Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 21h30
Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée :

Mes propos risquent de rappeler ceux que j'ai tenus hier, lors du débat relatif aux prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires ; je prie ceux qui y ont assisté de m'en excuser. Je vous remercie pour l'organisation de ces débats qui permettent à la représentation nationale de se saisir d'un sujet important : le partage de la valeur dans le monde agricole. C'est le troisième auquel je participe à l'Assemblée en trois jours, dont deux ont porté sur ces questions, au moment même où se tient le Salon de l'agriculture ; c'est dire combien ces préoccupations sont d'actualité.

La crise que nous traversons depuis plusieurs semaines a mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontés quotidiennement les agriculteurs. Ils se retrouvent parfois face à des injonctions multiples, voire contradictoires : nourrir nos concitoyens, réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, adapter leur production au changement climatique, diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires, améliorer, le cas échéant, le bien-être animal – je pourrais poursuivre cette liste. Depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de la protection de la rémunération des agriculteurs et du partage de la valeur au sein de la chaîne alimentaire.

Comme l'ensemble des Français, et plus encore parce que leur mission au service de nos concitoyens est essentielle, les agriculteurs doivent pourvoir vivre justement de leur travail. Pour cela, il faut payer les produits agricoles au prix juste. Le prix juste, c'est celui qui rémunère correctement le produit, le producteur et chacun des acteurs de la chaîne de valeur ; le prix juste, c'est aussi celui qui permet à nos concitoyens d'avoir accès à une alimentation durable et de qualité : nous pensons que ce double objectif est atteignable. Nous avons traduit cette ambition dans les lois Egalim 1 et Egalim 2, qui ont créé un cadre juridique sans équivalent en Europe. Elles permettent de protéger les agriculteurs et de rééquilibrer les relations au sein de la chaîne de valeur agroalimentaire. Ces lois replacent les agriculteurs au cœur de la construction du prix. J'en rappellerai les dispositions : la construction des prix doit s'effectuer en marche avant – c'est le producteur qui propose le contrat et qui est à l'origine de la définition des prix – ; les coûts de production sont pris en compte par le biais d'indicateurs de référence établis dans les filières ; la contractualisation pluriannuelle, recommandée, donne de la visibilité et sécurise les agriculteurs dans leurs investissements ; des clauses de révision automatique permettent de faire face aux évolutions du marché et aux aléas que les agriculteurs rencontrent pendant la durée du contrat.

Si les deux premières lois Egalim, complétées par la troisième, adoptée en mars 2023, ont produit des résultats positifs, leur application n'est pas sans difficultés. Dans le contexte de tensions sur les matières premières, que nous connaissons depuis près de deux ans, ces lois ont protégé les agriculteurs, mais elles doivent aussi donner lieu à des sanctions à l'encontre de ceux qui n'en respectent pas les dispositions. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé au renforcement des contrôles opérés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), y compris en amont.

En aval, la protection de la matière première agricole fonctionne, même si des difficultés ont été constatées lors des dernières négociations. En revanche, les clauses de révision automatique des prix et les clauses de renégociation n'ont pas toujours été bien rédigées ni réellement appliquées. Des progrès sont attendus en la matière.

À très court terme, la priorité du Gouvernement est de garantir que le cadre issu des loi Egalim est pleinement respecté – c'est l'enjeu du contrôle. Quelque 1 700 contrôles ont été réalisés sur l'origine des produits dans 1 500 établissements ; ils ont conduit à adresser 337 avertissements et 107 injonctions, à dresser 116 procès-verbaux pénaux et à infliger deux amendes administratives. Deux pré-amendes ont été adressées à des centrales d'achat européennes. Je salue le travail considérable et utile réalisé par les services de contrôle. Rappelons également que des procédures sont en cours à l'encontre de centrales d'achat créées dans le seul but de contourner les lois. J'avais personnellement prononcé, il y a quelques années, une amende de 117 millions d'euros à l'encontre d'une telle centrale ; ce contentieux chemine et le jugement sera rendu en France, ce qui est une bonne nouvelle.

