Monsieur le président, à mon tour, je vous félicite de votre élection.
Au moment où nous parlons, un Français sur six n'arrive pas à se nourrir correctement. Nous sommes la septième puissance économique mondiale et la première puissance agricole de l'Union européenne, mais 10 millions de Français n'arrivent pas ou peinent à faire trois repas par jour. Qui sont-ils ? Vous les connaissez comme moi : des retraités avec de petites pensions, des mamans ou des papas seuls avec leurs enfants, des jeunes, des étudiants, qui sont parfois juste au-dessus du niveau requis pour toucher les bourses. Plus alarmant encore, ce sont les travailleurs pauvres, même en CDI, dont les banques alimentaires nous disent qu'ils représentent 10 % de leurs bénéficiaires. Telle est la réalité de la précarité alimentaire, qui n'a cessé de croître ces dernières années, dans un contexte marqué par une forte inflation sur les produits alimentaires, de base en particulier.
Comment agir ? Il faudrait tout d'abord une politique des salaires à l'échelle de notre pays, afin de mieux rémunérer le travail. Au-delà, il nous faut aussi mener une action volontariste ciblée contre la précarité alimentaire. Nous vous proposons ce matin de faire le choix de mesures simples, concrètes et applicables immédiatement, avec un objectif simple à énoncer mais très ambitieux : éradiquer la précarité alimentaire dans ce que nous appelons les « territoires zéro faim ». Je veux dire d'emblée que cette mesure a été adoptée en commission des finances, au mois de novembre dernier, mais n'a pas été retenue dans le cadre du 49.3.
« Territoires zéro faim » répond à deux constats : le besoin d'une mobilisation générale des acteurs et la multiplicité des manifestations de la précarité alimentaire. Il n'y a pas que la faim, il y a aussi les soucis de santé causés par une mauvaise alimentation – l'obésité, qui progresse en particulier chez les enfants et les jeunes, les maladies cardiovasculaires. Il s'agit de mobiliser tous les moyens, les acteurs et les leviers possibles dans nos politiques publiques pour l'éradiquer. Telle est l'ambition que nous nourrissons pour dix territoires, avec l'aide de l'État, aide financière et en ingénierie, afin de mettre en œuvre des actions concrètes, convergentes et puissantes.
Quelles sont-elles ? Première action : la généralisation de la tarification sociale dans les cantines des écoles, des collèges et des lycées, selon le quotient familial, qui constitue un référent très juste. Deuxième action : le repas à 1 euro pour les étudiants. Actuellement, il est réservé aux élèves boursiers, mais la précarité – l'idée de se nourrir de pâtes et de riz à longueur de semaine – ne touche pas que ceux-là. Troisième action : l'expérimentation du chèque alimentation durable, une proposition longuement débattue avant d'être remisée au mois de janvier par le Président de la République. Ce chèque donne la possibilité d'acheter notamment des fruits et des légumes aux producteurs locaux. S'il pose des questions techniques, des réponses existent. Quatrième action : l'éducation à l'alimentation. Cuisiner des produits bruts, cela s'apprend, tout comme la lutte contre le gaspillage alimentaire. Cinquième action : le renfort du soutien aux acteurs de l'aide alimentaire. Sixième action : la création d'une offre alimentaire dans certains territoires, en particulier dans ceux qui offrent des produits locaux, frais et sains.
Ma liste n'est pas limitative. Ce sera aussi aux « territoires zéro faim » de définir les actions qu'ils souhaiteront mettre en œuvre. Une synergie locale doit s'enclencher. Ces pistes ne font qu'orienter le travail et doivent permettre aux territoires de faire converger et de rendre plus efficaces les différentes actions.
La gouvernance est importante. Il est essentiel de mettre autour d'une table une diversité d'acteurs qui n'ont pas toujours l'habitude de travailler ensemble : les collectivités locales, pour la volonté politique, les associations d'aide alimentaire, sans lesquelles rien n'est possible, mais aussi les producteurs, les acteurs économiques. Les auditions nous ont montré que les associations d'éducation populaire avaient un vrai rôle à jouer. Les projets alimentaires territoriaux (PAT), que les territoires qui en disposent pourront enrichir, sont un vrai point d'appui – ce n'est pas Stéphane Travert qui me contredira.
Enfin, si c'est bien d'associer les acteurs, c'est encore mieux d'associer les citoyens. J'ai été président du Conseil national de l'alimentation (CNA), où nous avons mené un très beau travail sur la précarité alimentaire, en nous appuyant sur la parole des personnes concernées. On va plus vite ainsi. Plus de démocratie, c'est plus d'efficacité face à la précarité alimentaire.
Ce qui compte, c'est de mettre les gens autour de la même table, de prendre le problème à la racine et de considérer qu'il n'y aura pas de résultat sans accompagnement social. La précarité alimentaire s'accompagne d'autres précarités, qu'il s'agisse de la santé ou du logement. Il faut prévoir un accompagnement dans la durée des personnes concernées, parce que c'est ainsi que l'on est efficace.
Une deuxième disposition concerne une aide nationale aux associations de solidarité, aux centres communaux d'action sociale (CCAS), aux centres intercommunaux d'action sociale (CIAS), à ceux qui ont un rôle dans l'accompagnement des personnes. Je vous propose une TVA à 0 %, compatible avec la réglementation européenne, pour leurs achats de denrées alimentaires. Ce serait un vrai geste de solidarité de la nation. Des efforts ont déjà été faits, notamment avec « Mieux manger pour tous », mais les associations nous disent qu'elles rencontrent de vraies difficultés tous les jours – un grand réseau national l'a d'ailleurs dit avant sa collecte de décembre. Les associations reçoivent des dons – et j'ai été l'un des acteurs de cette politique grâce à une loi contre le gaspillage alimentaire, adoptée à l'unanimité en 2016, qui avait permis de leur donner davantage d'invendus des grandes surfaces – mais la précarité est si forte qu'il faut pouvoir les aider de façon directe et puissante.
Pour conclure, les « territoires zéro faim » constituent une expérimentation qui concernera dix territoires. Qui dit expérimentation dit évaluation, en vue d'une généralisation, en fonction de ce qui aura marché ou non. C'est une belle façon de fabriquer la loi que de travailler dans l'ordre.
J'ai une conviction toute simple : la nourriture n'est pas une marchandise comme les autres ; elle est un bien commun, qui nécessite de définir des politiques adaptées et volontaristes. Si l'on considère que la précarité alimentaire est un risque social, il faut la combattre comme tel. J'espère que ces dispositions ambitieuses emporteront l'adhésion la plus large dans notre commission ce matin.