Intervention de Michel Tsimaratos

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Michel Tsimaratos, directeur général adjoint de l'Agence de la biomédecine chargé de la politique médicale et scientifique :

. – Mesdames et Messieurs, le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement (RIPG) vise à assurer une information permanente sur les progrès de la science et de la clinique. Dans ce document, qui est paru à la fin de l'année 2023, figure une analyse des points les plus marquants et de leurs conséquences en termes d'organisation des soins, de qualité de prise en charge, d'éthique et, plus globalement, de santé publique.

Concernant la greffe, le rapport aborde l'analyse des techniques les plus prometteuses comme la xénotransplantation, qui ouvre un certain nombre de perspectives. Le rapport oriente aussi quelque peu le regard sur le fait que les risques qui sont portés par ces techniques doivent être pris en compte, notamment le risque de transmission inter-espèces d'un certain nombre de maladies et de virus, qui peuvent être intégrés au génome de l'animal utilisé comme source de ces organes. Il y a aussi l'idée que la greffe est une solution mais n'est pas une guérison. On analyse donc l'ensemble de ces techniques, à la lumière d'un parcours de maladie chronique, qui est une alternance entre la greffe et la lutte contre le rejet, d'une part, et le retour à une forme de substitution de l'organe, comme la dialyse, d'autre part. On peut aussi le faire pour un court laps de temps pour le cœur, le foie ou le poumon, mais on ne peut évidemment pas vivre avec un poumon artificiel ou un cœur artificiel très longtemps. On essaie donc de mettre en perspective toutes ces possibilités et toutes ces évolutions techniques, pour comprendre comment la greffe d'organes, marquée par la pénurie, peut bénéficier à un moment donné de techniques comme la xénotransplantation.

Il y a aussi d'autres techniques, dont vous avez peut-être entendu parler, comme CRISPR, qui permet, dans certains cas, de transformer une partie du génome du greffon qui code le mécanisme qui va générer le rejet et ainsi diminuer le risque.

Le rapport aborde également la façon dont la technique peut aider à mieux apparier le donneur et le receveur. Vous savez qu'on a tous une carte d'identité biologique, qu'on appelle le HLA (Human Leukocyte Antigen), avec un allèle qui vient de notre père et un allèle qui vient de notre mère. Lorsqu'on fait une greffe, l'incompatibilité HLA entre le donneur et le receveur va être un élément de stimulation du rejet. Plus le HLA du donneur et celui du receveur sont compatibles, moins les phénomènes de rejet vont s'activer précocement et plus la greffe va durer longtemps. Ce n'est pas le seul déterminant, mais c'est l'un des déterminants. L'amélioration des techniques de dosage de ces HLA permet de proposer aux patients des greffons avec une très forte compatibilité. C'est l'une des raisons pour lesquelles, comme Marine Jeantet vous le disait tout à l'heure, beaucoup de receveurs de greffe de moelle reçoivent une moelle qui vient de l'étranger. On va en effet chercher la meilleure identité HLA dans le monde entier, dans les 70 registres connectés.

On a aussi proposé différentes façons d'optimiser l'allocation des greffons parce que nous sommes en situation de pénurie. Marine Jeantet vous a indiqué que trois personnes décédaient chaque jour sur la liste d'attente. Jusqu'à présent, on utilisait ce qu'on appelle les scores, manière de réfléchir à l'ensemble des déterminants, pour affecter le meilleur greffon à la meilleure personne, au bon moment. Par exemple, pour gérer l'attente d'une greffe cardiaque, on va probablement être tenté de faire passer en priorité les patients les plus gravement atteints. Néanmoins, ceux qui sont les plus gravement atteints le sont parfois en raison d'une maladie globale, qui peut diminuer les chances de succès dans le temps de ces greffes. Avant l'utilisation d'un score pour la greffe de cœur, on avait l'impression que les patients qui étaient les moins gravement atteints étaient ceux qui passaient en dernier. Cette prime à la gravité ne tenait pas compte de la perspective de vie qu'il pouvait y avoir, à la suite de la greffe. L'utilisation du score nous permet donc d'intégrer un risque de décès, indépendamment de la gravité de la maladie. Ceci permet d'avoir une gestion intelligente de la pénurie. Toutes les techniques d'intelligence artificielle nous aident évidemment, puisque les scores sont en fait une préfiguration de ce que permet de faire l'intelligence artificielle.

