobilisant plus de 10 % des volumes épandus. Au stade de la fabrication des vêtements, leur teinture requiert la mobilisation de substances toxiques, qui finissent dans les milieux aquatiques : 20 % de la pollution des eaux dans le monde serait imputable à la teinture et au traitement des textiles – en Chine, 70 % des rivières et des lacs sont concernés. Enfin, au fil de la vie des vêtements, lors de chaque lavage, ceux comportant des matières synthétiques relâchent dans l'environnement des microfibres qui représentent, chaque année, l'équivalent de plus de 24 milliards de bouteilles en plastique : près de 35 % des microplastiques présents dans les océans proviennent du secteur textile.

Face à ces effets et à la responsabilité de la mode éphémère dans l'augmentation des volumes mis sur le marché, l'article 1er de la proposition de loi vise à définir la pratique commerciale de la mode éphémère et à imposer qu'un message d'information et de sensibilisation du consommateur sur l'impact environnemental de cette industrie figure sur les sites internet des enseignes et soit accompagné d'une incitation au réemploi, au recyclage et à la réparation des vêtements et des accessoires.

Le deuxième pilier est la responsabilisation des entreprises du secteur. L'article 2 vise ainsi à faire évoluer les pratiques des producteurs tout comme les comportements d'achat des consommateurs. Les entreprises de la filière textile seront soumises à un système de primes ou de pénalités selon les articles qu'ils mettent en vente. Le paiement de la pénalité sera probablement répercuté par une hausse des prix pour le consommateur, envoyant ainsi un signal-prix. Le prix du produit reflétera ainsi mieux la réalité de son impact environnemental, donnant l'occasion aux Français de s'interroger sur le modèle que leur consommation soutient et de se tourner vers des habits de meilleure qualité et plus durables. Alors que la France vient de traverser une crise du monde agricole, la question du juste prix de nos produits de consommation fait écho aux revendications des agriculteurs. J'entends parfois dire que nous projetons d'instaurer une taxe supplémentaire, mais cela n'a rien à voir : l'État ne percevra aucun centime de ces contributions, qui seront directement gérées par la filière de l'habillement et redistribuées immédiatement, dans leur intégralité, pour faire baisser significativement le prix des vêtements durables, encourager la seconde main ou encore financer la prise en charge de la réparation des vêtements ou des chaussures.

Au-delà de son impact écologique, une telle mesure permettra d'assurer une concurrence plus équitable pour le secteur textile français et européen, et de relocaliser de nombreuses industries et emplois sur notre continent. C'est là un enjeu crucial après des décennies de délocalisations de la production et une division par trois du nombre d'emplois dans l'industrie textile depuis 1990, sans parler de la multiplication récente des entreprises placées sous redressement judiciaire. Fait méconnu du grand public, l'industrie du textile et de l'habillement pèse d'ailleurs de plus en plus fortement sur le déficit commercial français : elle l'alourdit de 12 milliards d'euros, soit plus de 20 % du déficit global du pays hors énergie, ce qui en fait la troisième industrie la plus déficitaire en termes de balance commerciale.

Enfin, l'article 3 prévoit d'interdire la publicité, particulièrement intrusive et ciblée, des entreprises de la mode éphémère. Je défends une ambition forte : l'interdiction de toute forme de publicité, directe ou indirecte, traditionnelle ou sur les réseaux sociaux, des marques comme des influenceurs pour ce qui relève de la mode éphémère. En réalité, il ne s'agit pas d'une mesure radicale, mais seulement d'une mesure de bon sens si nous voulons être sérieux dans notre détermination à tenir nos objectifs climatiques.

Voilà donc les principales mesures dont nous allons pouvoir débattre. Elles ont été nourries des très nombreuses auditions que j'ai eu la chance de conduire dans le cadre de la préparation de ce texte. Je tiens à remercier les différents groupes politiques pour la qualité des échanges transpartisans qui nous ont animés. Comme vous tous, je sais l'impact social de la production textile à bas prix, souvent lointaine et délocalisée. Nous aurons l'occasion d'y revenir mais, malheureusement, ce texte, présenté dans le cadre d'une niche parlementaire, ne peut traiter l'ensemble des problèmes du secteur, en raison de l'angle environnemental que j'ai retenu. Je mesure la frustration que cela peut susciter et je la partage.

En conclusion, je veux saluer, monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, votre audace et votre courage politique face à ce phénomène de la mode éphémère et vous remercier pour votre soutien sur cette proposition de loi ainsi que pour les annonces valant engagement que vous avez assumées. Je remercie aussi le groupe Horizons de m'avoir fait confiance et permis de présenter cette proposition de loi.

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