Le groupe M6 est issu, non d'une privatisation, mais de la création d'une entreprise, en mars 1987. Nous étions une cinquantaine de personnes, à l'origine, pour lancer cette chaîne. Les actionnaires ont investi près de 1,3 milliard de francs pour parvenir à l'équilibre économique. Nous avons été introduits sur le marché boursier en 1994 ; nous représentions alors environ 31 % de la valeur du groupe TF1.
La société a des activités de plusieurs types. Nous sommes d'abord une société de contenus. Nous proposons de l'information et des magazines et employons 350 journalistes permanents dans nos radios et nos chaînes de télévision. Nous avons créé la société C. Productions, qui produit ou fait produire un certain nombre de nos magazines tels « Capital », « Zone interdite », « Enquête exclusive », « 66 minutes », « Enquête d'action » ou « Enquêtes criminelles ». Nous proposons également des journaux télévisés – le « 12.45 » et le « 19.45 » –, qui touchent un public relativement jeune par rapport aux autres chaînes de télévision ou d'information continue. Nous avons dû abandonner les décrochages locaux que nous avions créés dans les douze principales villes françaises, en dehors de Paris. Ces décrochages, qui expliquaient notre nom de Métropole Télévision, proposaient de l'information rapide et offraient un surcroît de pluralisme dans ces zones. Dans la mesure où la loi ne nous permettait pas d'avoir des ressources publicitaires nationales ou locales liées à ces décrochages, nous avons dû les fermer. Nous avons alors créé les journaux d'information nationaux.
Nous avons également une société de production pour les programmes dits de flux, dénommée Studio 89, qui produit des émissions telles que « Top Chef ».
Une autre de nos activités de production, assez significative, se situe dans le domaine de la fiction et du cinéma, dans le cadre de notre filiale SND (Société nouvelle de distribution). Nous produisons de nombreux films de cinéma dont nous assurons l'intégralité du financement et assumons seuls le risque, tels que De Gaulle, L'Abbé Pierre une vie de combats ou Cocorico.
Nous consacrons également une partie importante de nos ressources à des investissements extérieurs. Nous nous efforçons de faire preuve de créativité, notamment dans le domaine de la fiction. Nous sommes très impliqués dans les fictions courtes que nous faisons avec des producteurs indépendants, telles Kaamelott, Caméra café, Scènes de ménage ou En famille, qui sont diffusées sur nos différentes antennes.
Nous avons été la première chaîne en France à lancer la diffusion de programmes en continu ou streaming – disponible sur la plateforme M6 Replay – en 2008. Par la suite, nous avons constitué une société européenne de technologie, dénommée Bedrock. La technologie est essentielle dans le streaming. Netflix dépense 1 milliard de dollars par an pour cette activité. Nous avons fait entrer notre actionnaire au sein de Bedrock et développons cette technologie avec des partenaires situés dans plusieurs pays parmi lesquels la Belgique, la Hollande, la Hongrie, et, je l'espère, bientôt l'Allemagne. Près de 350 développeurs sont répartis entre Paris, Lyon et Lisbonne.
Grâce à notre palette de chaînes, nous nous adressons à différents publics, par exemple la jeunesse avec Gulli et un public plus féminin avec Téva. Nous avons également des chaînes généralistes, parmi lesquelles W9, qui a une dominante musicale, ou 6ter. Cela permet une circulation des œuvres, ce qui est important car la première diffusion d'une œuvre ne peut pas être rentabilisée.
Notre groupe se porte bien. On nous reproche d'ailleurs parfois notre rentabilité. Pour paraphraser mon ancien président Jean Drucker, la création, c'est aussi une affaire de flux de trésorerie ou cash-flow. Si nous n'avions pas été attentifs à la rentabilité, je ne serais pas là pour vous en parler puisque nous aurions subi le sort de La Cinq, qui s'est avérée une énorme faillite et a dû s'arrêter le 13 avril 1992. Ses dirigeants n'avaient sans doute pas eu le même souci de saine gestion que nous. Cette chute a failli entraîner celle du groupe Hachette.
