Intervention de Thomas Uthayakumar

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 21h30
Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs

Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH :

D'après les données de l'Insee, entre 2018 et 2021, les entreprises exerçant en aval de la filière ont dégagé 61 % de bénéfices net supplémentaires. Je rappelle que les bénéfices nets, qu'on appelle aussi les profits, sont obtenus en retranchant du chiffre d'affaires les investissements, l'amortissement du matériel et l'ensemble des coûts. Pour cette même période, nous avons évalué les revenus des agriculteurs, notamment des éleveurs laitiers. Les données du réseau d'information comptable agricole (Rica) permettent d'établir que le revenu horaire des éleveurs se situe entre 0,7 et 0,9 Smic horaire.

La situation est donc très inégalitaire, ce qui soulève plusieurs questions. Comment se réalise la construction des prix dans le secteur ? Comment corriger l'iniquité que nous constatons ? Certains acteurs réussissent à pérenniser leur activité économique, notamment dans les secteurs de la distribution et de l'agroalimentaire, tandis que les éleveurs ne parviennent toujours pas à vivre de leur métier.

Nous avons illustré ce constat en étudiant des produits phares dans le secteur laitier : le beurre, le lait et le camembert. Vous savez sans doute que la vache normande Oreillette est l'égérie du Salon de l'agriculture. Pourtant, elle n'est pas représentative du secteur laitier français, dès lors que la majorité des vaches laitières ne sont pas des vaches normandes.

L'étude du mode de production du beurre, du lait et du camembert permet d'évaluer les marges de différents acteurs de la distribution et de l'agroalimentaire et de quantifier le coût de la matière première pour les agriculteurs. Depuis les années 2000, l'accroissement des marges se fait au détriment des éleveurs. Cette évolution depuis vingt ans est significative et pose la question de la construction des marges.

Le secteur laitier souffre d'une double déconnexion, à la fois physique et économique. La déconnexion physique tient au processus de production. Les camions-citernes collectent le lait à la ferme, puis celui-ci est standardisé : il est mélangé, homogénéisé et ses différents composants – babeurre, caséines, peptones, notamment – sont recueillis séparément. Une fois le lait homogénéisé, on ne peut plus retracer son origine, d'où la déconnexion économique.

La question posée est très simple : pourquoi l'emmental, qui est issu à près de 85 % de lait produit dans le Grand Ouest français, est-il vendu à des prix très différents dans les supermarchés ? En effet, on observe des différences de prix significatives entre les marques de distributeurs bio (MDB) et d'autres marques nationales. En réalité, le prix final au kilo n'est pas lié à l'origine du lait, puisque les laits utilisés sont collectés dans la même région, mais dépend de la valeur immatérielle créée par le marketing. Rappelons que près de 80 % du lait collecté est conventionnel, c'est-à-dire qu'il n'est pas issu d'une démarche engagée et ne relève ni des signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo), dont fait partie le bio, ni des marques privées.

Pour expliquer cette déconnexion physique et économique, il faut observer l'asymétrie du pouvoir entre les acteurs et la structure oligopolistique de la filière.

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