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Intervention de Yves Citton

Réunion du jeudi 15 février 2024 à 11h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Yves Citton, professeur de littérature et média à l'université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis :

Mon intervention se concentrera sur plusieurs thèses et une proposition en six points.

En premier lieu, les dépenses publicitaires, concentrées sur un petit nombre de produits et d'entreprises, alimentent des dynamiques de surconsommation dont il est désormais évident qu'elles contribuent fortement à ravager la co-habitabilité de notre planète et vont à l'encontre des engagements de sobriété pris, y compris par notre Président de la République.

En deuxième lieu, les dépenses publicitaires sont fondées sur une marchandisation de l'attention humaine devenue aujourd'hui omniprésente et hégémonique. La compétition instaurée pour attirer et captiver l'attention des audiences conduit à une course aux armements de « saillance », à l'image des sirènes de pompiers, auxquelles on est obligés de prêter attention. Il en résulte une saturation de nos attentions qui menace dramatiquement notre vie psychique individuelle, mais aussi, et surtout nos institutions démocratiques. Tout le monde doit hurler pour se faire entendre et personne ne peut plus s'écouter.

En troisième lieu, la continuation comme si de rien n'était ou business as usual est indéfendable. D'une part, le régime actuel publicitaire de nos médias de masse impose structurellement une propagande consumériste au moment où l'impératif est de diminuer significativement nos consommations de ressources planétaires. D'autre part, ce régime publicitaire assourdit et éblouit nos capacités collectives de réflexion et de débat démocratique, alors même que la survie des générations à venir dépend de nos capacités de réflexion et d'action collective.

Face à cette situation, une solution que je vous propose en six points consisterait à réviser le système de taxation et de financement des médias et de viser la constitution d'un fonds de compensation des nuisances publicitaires.

Premièrement, la fiscalité des activités publicitaires a été pensée il y a plus d'un demi-siècle dans des conditions médiatiques et écologiques radicalement différentes (trois chaînes de télévision et quatre radios) du paysage audiovisuel actuel. Cette fiscalité opère à un taux ridiculement bas, qui a été estimé à 2,5 % sur les trente dernières années par un rapport récent La communication commerciale à l'ère de la sobriété de l'association Communication et démocratie produit avec l'institut Veblen en octobre 2022.

Deuxièmement, la trentaine de milliards d'euros par an consacrés à ces dépenses devrait être taxée au minimum à 8 %, comme le suggère le rapport en question. Pour ma part, je serais plus favorable à 20 %, comme le suggère Benoît Van de Steene, afin de s'aligner aligner sur le taux normal de la TVA, voire à 50 %, pour compenser les nuisances écologiques de la propagande publicitaire. Je rappelle que la taxation sur le tabac est de 80 %. Si le taux de 50 % était retenu, il alimenterait ainsi un fonds de compensation des nuisances publicitaires mis en place par l'État, tout en étant doté d'une forte indépendance envers les futurs gouvernements.

Troisièmement, ce fonds reverserait les sommes ainsi collectées à des institutions à but non lucratif, publiques ou associatives (études de recherche, universités, associations, médias indépendants), dédiées à l'investigation et à la diffusion de connaissances contribuant à la co-habitabilité de notre planète.

Quatrièmement, la distribution des fonds serait assurée par des commissions réunissant des professionnels des médias, des spécialistes des sciences sociales, des sciences de la nature, ainsi que des citoyennes et des citoyens tirés au sort.

Cinquièmement, cette distribution s'effectuerait selon une péréquation prenant en compte la qualité scientifique, l'originalité, le multi-perspectivisme des contenus proposés, mais aussi leurs efforts esthétiques pour déjouer la saturation de nos attentions, ainsi que la taille de leur audience, de façon à favoriser une redistribution intentionnelle diversifiant le paysage médiatique au lieu de le concentrer autour de quelques acteurs hégémoniques.

Enfin, l'instauration de cette taxe pourrait se réaliser progressivement sur un horizon de cinq ans à partir du renouvellement des autorisations de service de la TNT, avec vocation, bien entendu, à se généraliser à toutes les formes de médias actuellement alimentées par des financements publicitaires, y compris les plateformes.

Un tel dispositif et un tel horizon temporel n'ont l'air irréalistes que si l'on sous-estime l'urgence des mesures à prendre pour mitiger les catastrophes environnementales et sociales que nous prépare le business as usual de la propagande publicitaire. C'est dès maintenant qu'il faut agir, en commençant par la TNT et en généralisant rapidement cette mesure à tous les médias.

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