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Intervention de Christophe Robert

Réunion du lundi 26 février 2024 à 15h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre :

Au terme de votre travail parlementaire sur un sujet que vous connaissez bien, il est intéressant de creuser des points particuliers sur lesquels demeurent des interrogations, notamment pour ce qui concerne l'adaptation aux réalités des différents territoires.

L'un des premiers résultats observés dans le cadre du CNR, et qui fait écho à la constatation rappelée tout à l'heure par M. le président, est le fait que les différents acteurs réunis aient partagé certains points de vue – ce qui pourrait peut-être guider les décisions des pouvoirs publics. Je rappelle qu'avant la création du volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR logement), lors de la première rencontre avec le Président de la République, quatre thèmes étaient proposés dans le cadre de ce CNR. Toutefois, après le premier tour de table, tant le Medef que les syndicats, les présidents d'associations de collectivités, la fondation Abbé Pierre et un grand nombre des vingt à vingt-cinq acteurs non gouvernementaux présents autour de la table constataient l'absence du thème du logement, qui a pourtant, au-delà des questions techniques et financières, une incidence sur toutes les dimensions du quotidien de nos territoires et de nos concitoyens. Cette constatation a été massive, le Medef soulignant l'importance de la mobilité dans l'emploi pour le développement des territoires et le frein que constituait le manque de logements pour la création de nouvelles activités, tandis que nous mettions en lumière les difficultés sociales que nous observons tous les jours chez les étudiants comme chez les personnes disposant de revenus modestes, les familles monoparentales ou les personnes ayant rencontré des situations difficiles dans leur parcours. La question du logement apparaissait donc comme une évidence parmi les difficultés auxquelles notre pays est confronté.

C'est ainsi qu'à la fin de cette séquence, le Président de la République Emmanuel Macron a décidé de créer un CNR logement, qu'il nous a été proposé de coanimer – ce que, conscients des enjeux, nous avons accepté. Nous avons donc réuni trois groupes de travail, dotés chacun de deux animateurs.

Durant les six mois qui ont suivi, plus de deux cents personnes ont été mobilisées. Il s'agissait de fins connaisseurs des questions de logement, des parcours, de la technique, des territoires et des situations difficiles, œuvrant collectivement pour dépasser leurs identités et leurs champs particuliers d'intervention économique et sociale, en réponse à l'invitation à réfléchir lancée par le Président de la République, puis par la Première ministre et par le ministre du logement, évidemment très impliqué. L'évidence s'imposait que chacun devait dépasser le point d'où il parlait pour réfléchir avec les autres aux moyens de faire évoluer la situation du logement.

Vous connaissez le contexte tragique dans lequel s'inscrivait cette réflexion, marqué par une forte baisse de la construction globale et du nombre de logements sociaux, qui atteint des records à l'échelle de plusieurs décennies. Avec moins de trois cent mille logements construits en France, c'est une catastrophe. Quant aux logements sociaux, 82 000 ont été financés en 2023, contre 125 000 en 2018 : 40 000 logements sociaux en moins, ce sont 40 000 situations non résolues. Parallèlement, la demande de logements sociaux a connu une hausse sans précédent, avec 2,6 millions de ménages demandeurs, et le nombre de personnes sans domicile fixe a doublé en dix ans, tandis qu'augmentaient le coût de la construction et les prix de l'énergie, ainsi que les taux du crédit et le nombre des refus de prêt. Ces indicateurs se sont encore dégradés dans les mois qui ont suivi le CNR.

Un autre constat partagé était que le logement, premier poste de dépenses des ménages, avait, dès avant l'inflation, un impact considérable sur le pouvoir d'achat comme sur la santé et la scolarisation, sans parler de l'impact écologique, chantier abordé par l'un des trois groupes de travail que j'évoquais. Se posaient également la question des freins à la mobilité dans l'emploi – et, plus globalement, des freins au plein emploi –, celle de l'emploi dans le bâtiment, qui suscite aujourd'hui d'immenses inquiétudes, et celle du développement des territoires.

Pour ce qui est des grandes orientations générales, au-delà des chantiers techniques qui renvoient à bien des égards au questionnaire que vous nous avez adressé et sur lesquels nous pourrons revenir dans le détail, les acteurs du CNR se sont accordés, parmi plus de trois cents propositions formulées, sur une vingtaine de chantiers perçus comme prioritaires.

