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Intervention de Marc du Pontavice

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Marc du Pontavice, coprésident de l'Association de l'industrie audiovisuelle indépendante (2AI) :

La 2AI est une association regroupant sept des plus grands groupes audiovisuels indépendants français, dont Mediawan, Éléphant, Gaumont, The Originals, Tetra Media et Xilam, principal studio européen d'animation dont je suis le président.

Ces sept groupes se sont rassemblés dans le but de constituer une association et un club de réflexion plutôt qu'un syndicat. Ils partagent des réflexions prospectives sur les évolutions du secteur. Nos adhérents ont trois caractéristiques communes. Tout d'abord, ils sont indépendants des diffuseurs. Ensuite, ils s'intéressent exclusivement aux sujets patrimoniaux : fictions, animations, documentaires. Enfin, la dimension internationale est essentielle pour ces sept groupes, dont la croissance est essentiellement internationale avec une politique d'investissement particulièrement ambitieuse.

Je tiens à rappeler que le secteur de l'audiovisuel a subi des évolutions extrêmement brutales et soudaines. Auparavant, notre marché était constitué de producteurs presque exclusivement français, travaillant avec des diffuseurs presque exclusivement français également. Il y a quelques années encore, cet écosystème fonctionnait de manière fermée. En peu de temps, l'irruption de la diffusion numérique et l'émergence des plateformes de streaming ont bouleversé cet environnement, qui est devenu complètement ouvert.

Désormais, une part croissante de la consommation de vidéos de la population française est captée directement par des intérêts étrangers, non européens, principalement américains ou chinois. Au-delà de la vidéo à la demande par abonnement – subscription video on demand ou SVOD, ces évolutions posent la question du streaming gratuit et des réseaux sociaux, qui captent de plus en plus d'audience mais ne contribuent en rien à notre système.

En effet, le décret SMAD ne régule que les plateformes éditées, et non les hébergeurs. Ces plateformes n'ont donc aucune obligation d'investissement. Je rappellerai ici l'estimation très préoccupante de l'Arcom et de la DGMIC : en 2030, les opérateurs investissant dans le contenu en France – que ce soit de l'information ou de la création audiovisuelle – ne capteront plus que 29 % des revenus publicitaires. L'assiette sur laquelle sont construites les obligations d'investissement, c'est-à-dire l'assiette qui permet à la création française de vivre, est donc vouée à diminuer drastiquement si rien n'est fait.

La dynamique de la création audiovisuelle française repose sur un modèle cinquantenaire, à la fois très simple et très vertueux : tous les acteurs tirant des revenus de la consommation vidéo en aval doivent contribuer en amont à la création, en investissant dans des œuvres nouvelles, créées et produites en France. La part d'audience croissante captée par tous les opérateurs non soumis à cette obligation risque donc de pénaliser lourdement la capacité d'investissement en France. Ainsi, les revenus d'exploitation tirés de la consommation de vidéos des Français seront utilisés pour financer des œuvres américaines, au détriment du patrimoine français. Ce point d'attention majeur appelle une réflexion collective urgente face à la soudaineté de la transformation en cours.

Le décret SMAD visant à réguler les plateformes comprend certes une dimension positive, car les quotas d'investissement ont généré un flux de revenus qui a irrigué la croissance du secteur au cours des dernières années. Il est vrai, toutefois, que ces revenus profitent à un nombre d'œuvres restreint. En tout état de cause, il me paraît important de retravailler rapidement ce décret. De fait, il pèse beaucoup sur la définition de l'assiette de calcul des obligations d'investissement. Parmi les opérateurs de SMAD, Netflix représente à lui seul plus de 60 % du total des obligations. Cette situation est anormale si l'on considère qu'Amazon Prime, malgré un nombre d'abonnés équivalent à celui de Netflix, s'acquitte d'une contribution cinq fois plus faible que celle de son concurrent. Dans le marché de la vidéo, la valeur n'est pas constituée uniquement par la consommation de la vidéo : celle-ci est devenue un produit d'appel pour conquérir une place de marché. Des opérateurs tels qu'Amazon ou Apple pratiquent une concurrence déloyale ou dumping en sous-valorisant l'investissement consacré à la vidéo pour vendre d'autres types de produits. Il n'est pas normal que ce dumping ne soit pas pris en considération dans le calcul de l'assiette des obligations d'investissement imposées à ces opérateurs.

Le décret SMAD présente un autre inconvénient : certaines contreparties ont été mal pensées. Des droits beaucoup trop longs sur des œuvres ont été accordés aux plateformes, et ce pour le monde entier. De ce fait, les producteurs indépendants se trouvent privés de revenus secondaires, et la valeur patrimoniale de nos catalogues est mise à mal.

Par ailleurs, la clause de diversité prévue par le décret SMAD est interprétée de manière très restrictive, si bien que les plateformes n'ont quasiment plus d'obligations d'investissement dans le secteur de l'animation. C'est pourquoi l'industrie française de l'animation traverse une crise très grave, marquée par un effondrement des commandes. C'est d'autant plus regrettable que cette filière a été l'une des plus dynamiques, comme l'illustre cet exemple frappant : sur l'ensemble des œuvres consommées sur Netflix dans le monde au cours du premier semestre 2023, 60 % viennent de l'animation. Il faut donc impérativement traiter cette anomalie au plus vite.

Permettez-moi de revenir, pour terminer, sur la proposition de loi Lafon. Comme vous le savez, celle-ci conseille de retirer la réglementation des mandats d'exploitation donnés sur les œuvres audiovisuelles. Or la dynamique des groupes audiovisuels français indépendants s'est construite sur le caractère vertueux de la réglementation. Sans mandat, pas de revenus secondaires ; sans revenus secondaires, pas de capacité d'investissement ni de prise de risque. Supprimer l'obligation faite aux diffuseurs de laisser les producteurs indépendants gérer l'avenir et l'exploitation des œuvres revient à retirer la clé de la création, à savoir la prospérité des groupes capables d'investir dans la création, la diffusion et l'exportation des œuvres.

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