Intervention de Sylvie Colas

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 21h30
Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs

Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne :

Je suis agricultrice bio dans le Gers. Je voudrais rappeler quelques chiffres essentiels, repris aujourd'hui même par la lettre d'information Agra fil. En 1992, il y avait en France 1,2 million d'agriculteurs ; il y en a actuellement entre 360 000 et 400 000, selon les données que l'on retient, car de nombreux agriculteurs sont des double-actifs ; ce nombre devrait tomber à 200 000 dans une dizaine d'années. C'est certes un effet de la pyramide des âges, mais aussi du manque de renouvellement des agriculteurs.

Comment en sommes-nous arrivés là ? D'abord en raison du problème du revenu. L'absence de renouvellement des agriculteurs, le nombre insuffisant d'installations et la faible attractivité du métier tiennent au fait que c'est le métier dans lequel on travaille et on investit le plus, mais dans lequel on gagne le moins d'argent et on a en plus une mauvaise retraite. La messe est dite.

Nous en sommes arrivés là, car il n'y a jamais eu de juste répartition de la valeur dans la rémunération de la production. Le travail de production n'est pas simple, car nous travaillons avec le vivant. Nous subissons les aléas climatiques et les conditions pédoclimatiques différentes d'une région à l'autre, mais aussi les effets de la mondialisation et de la spéculation, par exemple sur les céréales ou sur d'autres matières premières. Les paysans produisent la matière première tandis que les consommateurs achètent un produit alimentaire transformé, élaboré, transporté et mis à sa disposition. Dans ces conditions, il est difficile de déterminer la part du revenu de l'agriculteur dans le prix du produit alimentaire final, d'autant que ce dernier est souvent constitué d'autres produits.

Dès 2008, à la Confédération paysanne, nous avons parlé de prix planchers. Jusqu'en 1992, il existait une certaine régulation des marchés par l'intermédiaire de quotas, sur le lait ou la betterave, par exemple, et de prix minimums garantis. Nous avons rencontré le président Macron à plusieurs reprises ces derniers temps et nous lui avons rappelé que personne ne gagnait d'argent actuellement : aucun modèle ne s'en sort, ni l'agriculture bio, ni le modèle industriel, ni les petites fermes, ni même les grandes, car elles ne parviennent pas à rentabiliser leurs investissements. Les agriculteurs qui ont choisi le modèle productiviste ne s'en sortent pas alors qu'on leur avait dit que ce modèle leur permettrait d'être compétitifs face au marché mondial. Ils étaient dans la rue avec nous, qui représentons plutôt une agriculture paysanne, à échelle humaine, et qui rencontrons également des difficultés pour nous rémunérer et assurer la pérennité de nos fermes. Le problème est donc global.

C'est pourquoi nous avons appelé le Gouvernement à concentrer sa réflexion sur la rémunération des paysans, à partir du coût de la production, mais aussi de la couverture sociale des agriculteurs – celle-ci a trop souvent été rognée. Encore récemment, le Gouvernement a proposé une exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (Tode). Avec cette mesure, on considère les cotisations sociales comme des charges et on fait comme si la production agricole ne pouvait ni rémunérer ses travailleurs, ni assurer leur protection sociale. C'est bien le seul secteur économique qui soit dans une telle situation !

Le prix plancher est à construire. Il est complexe et tous les indicateurs nécessaires ne sont pas entièrement définis. Cependant, si l'agriculture est plurielle, elle bénéficie de l'expérience passée. Dans le Gers, certains producteurs ont été indemnisés à la suite de la grippe aviaire. Pour cela, tous les systèmes ont été évalués : filière longue, filière courte, filière bio, filière non bio, vente directe, circuit long. Des prix ont été élaborés par des services économiques fiables, qui pourraient aujourd'hui fournir des propositions de prix planchers selon les modèles, les circuits et la qualité des produits. Établir ces prix ne pose pas de difficulté, mais nous devons nous mettre d'accord sur la manière de réguler le système. Le prix n'est pas tout : il faut nécessairement réguler la production.

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