Il n'en reste pas moins beaucoup à accomplir. Le Président de la République l'a annoncé samedi au Salon de l'agriculture : il faut instaurer des prix qui permettent de rémunérer justement les agriculteurs. À cette fin, il importe que la contractualisation, qui a fait ses preuves, se développe dans l'ensemble des filières. En amont, l'un des piliers essentiels de la loi réside dans la contractualisation écrite pluriannuelle entre l'agriculteur et le premier acheteur. Or son déploiement demeure inégal. Un effort doit être accompli pour que la dynamique de contractualisation pluriannuelle se développe davantage, en particulier dans certaines filières animales. Les freins sont bien identifiés : la réticence de certaines filières à s'engager dans ce type de contractualisation, pour différentes raisons ; l'organisation des filières ; le rôle d'intermédiaire, le cas échéant ; la possibilité d'arbitrer les prix sur le marché ; ou tout simplement la nature de la production. Lorsque cette dernière est fortement saisonnière, la contractualisation annuelle ne fonctionne pas aussi bien que quand les biens sont produits tout au long de l'année. S'y ajoutent, j'y ai fait allusion, des pratiques de contournement de certains acteurs, fournisseurs comme distributeurs.

La question qui se pose désormais est donc celle des leviers à actionner pour renforcer la dynamique de contractualisation. Une première réponse réside dans l'accompagnement des acteurs de bonne volonté. J'étais il y a peu au Salon de l'agriculture pour accompagner la signature d'un contrat tripartite entre une enseigne de grande distribution, des agriculteurs du Grand Est et un transformateur qui organise la découpe. Ce type de système fonctionne sur une base pluriannuelle ; les prix, négociés directement entre la grande distribution et les agriculteurs, rémunèrent correctement ces derniers et permettent de commercialiser des marchandises de qualité dans la grande distribution. Les démarches de ce type doivent être élargies et encouragées. Une deuxième réponse réside dans l'élargissement du champ de la loi Egalim et dans sa bonne application à la restauration collective – nous y reviendrons.

En ce qui concerne les prix, le cadre des lois Egalim conserve toute sa pertinence. Les outils de régulation qu'elles instaurent doivent permettre d'effectuer les bons ajustements de prix, à la hausse comme à la baisse, en fonction des principes fixés. Ils doivent néanmoins être renforcés pour garantir le revenu des agriculteurs – c'est l'objet des annonces du Président de la République.

Précisons-le d'emblée : les prix planchers, ce n'est pas la fixation par l'État du prix payé à l'agriculteur pour son produit, ni la fixation du prix payé par le consommateur. Il ne s'agit pas de prix administrés. Ce qui compte, c'est que les agriculteurs ne soient pas contraints de vendre leurs produits à des prix qui seraient décalés par rapport aux coûts de production et aux coûts de référence. Ce faisant, nous irons plus loin que le cadre actuel des lois Egalim au niveau national comme européen. Ce travail sera mené en lien étroit avec les filières, afin de définir au mieux les indicateurs de coût de production et la façon de les prendre en compte dans les contrats. C'est l'un des champs dont se saisira la mission parlementaire confiée aux députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault.

Une partie de la solution se situe au niveau européen – les discussions de ces derniers jours l'ont bien montré. L'Europe n'est pas un frein ; elle est au contraire le cadre pertinent pour protéger nos agriculteurs contre la concurrence déloyale de pays qui ne partagent pas les mêmes standards environnementaux et sanitaires que nous. J'entends souvent des récriminations à l'égard du droit de la concurrence européenne mais c'est bien lui qui nous permettra d'encadrer les agissements des centrales d'achat européennes. C'est également au niveau européen que nous pourrons renforcer les contrôles sur les produits importés et sur les pratiques commerciales déloyales – c'est l'objet de la proposition de créer une force de contrôle du type de celle de la DGCCRF diligentée par l'Union européenne. Nous avons travaillé en ce sens la semaine dernière avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, ainsi qu'avec Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, et avec le commissaire à l'agriculture, pour poser les jalons de ce nouveau combat.

Les agriculteurs français peuvent compter sur notre engagement pour répondre à leur désarroi et construire ensemble un chemin pour sortir de la crise qu'ils traversent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion