Merci pour votre invitation.
Le traitement de ces éléments dans l'espace médiatique et sur les réseaux sociaux est à mon sens très binaire et caricatural. Le vrai sujet est de savoir comment dépasser ces postures, qui oscillent entre, d'une part, l'idée qu'il n'existe pas de solution et que l'on ne sait que faire de nos déchets nucléaires, d'autre part, le discours selon lequel tout est réglé, grâce aux filières et au plan de gestion.
Qu'il s'agisse des combustibles usés, dont le statut peut varier selon les pays et les périodes, des déchets de très faible activité, pour lesquels la question de l'augmentation des capacités est posée, des déchets de faible activité à vie longue, pour lesquels le plan prévoit de stabiliser une stratégie, ou de haute activité à vie longue, pour lesquels le projet Cigéo est aujourd'hui un laboratoire (la phase industrielle pilote est devant nous et les premiers déchets seront stockés en 2080), il convient de s'éloigner des deux postures précédemment évoquées.
Or ces deux visions sont très prégnantes dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ainsi, une émission Complément d'enquête s'intitulait récemment « Déchets nucléaires : nos poubelles débordent ». De quels déchets s'agit-il ? Le reportage évoquait à la fois les essais nucléaires dans le Pacifique, les combustibles usés, Cigéo. Dans ce contexte, il me semble très difficile pour les spectateurs de se faire une idée des problèmes, de leur temporalité et des ordres de grandeur physiques et financiers en jeu.
Il existe également de nombreux exemples de désinformation, mal information ou mensonges (j'ignore comment les qualifier, faute de connaître les intentions sous-jacentes) sur les réseaux sociaux. Je pense par exemple à une association comme Les voix du nucléaire, qui indique que « les déchets nucléaires sont ceux qui posent le moins d'inquiétude aux autorités sanitaires et environnementales (source Ademe) » : or l'Ademe ne travaille pas sur la question des déchets nucléaires et un tel message laisse penser, à tort, que tous les problèmes sont réglés.
De même, le fait de produire de petits cubes de déchets placés sur le Vieux Port ou Place Bellecour, ou de réaliser une vidéo, comme Le Monde a pu le faire, représentant une montagne de déchets d'une hauteur équivalente à celle de la tour Montparnasse constitue une mauvaise manière d'informer sur la caractéristique des déchets concernés. Si la situation était aussi simple que ces mises en scène tendent à l'indiquer, nous ne nous poserions pas toutes les questions difficiles qui animent les différents intervenants réunis ce matin. Ces contenus occultent totalement les dimensions spatiale et temporelle liées à ces déchets. Le traitement de ces questions dans les médias et les réseaux sociaux n'est donc selon moi pas satisfaisant.
Pourquoi est-il important de prendre ces questions au sérieux, à une période où l'on parle de relance du nucléaire ? Le projet Cigéo était censé clore à terme la question pour les déchets de haute activité à vie longue : il était en effet prévu que les colis soient entreposés en profondeur à partir de 2080 (soit un peu plus tard que le délai initialement envisagé, afin de laisser les déchets refroidir en surface avant de les stocker), puis que le site soit fermé à l'horizon 2150. Durant cette période, les questions de récupérabilité et de réversibilité se poseront. Ensuite, le projet sera clos et la question réglée. Si on lance six EPR, comme l'indique la mise à jour publiée par l'Andra mi-décembre 2023, le projet Cigéo pourrait a priori être concerné par les déchets HAVL qui en découleraient. Cela représenterait au maximum 20 % de déchets supplémentaires par rapport aux prévisions initiales. Si le nombre de nouveaux réacteurs était finalement de 14, faudra-t-il simplement ajouter des galeries ? Faudra-t-il envisager un autre Cigéo ? Il importe également de considérer que, dans cette nouvelle configuration, la temporalité va se déplacer : le sujet ne sera pas clos en 2150, puisque les nouveaux déchets produits seront encore trop chauds pour être stockés. Il conviendra donc d'allonger le délai au-delà de 2200.