Parmi les questions transversales, les acteurs demandaient avec force une pluriannualité des engagements et des moyens – soit, en quelque sorte, une loi de programmation budgétaire s'apparentant à un plan de cohésion sociale –, pour donner de la visibilité aux acteurs, les mettre en dynamique et structurer les filières. C'est fondamental car, si on ne sait pas où on va, ce qui est aujourd'hui le cas… on va dans le mur. Il a également été demandé que les objectifs soient chiffrés pour permettre d'évaluer s'ils sont ou non atteints et, si nécessaire, de rectifier le tir, ce qui suppose une évaluation permanente.

Sans que cela exclue une différenciation territoriale, le rôle majeur de l'État en la matière a été unanimement souligné. Bien que nous n'ayons pas encore compris ce que l'exécutif entend faire en termes de décentralisation, l'État a, dans ce domaine, un rôle majeur, historique, et l'impulsion qu'il donne, sans interdire l'adaptation aux territoires, garantit une politique du logement forte et une égalité des territoires dans une perspective d'aménagement du territoire qui doit être à nouveau prise en compte – et qui rejoint également l'objet de votre mission.

L'État doit donc assumer un rôle de portage, d'impulsion, de pilotage et de soutien, ce qui n'empêche pas – et ce n'est, à nos yeux, pas paradoxal – que les politiques de l'habitat prévoient une délégation de compétences à des autorités disposées à le faire, équipées à cet effet et ayant mobilisé les moyens nécessaires. Cette possibilité a été formalisée autour des autorités organisatrices de l'habitat (AOH) créées par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », mais d'autres modalités sont possibles et nous pouvons y réfléchir. Toujours est-il qu'une grande ambition et une adaptation au niveau des territoires, en fonction de la réalité locale, ne sont pas incompatibles. Il s'agirait ainsi de mettre en œuvre localement les objectifs définis à l'échelle nationale, en adaptant les outils et les financements aux besoins des territoires. Il faut toutefois veiller à ne pas déléguer n'importe quoi – c'est, par exemple, la question du contingent préfectoral, sur lequel nous pourrons revenir.

Un autre élément transversal est la nécessité de maintenir les aides et contreparties sociales. À cet égard, nous avons pris littéralement « une grande claque » lorsqu'à l'issue du CNR, au lieu de l'impulsion en ce sens qu'attendaient tous les acteurs, on nous a annoncé la réduction du prêt à taux zéro et la fin du dispositif Pinel. Or des aides et des incitations sont nécessaires et, même si on peut discuter de tout, en particulier du niveau pertinent des contreparties sociales et écologiques, le retrait pur et simple de ces mesures est une catastrophe.

Il a également été demandé des mesures d'urgence et des mesures structurelles, qui peuvent être combinées à l'instar du rôle de l'État et de l'adaptation des outils et des moyens aux territoires.

Un autre élément transversal qui s'est dégagé est la nécessité d'agir sur tous les leviers. Avant même les conclusions du CNR, Véronique Bédague et moi-même avons beaucoup insisté auprès de l'Élysée, de Matignon et du ministère du logement, invitant les pouvoirs publics à faire feu de tout bois face aux parcours résidentiels et aux réalités plurielles que vous avez évoquées en introduction. Personne, en effet, n'est épargné, sinon les très riches : qu'il s'agisse des sans-abri qui rencontrent les pires difficultés ou de ceux qui ne peuvent pas accéder à la propriété ou à la mobilité professionnelle, il y a de très nombreux chantiers à ouvrir.

Pour conclure cette introduction, je tiens à souligner que tous les acteurs ont fait preuve d'un très grand engagement. Certains sujets qui n'étaient initialement pas évidents ont émergé d'une manière assez consensuelle, comme l'importance que revêt le foncier. Il s'agirait en effet de définir le sens que l'on donne à la maîtrise du foncier et ce que l'on voudrait en faire. Plusieurs approches sont possibles et, pour Véronique Bédague et moi-même, les moyens à employer pour encourager la construction dans une perspective de densification sans l'opposer au zéro artificialisation nette pourraient justifier la création d'une mission. Toujours est-il qu'un débat autour du foncier s'est nettement fait jour : quelle ville voulons-nous ? Où construire ? Où densifier ? Construire quoi, en fonction de quels besoins ?

La « claque » que j'évoquais tout à l'heure est la forte déception ressentie, après un engagement de six mois, par les deux cents acteurs du CNR au vu des résultats de ce processus. Il faut faire attention, car ce n'est pas à la légère que nous avons participé à cette réflexion : comme vous, nous sommes très occupés et, dans le débat public, démocratique et politique, le peu d'écoute accordée à ce travail collectif réalisé à la demande de l'exécutif fait mal.

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