Rappelons en effet que la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, plus couramment nommée « pension alimentaire », est une obligation clairement affirmée à l'article 371-2 du code civil, et que le parent créancier est fondé à demander au parent débiteur de s'en acquitter.
La création de l'Aripa, le 1er janvier 2017, a marqué une étape décisive permettant d'améliorer le recouvrement des créances et le versement, le cas échéant, des aides sociales adaptées à la situation spécifique du parent créancier. Afin de prévenir les impayés et non plus seulement de les recouvrer, l'instauration, au 1er juin 2020, d'un véritable service public d'intermédiation financière des pensions alimentaires (IFPA) a conforté cette avancée.
Néanmoins, partant du constat qu'une intermédiation fondée uniquement sur la base du volontariat ne permettait pas une montée en charge suffisamment puissante pour pallier les défaillances des parents débiteurs, nous avons instauré, depuis le 1er janvier 2023, une intermédiation financière systématique pour la partie numéraire des pensions alimentaires. Concrètement, toute pension alimentaire fixée par un titre exécutoire, c'est-à-dire une décision judiciaire ou une convention entre les parents, homologuée par un juge ou par l'organisme débiteur des prestations familiales, est versée automatiquement par l'intermédiaire de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA), selon la situation des parents.
Le principe de l'intermédiation est donc désormais la norme et ne souffre que deux exceptions : le refus des deux parents, pouvant intervenir à tout moment dès lors qu'il est exprimé dans le titre exécutoire ; une décision spécialement motivée du juge, lorsque ce dernier estime – le cas échéant d'office – que la situation de l'une des parties ou les modalités d'exécution de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant sont incompatibles avec sa mise en place. Lorsque le parent débiteur a fait l'objet d'une plainte ou d'une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l'enfant, l'intermédiation financière est automatique, même en cas de refus du parent violent.
S'il est évidemment prématuré de faire le bilan du dispositif, tous les acteurs auditionnés lors des travaux préparatoires de la commission ont salué sa très forte montée en puissance, qui appelle désormais à une consolidation et à une appropriation de l'outil par les différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des parents eux-mêmes ou des avocats.
Le dispositif que je présente aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de ces différentes réformes. Il vise à répondre à une situation que nous peinons à quantifier mais qui n'en demeure pas moins réelle : celles d'enfants majeurs percevant directement une pension alimentaire de la part du parent débiteur. Il est difficile d'évaluer le nombre d'enfants majeurs concernés, car le versement intervient dans bien des cas de manière informelle, par un accord oral entre les deux parents, lorsque le jeune quitte le foyer familial du parent qui en a la charge pour suivre ses études. Cependant, les travaux préparatoires à l'examen du texte ont permis d'estimer que 5 % des médiations familiales assurées par la caisse d'allocations familiales concernent des relations entre les parents et des enfants adolescents ou jeunes majeurs. Nous ne pouvons pas affirmer que toutes ces médiations portent sur le versement des pensions alimentaires, mais ce chiffre permet, malgré tout, d'établir un ordre de grandeur.
Si le versement de la pension à l'enfant est donc le plus souvent informel, cette possibilité est expressément prévue par la loi, puisque l'article 373-2-5 du code civil dispose que « le juge peut décider ou les parents convenir que [la] contribution sera versée en tout ou partie entre les mains de l'enfant [majeur]. » Dans une telle situation, le versement de la pension alimentaire reste un droit dû au parent créancier et non à l'enfant majeur, qui ne peut d'ailleurs pas le solliciter auprès du juge aux affaires familiales. Par conséquent, en cas de difficulté de versement, c'est toujours le parent ayant la charge principale de l'enfant qui doit engager une procédure pour le recouvrement de la créance, puisque la décision fixant la pension alimentaire crée une obligation entre les deux parents et non envers l'enfant.
Une situation de ce type peut être délicate pour le jeune majeur devenu autonome, qui ne souhaite pas forcément ouvrir un conflit entre ses deux parents, mais a besoin de sa pension alimentaire mensuelle pour vivre. En effet, la pension alimentaire n'est pas qu'une simple obligation alimentaire couvrant les besoins vitaux, telle que la définissent les articles 205 et 207 du code civil : il est bien question ici d'un montant suffisamment élevé pour couvrir les besoins d'entretien et d'éducation de l'enfant, par exemple des frais de scolarité.
Dans un souci de soutien au pouvoir d'achat des jeunes, qui vivent souvent dans la précarité, je souhaite leur ouvrir la possibilité de bénéficier d'une intermédiation financière, afin de prévenir les situations d'impayés. L'article 1er de la proposition de loi vise, d'une part, à compléter les dispositions du code civil relatives à la situation de l'enfant majeur percevant la pension alimentaire, en précisant que l'intermédiation financière prévue depuis le 1er janvier 2023 pour les parents est « mise en place lorsque la contribution est directement versée à l'enfant majeur par le parent débiteur ». Dans le respect de la notion d'autorité parentale telle qu'elle est conçue dans notre droit, cette intermédiation ne pourra pas être sollicitée directement par l'enfant : elle supposera l'accord des deux parents ou une décision du juge.
D'autre part, les dispositions relatives au rôle des organismes débiteurs des prestations familiales en matière d'intermédiation financière, définies à l'article L. 582-1 du code de la sécurité sociale, seront étendues aux cas concernant l'enfant majeur. Un décret en Conseil d'État viendra préciser les modalités pratiques d'extension du dispositif aux jeunes majeurs, afin de préserver, notamment, la spécificité des droits ouverts aux parents débiteurs qui ne pourront pas l'être aux enfants majeurs.
Pour que toutes les parties prenantes puissent se saisir de ce nouveau dispositif et déployer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre opérationnelle, nous avons adopté, en commission, un amendement visant à différer l'entrée en vigueur du texte à une date fixée par décret, qui ne pourra pas dépasser le 1er janvier 2026. Au vu des délais inhérents à la navette parlementaire et de la situation tendue des greffes, une telle échéance me paraît raisonnable et réaliste.
L'article 2 prévoit, de manière assez habituelle, la compensation financière de la charge que devront supporter les organismes débiteurs des prestations familiales, notamment pour déployer un nouveau système d'information.
En conclusion, je tiens à remercier l'ensemble des groupes politiques, qui ont unanimement soutenu cette initiative en commission, et plus particulièrement le groupe Horizons, qui a choisi démocratiquement de faire figurer ce texte à l'ordre du jour de notre niche, a fortiori en première position. Du fait de la procédure de législation en commission, nous nous retrouvons en séance pour nous prononcer par un vote unique sur l'ensemble de la proposition de loi ; elle réunira de nouveau, je l'espère, tous les suffrages en sa faveur.
Avant de terminer, permettez-moi d'avoir une pensée pour une amie et collègue élue, Anne Reymann, conseillère au sein de la collectivité européenne d'Alsace, qui m'a inspiré cette proposition de loi, ainsi que pour tous ceux qui m'ont fait part de leur témoignage, notamment les jeunes étudiants et les jeunes majeurs.