Intervention de Marine Jeantet

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

. – La principale différence entre le modèle français et le modèle espagnol est que l'organisation espagnole repose surtout sur des centres privés, organisés de manière très efficace mais avec un coût non négligeable pour les patientes. C'est la principale différence, avant même de parler des techniques et des aspects médicaux.

Il y a plusieurs sujets à évoquer. D'abord celui de l'autoconservation des gamètes à des fins non médicales, des ovocytes pour les jeunes femmes, car ce sont surtout les jeunes femmes qui ont recours à cette autoconservation. En France, le Parlement a choisi de réserver cette pratique aux établissements publics. La question peut être débattue, car cette pratique ne s'inscrit pas dans une démarche de don. On peut donc questionner cette réserve faite aux seuls services publics, sachant qu'en Espagne, on rembourse l'action des centres privés. De plus, environ 50 % de l'offre de soins d'AMP en France se trouve dans le privé. On peut donc se demander, comme c'est à des fins personnelles et comme ces jeunes femmes pourraient avoir recours à une AMP classique avec un compagnon par la suite dans le privé, pourquoi les empêcher de les autoconserver dans le privé ? Tout dépendra des décisions qui seront prises par nos tutelles et par le Parlement, car il faut passer par la loi pour modifier cette règle. Je pense néanmoins que cela va quand même dans le sens de l'histoire d'ouvrir cette possibilité en France.

Pour tout ce qui relève du don, en revanche, je pense qu'il faut rester très prudent. Les dérives peuvent arriver assez facilement. Le cadre français est relativement sécurisant. L'important est plutôt de susciter plus de dons. C'est ce à quoi l'Agence s'emploie, car on va bientôt arriver en pénurie de gamètes. On est déjà en tension sur les ovocytes. Comme je l'ai dit, il existe une possibilité : si des jeunes femmes autoconservent leurs ovocytes mais n'y ont finalement pas recours, parce qu'elles ont une grossesse autrement, elles pourraient en faire don à des personnes qui sont en attente. Il y a peut-être une sensibilisation à faire sur ce point. Ceci pourrait réduire drastiquement les délais, mais pas avant quelques années, car les jeunes femmes qui viennent de conserver leurs ovocytes ont encore le temps de les utiliser. Quoi qu'il en soit, je pense que cela représente une source potentielle d'ovocytes.

S'agissant des spermatozoïdes, nous n'avons pas connu de baisse du nombre de donneurs, malgré l'ouverture de l'accès aux origines. Elle n'est pas un frein, en tout cas on ne le constate pas actuellement. Pour autant, le nombre de donneurs ne suffit pas pour faire face à la demande. On a mutualisé l'ancien stock, car on a jusqu'à mars 2025 pour utiliser le stock anonyme qui existait. Face à la tension actuelle, empêcher l'utilisation de ce stock aurait été délicat. C'est également une question de respect des donneurs. En outre, on n'a pas eu le temps de constituer un nouveau stock suffisant pour faire face à toutes les demandes. Néanmoins, même avec cette mutualisation en cours d'organisation entre les centres pour optimiser l'utilisation du stock ancien, on sait qu'il n'y aura pas assez de dons.

Soit on parvient à augmenter le nombre de donneurs, soit on va avoir des sujets d'importation. Tous les pays européens sont soumis à la directive européenne du don anonyme et gratuit, mais des indemnisations sont versées en Espagne, d'où il résulte un nombre de dons plus élevé. Le modèle espagnol est également différent sur ce point. Pour l'instant, nous faisons des campagnes d'information. Nous venons d'en lancer une nouvelle, qui est un peu atypique, sur la logique « Faites des parents », en expliquant bien que donner ses gamètes ne signifie pas qu'on devient parent. Même l'accès aux origines ne donne pas un droit de parentalité, mais ça permet à des personnes de réaliser leur souhait. L'Agence a lancé plusieurs campagnes sur les réseaux sociaux pour chercher des hommes jeunes, également issus de la diversité. Nous rencontrons en effet toujours un problème à ce niveau, comme pour les cellules souches hématopoïétiques (CSH). Il faut que l'on cherche des hommes jeunes issus de la diversité. Les post-tests semblent assez encourageants, mais il n'est pas sûr que cela suffise.

La question qui va se poser sera donc surtout de savoir jusqu'où on peut aller en matière d'importation à partir de banques de sperme qui existent en Europe, ce qui est aussi une des solutions. Il faudra prendre le temps d'y réfléchir, sachant qu'il n'est pas interdit d'importer du sperme, en France. Quand vous avez eu un parcours d'AMP à l'étranger avec un donneur et que vous voulez un deuxième enfant, par AMP en France, vous pouvez le faire avec le même donneur. Ce n'est donc pas interdit, mais cela reste pour l'instant du cas par cas. Si on arrivait à un fonctionnement plus massif, ce serait autre chose.

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