Dans le domaine de l'embryologie et la génétique, l'assistance médicale à la procréation bénéficie aussi de progrès. Par exemple, les techniques d'imagerie à très haute définition permettent à des systèmes guidés par intelligence artificielle de sélectionner le meilleur embryon à implanter. Comme vous le savez, en France, on n'implante plus qu'un ou parfois deux embryons, pour éviter les grossesses multiples, qui ont d'autres impacts sur la santé des femmes et des enfants. L'intelligence artificielle permet d'avancer dans ce domaine.

Le rapport aborde aussi les techniques de conservation ovocytaire ou l'obtention de cellules gamétiques à partir de cellules souches. Tous ces points de progrès sont illustrés dans le rapport, de manière à permettre l'information la plus complète possible et à jour des progrès de la recherche. On vous adressera le document qui présente ces différents points.

Pour la génétique, je reviens une minute sur l'errance diagnostique. À l'heure actuelle, notre système de santé est essentiellement mobilisé autour des maladies chroniques, qui s'expriment dans la deuxième partie de la vie. Nombre de ces maladies chroniques sont découvertes au stade d'une insuffisance terminale de l'organe. Parfois, si elles sont diagnostiquées un peu plus tôt dans la vie, la prise en charge de ces pathologies peut bénéficier d'avancées techniques. Ainsi, pour le retard mental, on est aujourd'hui en mesure d'utiliser les progrès en génétique pour diminuer l'errance diagnostique et caractériser la maladie sur le plan moléculaire. Quand on caractérise la maladie sur le plan moléculaire, que cela soit pour du retard mental ou pour une maladie chronique, on est en mesure d'identifier la cible sur laquelle on peut faire porter un certain nombre de progrès thérapeutiques. L'enzymothérapie, les CAR T-cells ou les progrès de la pharmacopée permettent aujourd'hui, avec cette diminution de l'errance thérapeutique et la définition des cibles moléculaires, de préciser et de transformer la prise en charge de certaines maladies très handicapantes, par exemple la maladie de Fabry ou la maladie de Hunter. Aujourd'hui, les personnes atteintes par ces maladies peuvent suivre un chemin de vie normal, à l'aide, par exemple, d'une perfusion d'une enzyme tous les quinze jours ou tous les mois. Ces techniques permettent de transformer des personnes qui étaient jusqu'à présent une charge pour le système en des personnes actives, insérées dans la vie courante. Ce sont des points extrêmement importants, sur lesquels insiste le rapport.

Je n'oublie pas les cellules souches, et notamment les cellules souches reprogrammées, dont Marine Jeantet vous a parlé. Elle a évoqué la thérapie par cellules CAR T qui consiste à prélever les cellules cancéreuses d'une personne, identifier les épitopes – c'est-à-dire les antigènes spécifiques au cancer – et reconditionner les cellules immunitaires de cette personne pour combattre les cellules qui expriment l'épitope du cancer. On transforme alors des cellules en médicament. C'est extrêmement coûteux. Nous sommes très attachés à ce qu'on puisse se souvenir que la matière première est une matière vivante. Lorsque ces cellules-médicaments sont réinjectées aux patients, elles attaquent la tumeur et parviennent à guérir 80 % des cancers sur lesquels elles sont utilisées. Ceci ne se fait néanmoins pas sans mal, car cela crée une réaction inflammatoire extrêmement importante dans l'organisme, qui mobilise les lits des services d'oncologie, ce qui explique en partie la difficulté d'accès aux services de soins.

En matière de cellules souches, Marine Jeantet vous a parlé de la banque d'unités de sang plasmatique. On recueille le sang du cordon ombilical pour le stocker car celui-ci contient des cellules souches. Dans notre banque globale de cellules souches en France, nous avons identifié un certain nombre d'individus qui ont ce qu'on appelle une triple homozygotie, c'est-à-dire que, pour un grand nombre de gènes HLA présents chez ces individus, l'allèle hérité du père et celui hérité de la mère sont identiques. Or, ces cellules sont des cellules souches que l'on pourrait transformer en n'importe quel effecteur. On a là de quoi imaginer – ce qui pourrait venir, puisqu'on porte un projet dans ce sens – un potentiel traitement de type CAR T-cell, mais allogénique. S'il est impossible, chez un patient donné, de récupérer ses cellules pour les transformer en cellules tueuses de cancer, on pourrait prendre dans une banque de sang placentaire des cellules souches pluripotentes et les transformer en cellules tueuses pour ce patient. Cela n'existe pas pour l'instant. Ce n'est que de la recherche, mais le sujet apparaît dans notre rapport au Parlement et au Gouvernement.

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