Nous assistons à un formidable mouvement d'internationalisation des plateformes et des réseaux. La TNT peut être contrôlée parce qu'elle consiste en une occupation du domaine public : c'est un bien national dont les frontières peuvent être tracées. Ce n'est plus du tout le cas avec internet, qui permet à n'importe qui d'entrer sur le territoire national. Les directives européennes, telle celle du 14 novembre 2018 relative aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad), sont très imparfaites. Nous sommes soumis à une concurrence très rude et inéquitable de la part des réseaux sociaux et, dans une moindre mesure, des plateformes, à laquelle nous avons tenté de répondre de plusieurs façons.
Premièrement, nous nous sommes efforcés de produire des œuvres intéressantes, correspondant au goût du public, et d'aller chercher les jeunes par le streaming.
Deuxièmement, nous avons tenté de convaincre le législateur de fixer des règles plus équitables, notamment dans le domaine de la production, mais nous n'y sommes pas parvenus. Le carcan législatif nous empêche d'évoluer. La règle interdisant toute revente d'une chaîne de la TNT dans les cinq ans qui suivent l'attribution de son autorisation d'émettre était légitime à l'époque, mais sans doute n'était-elle pas bien rédigée puisqu'elle s'applique de la même façon aux opérateurs qui, comme nous, ont trente-cinq ans d'existence, qu'à ceux qui sont nés il y a deux ans. Par ailleurs, si on a plusieurs chaînes, les délais s'empilent : ainsi, notre actionnaire RTL Group ne pourrait pas céder son contrôle avant 2032. Cette règle est absurde et va fossiliser le paysage français. Une fois que les autorisations d'émettre auront été accordées, il n'y aura plus aucune possibilité de cession ou de consolidation, peu importe qu'il s'agisse de nouveaux entrants ou d'anciens.
Vous nous avez demandé pourquoi nous avons voulu opérer une fusion avec notre principal concurrent. Ce n'est pas facile de discuter avec son concurrent, mais les groupes Bouygues et Bertelsmann-RTL ont estimé qu'il était important d'avoir un effet de taille pour préserver leur indépendance culturelle dans le domaine de la production – Bertelsmann avait même accepté de céder sa majorité et son contrôle à un groupe français. Nous en avons été empêchés, non seulement par la législation, mais aussi par les décisions des autorités indépendantes et européennes en matière de concurrence, et ce fut, pour nous, un échec important.
De nombreuses lois nous empêchent de nous développer. Par exemple, nous travaillons avec des producteurs indépendants, ce qui est essentiel du point de vue de la création et de la créativité. Nous sommes également prêts à investir avec des créateurs. Un grand nombre de sociétés de production nous sollicitent pour entrer dans leur capital pour favoriser leur distribution internationale. De fait, nous prenons le risque de distribuer en France des films indépendants, tels que l'excellent La Tresse. Or le droit actuel nous empêche de prendre ce type de risques dans des sociétés de production, car cela n'est plus comptabilisé parmi nos obligations. Je pourrais multiplier les exemples.
Je crains que l'on ne se trompe de combat. Je parle non pas du traitement de l'information mais des règles relatives à la consolidation des groupes de télévision. Si l'on ne veut pas que les jeux vidéo coréens soient dominants et que les décisions de production audiovisuelle se prennent à Los Angeles, y compris pour la France ; si l'on veut éviter que la publicité ne migre complètement vers Amazon, il faut considérer l'effet de taille et trouver un équilibre dans le traitement des obligations et de la publicité.
Notre groupe est bien portant mais il sera confronté à des défis considérables à l'avenir, liés aux caractéristiques de son secteur, qui dépassent le simple cadre des autorisations d'émettre sur la TNT.