Pour évoquer ce que je retiens, quant à moi, des conclusions du CNR, je commencerai par une plaisanterie : quelqu'un disait un jour que, lorsqu'on pose ses fesses en haut d'un toboggan, il est rare qu'on n'arrive pas en bas – et c'est exactement ce qui est en train de se produire. Christophe Robert évoquait le chiffre de trois cent mille logements construits mais, l'année dernière, moins de deux cent mille ont été vendus et il n'y a aucune raison de construire plus qu'on n'a vendu. De fait, avec 95 000 logements collectifs, 58 000 maisons – un effondrement ! – et 40 000 logements sociaux construits par les organismes de logement social pour compte propre, le total est inférieur à deux cent mille, de telle sorte qu'on peut s'attendre, en rythme de croisière, à ce que deux cent mille logements soient construits chaque année. La situation ne s'améliore pas en début d'année, car les ventes ne sont pas plus nombreuses. Je ne sais plus quel mot employer pour dire qu'il y a urgence, car je ne me fais pas entendre.
Pour ce qui concerne le CNR, c'est au Gouvernement et à vous de dire quelles sont les bonnes réponses aux questions posées. Je reviendrai pour ma part sur quatre ou cinq questions qui ont émergé de ce travail – au-delà de celles, évidemment très importantes, qui touchent au développement durable.
Une première question intéressante est celle du foncier. Nous avons en effet tous pris conscience, au sein du groupe, que nous ne regardions pas comme il conviendrait ce bien commun, que nous devrions traiter comme tel – même si je ne sais pas comment le faire. Toujours est-il que le zéro artificialisation nette rend le foncier encore plus rare et que la baisse du prix du foncier escomptée par certains à cause de la crise – on entendait citer le chiffre de – 20 % – n'a pas eu lieu. En réalité, ceux qui disposent d'un foncier constructible savent très bien qu'ils possèdent un bien rare.
L'une des propositions du CNR était d'encourager la libération de foncier par une fiscalité appropriée, et elle a donné lieu à des travaux parlementaires. L'idée a même été émise de savoir comment contrôler le prix du foncier et comment rendre, le cas échéant, aux collectivités une partie de la plus-value générée par l'amélioration d'espaces publics. Ainsi, lorsque nous avons construit le tramway à Paris, il s'agissait d'une dépense publique très importante, qui s'est traduite par une vraie requalification des boulevards des maréchaux et une augmentation des prix du foncier dans cette zone, mais les collectivités ne savent pas reprendre une partie de cette plus-value. Certains jugent que ce n'est pas possible, mais il faut tout de même examiner la question, car on ne peut se satisfaire d'enrichir les propriétaires fonciers pour la simple raison qu'ils se trouvent dans une zone revalorisée par l'action publique. Il y a là un vrai débat. Il est bon que les marchés aient un prix, mais le foncier est aujourd'hui un bien commun très rare et il n'y a aucune raison que son prix baisse, ce qui ne favorisera pas la production de logements abordables.
Une deuxième question très intéressante abordée par le CNR – qui n'a du reste pas réussi à la traiter – est celle de l'évaluation des besoins, qui suppose une itération entre ceux que définit l'État et les besoins locaux. Comme vous le disiez vous-même, en effet, les besoins ne s'expriment pas de la même manière selon les territoires. Comment organiser cela ?
En outre, pendant plusieurs années, l'État n'a pas dit qu'il fallait du logement. Il est intéressant de rappeler, à cet égard, qu'à l'ouverture du CNR, la cheffe économiste du Trésor déclarait qu'une production annuelle de deux cents à deux cent cinquante mille logements suffisait. Avec deux cent mille logements, nous y sommes presque… et nous allons donc voir si ça suffit ! Il est très difficile de définir des politiques publiques sans faire un diagnostic partagé, lequel doit prendre en compte tant la production de logements neufs que la réhabilitation, les logements insalubres et le souhait des gens d'habiter près de leur travail – alors que les travaux du Medef ont montré qu'année après année, ils habitaient de plus en plus loin.
Une troisième question est celle de la densité. En effet, le zéro artificialisation nette et le souhait de réduire les déplacements en voiture – lequel suppose que les gens vivent dans des endroits desservis par les transports en commun – conduisent à réfléchir sur ce thème, et des travaux très intéressants ont donc été engagés pour savoir comment rendre le plan local d'urbanisme (PLU) accessible à la population – ce qui n'est pas facile : peut-on le dessiner ou le représenter en 3D ? D'un point de vue démocratique, cela n'a rien d'anecdotique. Peut-on, par ailleurs, imposer une densité minimale et comment faut-il travailler la réversibilité ? Ces problèmes ont donné lieu à de nombreux débats au sein du CNR et des propositions ont été émises.
Un grand débat a également été consacré à ce sujet tabou qu'est la fiscalité. Les maires ont-ils les moyens de financer les équipements qui accompagnent les logements ? Le système de la fiscalité locale est en effet d'une perversité folle : pour financer les logements, il faut taxer davantage les propriétaires, car ce financement repose sur la taxe foncière. Pour aider les maires bâtisseurs, une refonte de la fiscalité locale serait nécessaire, mais on peut, à défaut, adopter une approche plus douce en accordant des bonus à ces maires, ce qui toutefois ne résoudra pas le problème du financement du fonctionnement de ces équipements, notamment en termes de personnel.
On constate, par ailleurs, l'effondrement du marché de la location et de l'investissement des Français dans le logement. De fait, les investisseurs institutionnels privés, encore présents sur le marché du logement voilà deux ans, en sont désormais absents, car les écarts de rendement sont bien trop grands. Quant aux bailleurs privés, ils sont détournés de ce marché par la somme de la hausse des taux d'intérêt et de la fiscalité. Je rappelle en effet que l'investissement dans le logement est le seul investissement qui subisse d'abord l'impôt sur le revenu (IR), puis – à la différence des dividendes – une taxe locale, puis encore l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) : si on ajoute à ce rasoir à trois lames les taux d'intérêt, il est difficile de trouver de la rentabilité – les quelques marchés qui supportent encore ce régime sont peu nombreux. Un débat a donc eu lieu au sein du CNR, au cours des mois de mars et avril, sur l'aide aux bailleurs privés et sur le statut de ces derniers. On a donc pris conscience, voilà neuf mois, du besoin de nourrir de nouveau le marché de l'investissement privé.
La gouvernance a également donné lieu à des débats très intéressants, au moment où l'État annonçait davantage de décentralisation. La conviction s'exprimait que l'État devait être présent et déterminer la politique du logement. Il lui était demandé de se focaliser sur la définition et le respect des objectifs – sachant que, pour l'instant il n'en a pas fixé –, d'assurer la péréquation entre les territoires – ce qui est son rôle historique – et l'équilibre de l'attractivité, et d'appuyer le déploiement des paradigmes d'intervention, comme le plan « Logement d'abord ». Il faut donc définir une vraie politique nationale, qui doit être en itération permanente avec les territoires. Les habitudes de logement, les besoins et les populations sont très différents, et le sont de plus en plus – je perçois bien plus fortement cette différenciation aujourd'hui que lors de mon arrivée chez Nexity, voilà sept ans. C'est très intéressant.
Bien que cette question dépasse le champ de mes compétences, j'ai observé que les élus présents autour de la table appelaient à une généralisation des autorités organisatrices de l'habitat au niveau des collectivités pour définir les politiques du logement à l'échelle locale.