Intervention de Jérôme Caillé

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 21h30
Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs

Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio :

Permettez-moi de témoigner de mon expérience d'agriculteur bio. En 2002, j'ai choisi la culture des céréales et décidé, en bon entrepreneur, de diversifier les productions de mon exploitation afin de pouvoir faire face aux aléas climatiques et sanitaires. En 2011, j'ai construit un premier bâtiment dédié aux volailles. Je me suis également engagé dans la production d'énergies renouvelables en lançant une centrale de production photovoltaïque sur les bâtiments. J'ai ainsi diversifié mes sources de revenus afin d'être plus résistant d'un point de vue économique, climatique et sanitaire. En dix ans, j'ai investi 800 000 euros dans mon exploitation, soit une somme importante pour un seul agriculteur. Étant donné la taille de la ferme, il m'a fallu embaucher un salarié. Quand on diversifie son activité, on multiplie les tâches et je ne m'en sortais plus tout seul.

Depuis trois ans, je subis la grippe aviaire, qu'on n'avait pas vue venir, mais aussi les aléas climatiques : je n'ai pas semé un seul hectare à l'automne dernier. Aujourd'hui, ce qui me manque, c'est le moyen de pérenniser mon exploitation. Quand on possède une entreprise agricole, on est en capacité de faire face à de petits aléas, mais la situation devient très difficile quand on subit des pertes de l'ordre de 30 000 euros en l'espace de trois ans : on n'a pas la capacité de résister car on n'a pas pu mettre de côté les sommes nécessaires pour surmonter les difficultés.

Je serai franc : depuis dix ans, mon revenu mensuel moyen s'élève à 960 euros. J'ai créé une activité économique qui fait vivre de nombreuses personnes – pour un agriculteur en activité, ce sont environ dix personnes qui travaillent dans les différents services en aval –, ce dont je suis fier, mais la situation n'est pas durable. Pour faire perdurer le modèle agricole français, il faut favoriser l'installation de jeunes agriculteurs. Pour reprendre les chiffres de Sylvie Colas, dans dix ans, j'aimerais que nous soyons 300 000 et non 200 000 agriculteurs !

Nous devons agir sur deux volets importants : il faut, d'une part, sécuriser les revenus, comme cela a été dit – nous reparlerons du commerce équitable –, et, d'autre part, faire en sorte que les systèmes assurantiels nous accompagnent en cas de difficultés et de crise. Dans le secteur bio, de telles assurances n'existent pas malgré les incitations de la politique agricole commune (PAC). Les assureurs n'y sont pas favorables, notamment parce qu'ils ne savent pas comment assurer les parcelles qui comptent deux types de culture différents, alors que ce procédé, qui favorise la résilience, est très utilisé dans le bio. Une autre approche a été proposée en 2017 consistant à formaliser des contrats tripartites entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Sur le papier, cette approche est positive : elle engage un prix, plancher ou non – nous avons cependant eu du mal à obtenir que ce prix rémunère l'agriculteur à hauteur de 2 Smic, la plupart des acteurs en aval considérant qu'un Smic est déjà suffisant.

Depuis deux ans, vous le savez, la production bio est en berne et notre difficulté vient du fait que le prix n'engage pas un volume : il engage un prix moyen par rapport à un modèle d'exploitation. Ma ferme est supposée produire 45 000 poulets par an, mais le marché s'est tellement effondré depuis deux ans que l'on ne m'en achète que 21 000. Mon système ne tient donc plus et rien ne le protège dans les contrats. Dans la construction des modèles de prix plancher, il ne faudra pas oublier que d'autres aléas climatiques et sanitaires vont se produire. La peste porcine est à nos portes et la maladie hémorragique épizootique (MHE) est déjà dans le Sud-Ouest. Les exploitations existantes ne peuvent pas résister à des pertes économiques aussi violentes.

Les marges des distributeurs sont donc un sujet très important. Voici un exemple : au départ de mon exploitation, un poulet entier et vivant coûte 3,10 euros. Je trouve ses filets en vente à Paris à 51 euros le kilo. Cela fait mal quand on sait qu'à la sortie de l'abattoir le poulet coûte environ 12,50 euros. Les distributeurs nous expliquent qu'ils ne vendent pas assez et qu'ils sont obligés d'anticiper les pertes. Leurs marges sont peut-être faibles, mais l'année dernière, la grande distribution a investi 3 milliards d'euros pour faire la publicité de produits bon marché – une publicité destructrice des valeurs de nos exploitations. Une meilleure répartition des budgets de la grande distribution pourrait sans doute être envisagée afin de valoriser les produits français et de permettre qu'une partie de leur valeur nous revienne.

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