Il me semble essentiel, dans ce contexte, d'avoir sur le sujet un débat plus nuancé et éclairé que les discours binaires qui prévalent souvent. Dans cette optique, je souhaiterais vous proposer une piste de réflexion issue notamment du groupe de travail que j'ai présidé à La fabrique écologique sur le thème « gouverner la transition ». Nos travaux, conduits en 2020 après la crise des Gilets jaunes, la création du Haut conseil pour le climat et la convention citoyenne pour le climat, étaient alors essentiellement centrés sur les problématiques climatiques, mais renvoient plus largement à la question de la complexité des enjeux écologiques. Le groupe de travail a considéré que ces innovations démocratiques étaient intéressantes à plusieurs égards. Le Haut conseil pour le climat est ainsi un endroit où des scientifiques établissent une passerelle entre la production des chercheurs, des laboratoires, et les décideurs politiques. Cette instance rend des avis sur la politique climatique, son adéquation avec les objectifs fixés, l'état de la connaissance, les controverses, les incertitudes. Il est extrêmement précieux de disposer d'un tel espace, au sein duquel les questions sur le climat sont objectivées. Ceci permet d'accroître la qualité de l'information et de disposer d'éléments robustes, fiables, que l'on peut vulgariser tout en délivrant un contenu pertinent. Je précise que ce Haut conseil ne prend pas de décision : il est le trait d'union entre la production académique, scientifique, et le décideur.
La manière dont les décisions sont prises aujourd'hui, par voie parlementaire, est-elle suffisante ? La convention citoyenne nous semblait prometteuse pour disposer d'une meilleure représentativité de la population sur la question des déchets.
Ces deux innovations démocratiques nous avaient paru intéressantes pour faire monter en qualité le niveau d'information mis à disposition du public et, ensuite, décider ensemble. Ces questions sont extrêmement complexes et ne sauraient être réglées en une demi-heure. Dans le cadre de la convention pour le climat par exemple, il n'était pas demandé aux citoyens tirés au sort de se prononcer par « oui » ou par « non » après avoir lu deux documents. Des experts, des scientifiques, sont venus leur présenter les enjeux, l'état de la connaissance, les controverses et les incertitudes entourant le sujet. Sur cette base, les participants ont délibéré, échangé et formulé des propositions. Le déroulement de ce processus est très intéressant et n'a selon moi pas été suffisamment médiatisé. On aurait pu imaginer que cela donne lieu à des émissions grand public, à une couverture médiatique beaucoup plus large qui aurait permis d'élever le débat et d'offrir à l'ensemble de la société la possibilité d'une montée en compétence sur la question.
Le sujet des déchets nucléaires est sans doute plus délicat à aborder, dans la mesure où l'on ignore où l'on veut aller, alors qu'en matière de climat, l'objectif visé, issu de l'Accord de Paris de 2015, est la neutralité carbone à l'horizon 2050, à laquelle l'ensemble de la communauté internationale s'est engagée et qui a été transcrit en France dans la loi Énergie climat de 2019.
Il existe néanmoins des choses intéressantes à en dire. L'enjeu premier est selon moi d'accepter la complexité du sujet, qui englobe la question des impacts environnementaux, économiques et sociaux. Cela suppose d'accepter de prendre le temps et de trouver des modalités permettant de débattre de ces éléments plus sereinement. Il n'est selon moi pas possible de se reposer pour cela sur les réseaux sociaux : bien que ces derniers soient parfois perçus, à l'ère de la libéralisation de l'information, comme un nouvel Eldorado, il existe en effet des questionnements importants autour de l'élaboration et du fonctionnement des algorithmes qui s'y rattachent. Il importe plutôt, me semble-t-il, d'imaginer des institutions, des espaces de discussion plus efficaces pour traiter ces questions difficiles.