Intervention de Bernard Laponche

Réunion du jeudi 25 janvier 2024 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Laponche, président de Global Chance :

Je ne veux pas discuter sur le fond : ce n'est pas le sujet posé. Je suis en revanche intéressé par la question suivante : sur ces sujets difficiles, techniques, comment donner à nos concitoyens les connaissances de base nécessaires à une bonne compréhension des enjeux ?

Le terme « communication », arrivé dans la sphère publique dans les années 1980, me dérange. Je lui préfère celui, très différent, d' « information ». La communication est devenue une manière de vendre quelque chose, au niveau politique, commercial, etc. Sur un sujet comme celui des déchets nucléaires, quelle information donner, dont on soit sûr qu'elle soit correcte ? En effet, les données disponibles sont souvent fournies par le promoteur d'un projet. Je ne prétends évidemment pas que les personnels d'EDF, de l'Andra, d'Orano ou du CEA soient fondamentalement malhonnêtes : ils sont simplement vendeurs de quelque chose. Il est évident que lorsque l'on souhaite promouvoir un projet, on met en priorité l'accent sur les aspects et perspectives positifs, non sur les incertitudes ou les risques.

Comment procéder ? Je souhaite m'appuyer sur un exemple historique qui me paraît assez illustratif de la question. Lorsque la France a lancé le programme Messmer, personne n'était au courant de quoi que ce soit. On avait alors utilisé les arguments habituels relatifs au risque d'augmentation exponentielle du prix de l'électricité, à la possibilité d'exporter des réacteurs, etc. J'étais alors membre du syndicat CFDT du CEA. Nous nous sommes aperçus qu'aucun de nous, qui travaillions pourtant dans le secteur du nucléaire, ne connaissait quoi que ce soit à la question des déchets radioactifs. Nous avons donc décider de rédiger des cahiers pour informer nos adhérents. Ces documents ont été fort appréciés et largement diffusés, si bien que Le Seuil a publié en 1974 L'électronucléaire en France. André Giraud, grand patron du CEA, avait alors adressé au secrétaire général du syndicat le message suivant : « Monsieur le secrétaire général, J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre du 21 août qui accompagnait l'envoi de deux plaquettes sur l'électronucléaire en France. Je tiens à vous dire que j'ai particulièrement apprécié l'un de ces documents intitulé Le dossier technique centrales et combustibles nucléaires. Vous m'avez souvent entendu souhaiter l'amélioration de l'information du personnel, celle-ci permettant d'éliminer les discussions qui porteraient sur de faux problèmes. Je sais par expérience que cette tâche est difficile. Ce second rapport, si je mets à part quelques expressions de l'introduction que je ne fais pas miennes, est extrêmement bien documenté, très intéressant à lire. Il constitue une présentation remarquablement claire du problème ».

Je trouve cet exemple très parlant. En effet, la question de l'information repose selon moi sur la reconnaissance, de la part de personnes ayant des positions opposées, de la qualité d'une production. Or la qualité de cet ouvrage a été reconnue par l'ensemble du CEA.

En d'autres termes, il faut que l'information donnée soit jugée par l'adversaire. Les actions de communication propagandiste comme celle que nous avons entendue précédemment n'ont aucune valeur, car elles se contentent de défendre des positions, agrémentées de commentaires plus ou moins sérieux, mais ne bénéficient pas d'une forme de reconnaissance de la qualité des éléments donnés par les parties adverses.

L'information est liée à l'organisation du débat public et au passage à la décision. Plusieurs conventions citoyennes ont ainsi déjà été réunies sur la question des déchets, en particulier au début des années 2000 où avait été introduite la notion de phase pilote. Je soutiens tout à fait ce type d'initiative. En revanche, les débats télévisés et autres réseaux sociaux me semblent plus contestables. J'ai participé à de nombreux débats dans ma vie, organisés notamment par la CNDP, et j'en ai particulièrement réussi deux. Le premier mettait face à face une personne favorable au programme Messmer et un opposant (moi). Nous nous connaissions et nous faisions mutuellement confiance. Le débat s'est déroulé en deux parties : une première partie lors de laquelle nous avons expliqué ce qu'était un réacteur et en quoi consistait le plan Messmer et une deuxième consacrée à l'exposé de nos opinions sur ces sujets. Il appartenait ensuite au public de se forger son propre avis, sur la base d'une information contradictoire et de la présentation des différentes positions en présence.

Le second débat, organisé voici une dizaine d'années, concernait l'EPR et m'opposait à Bertrand Barré, auteur de nombreux ouvrages (qui font sourire aujourd'hui) sur les performances de ce réacteur. Nous avions procédé de même, avec une présentation à deux voix de l'EPR et du programme prévu en France à ce sujet, suivie d'un débat lors duquel j'ai expliqué pourquoi j'étais opposé à l'EPR et lui les raisons pour lesquelles il y était favorable.

Il me semble important, en résumé, de procéder par des échanges contradictoires, acceptés par chacune des parties en présence.

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