Je voudrais commencer mon intervention en citant Akhenaton, lui-même opposé à cette proposition de loi : « la vie, c'est pas blanc ou noir, c'est un joyeux bordel ». Non, tout ne peut pas entrer dans des cases, tout n'a pas vocation à être dirigé de la même manière et si parfois tout se ressemble, rien ne s'assemble. Hip-hop, danses traditionnelles, niçoises ou franc-comtoises, breakdance : autant d'expressions artistiques qui n'entrent dans aucun cadre, qui sont porteuses d'un héritage culturel et artistique qui leur est propre, qui transmettent un patrimoine, une histoire et un récit. Certaines d'entre elles émergent des rues, des quartiers, sont formées par les histoires et les luttes de communautés marginalisées. Elles nous rappellent que la créativité n'a ni limite, ni cadre : essayez d'enfermer la liberté, elle ressortira par la fenêtre.
Elles sont nombreuses, ces pratiques de danse, à redonner de l'espoir et un cap à des jeunes parfois déscolarisés et laissés au bord du chemin. Ces pratiques ne s'apprennent pas en suivant des cours de neuf heures à dix-sept heures dans des centres de formation trop étriqués pour y rêver confortablement. Elles s'apprennent plutôt dans les gares de RER, au pied des cités ou encore dans le quartier du Châtelet. Elles ont été apprises à Sarcelles par les Twins, désormais danseurs officiels de Beyoncé, à Corbeil-Essonne par Kantyn, qui a arraché le prix de meilleur danseur hip-hop en 2022 ou à Lyon par Brahim Zaibat, chorégraphe et danseur de Madonna.
Ce ne sont pas des diplômes ou des cours académiques qui ont forgé hier les talents d'aujourd'hui. À cet égard, je regrette le manque de concertation avec les acteurs concernés, qui ont été nombreux à nous faire part de leurs craintes vis-à-vis de l'application de cette proposition de loi. Celle-ci prévoit l'extension d'un système qu'ils jugent inquiétant, en opposition duquel ils se sont construits : il leur imposera une pensée unique, une pratique unique, diffusée dans l'ensemble du territoire par un diplôme d'État.
Néanmoins, certaines dispositions ouvrent la voie à des évolutions bénéfiques de la loi. La danse, en tant que moyen d'expression, doit en effet être exercée dans des lieux sécurisés, propices à l'épanouissement et à la confiance. Comme nous l'avons indiqué dans le cadre des débats de commission, nous accueillons ainsi favorablement l'extension du contrôle de l'honorabilité à l'ensemble des professeurs de danse. Dans une discipline où le rapport au corps est omniprésent, une telle mesure était nécessaire, pour les victimes de Julien Vincent en Guadeloupe, pour Yanis Marshall et tant d'autres. Mais elle doit être strictement limitée et viser, par exemple, les coupables d'agressions sexistes et sexuelles, d'apologie du terrorisme ou de violences. Nous ne voyons en revanche aucune pertinence à prononcer une interdiction d'exercer contre des personnes ayant participé à des manifestations non déclarées. Si une telle disposition était votée, elle porterait un sérieux coup de canif à la réinsertion sociale, que la majorité d'entre nous appelle pourtant de ses vœux.
Il nous est donc impossible de voter en l'état cette proposition de loi – qui peut toutefois évoluer au fur et à mesure de nos discussions. Impossible, car dans sa rédaction même, ce texte tend à encadrer la liberté. Impossible, car dans son esprit, il théorise la créativité. Impossible enfin, car il prétend faire la leçon à des artistes qui sont aujourd'hui au sommet de la scène chorégraphique française. Nous avons pourtant tenté d'adoucir les conséquences de cette proposition de loi, en travaillant – et je les en remercie – avec les rapporteures et des députés de la majorité, notamment Violette Spillebout. Je vous le demande : n'enfermez pas la liberté. Les grands danseurs ne sont pas grands grâce à leur technique, ils le sont grâce à leur passion.