Rédacteur en chef dans l'audiovisuel public depuis trente ans, je représente la FASAP Force Ouvrière. À ce titre, je porte la voix de l'ensemble des statuts et des métiers concourant à la fabrique de l'audiovisuel français.
À Force Ouvrière, nous partageons une double conviction au sujet de la télévision numérique terrestre (TNT). En premier lieu, la TNT a permis une multiplication de l'offre gratuite et accessible à tous. Elle a été marquée par un choix stratégique opéré par l'ensemble des acteurs privés et publics au profit du flux, impliquant la dévalorisation des contenus. Il suffit de comparer le prix de la minute de télévision avant et après l'éclosion de la TNT : ce prix s'est « italianisé », au point d'être divisé par quatre dans certains domaines.
En deuxième lieu, nous considérons que la régulation a été trop rigide, alors qu'elle aurait dû être adaptée, notamment pour les raisons qui viennent d'être évoquées.
En troisième lieu, tant que la puissance publique finançait la TNT – je pense par exemple au soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à la création de reportages magazines –, les acteurs ne souffraient pas trop. Mais dès que l'argent public a commencé à manquer, le marché s'est tendu. Tous les producteurs, en particulier les plus petits et les individuels, ont alors été exposés à de grandes difficultés. Jusqu'alors, certains d'entre eux recevaient, pour un seul projet de cinquante-deux minutes, des aides inconditionnelles qui leur garantissaient leur budget annuel.
Les diffuseurs ont réduit leurs paiements. Quant aux producteurs, ils ont abaissé leurs coûts et abusé des statuts. Ainsi, dans les reportages magazines, le statut de réalisateur intermittent a été surexploité, de manière à faire supporter à la collectivité nationale une partie de ces rémunérations via l'assurance chômage. Détournant la loi, des entreprises ont aussi employé un même réalisateur en intermittence pour plusieurs missions, comme s'il était autoentrepreneur ou en portage salarial.
Ces dérives avaient pour objectif d'alléger la masse salariale en limitant les charges sociales et en modifiant l'imputation comptable de certains coûts, afin de continuer à percevoir des aides de la collectivité.
Je tiens à insister sur ce point, car ces abus sont allés très loin. Désormais, les professionnels ne sont souvent plus recrutés en CDI, en CDD, en CDD d'usage intermittents ou au cachet, mais comme prestataires de service au forfait. Faisant fi de la protection sociale et des conditions de travail, pour une mission audiovisuelle donnée, les opérateurs versent une avance aux professionnels et leur restituent le solde, par exemple, sous forme de droits d'auteur. 100% du salaire d'il y a vingt ans sont devenus aujourd'hui 60 % de salaire et de 40 % de droits d'auteur. L'Inspection générale des affaires culturelles (Igac), dans son rapport sur Le documentaire et ses acteurs à l'heure des bouleversements de l'audiovisuel de septembre 2023, a d'ailleurs constaté une baisse du niveau de vie de ces auteurs-réalisateurs d'environ 30 % en un peu moins de vingt ans.
Pour autant, nous sommes bien loin de penser qu'il faut abattre l'écosystème de la TNT, car nous sommes une organisation syndicale de progrès. Il reste que cet état de fait n'est pas satisfaisant sur le plan social. Nous estimons que les opérateurs auraient dû chercher à créer de la valeur, avec des produits rares et de qualité. La télévision publique a su produire des contenus populaires et de qualité. Nous devrions pouvoir retrouver cette recette.
Nous déplorons également la rigidité du régulateur, qui aurait dû privilégier le bon sens. J'en veux pour exemple la numérotation des chaînes et le bloc des chaînes d'information, qui sont dispersées. Pour un ou deux gagnants, des milliers de personnes sont perdantes, à commencer par les travailleurs. Le régulateur est bien conscient de cette absurdité, qui persiste depuis 2012.
C'est donc avec une sincère reconnaissance que Force Ouvrière, par ma voix, vous remercie pour cette audition.