Monsieur le président, je vous félicite pour votre élection et me réjouis de vous avoir entendu souhaiter que le débat puisse vivre dans cette commission : nous allons nous y employer dès ce matin !
Interrogé lundi matin sur RTL quant aux réponses à apporter face à l'augmentation continue du nombre de logements vacants – qui représentent près de 3,1 millions de logements selon le dernier décompte de l'Insee –, le nouveau ministre chargé du logement, Guillaume Kasbarian, notait que la crainte des impayés locatifs pouvait souvent être l'une des causes de cette vacance. De fait, selon une étude dont les résultats nous ont été communiqués par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), près de 10 % de logements sont laissés vacants par les propriétaires par crainte de ces impayés. Redonner confiance aux propriétaires dans ce domaine permettrait donc de remettre potentiellement près de 300 000 logements sur le marché, ce qui est loin d'être négligeable.
Le manque de logements disponibles est une bombe sociale à retardement. Quand plus de 10 % des Français renoncent à un emploi faute de logement disponible et que 12 % des étudiants renoncent à poursuivre leurs études pour cette même raison, c'est toute la promesse républicaine qui en est fragilisée – nous pouvons tous nous accorder sur ce constat.
Deux options s'ouvrent ainsi à nous. La première est de continuer sur la voie de la criminalisation permanente des locataires en situation d'impayés de loyer, alors que, selon tous les représentants des propriétaires, ils sont très peu nombreux – moins de 2 % – et moins nombreux encore sont, parmi eux, ceux de mauvaise foi. À ce titre, la loi « Kasbarian » visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, dite loi « anti-squat », n'aura pour effet que d'accroître la précarité des ménages en grande difficulté, d'augmenter le nombre d'expulsions sèches et de peser, in fine, sur le budget de l'hébergement d'urgence.
L'autre option, offerte par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, concilie le droit du propriétaire à percevoir un loyer et celui du locataire à être, en cas de besoin, accompagné pour sortir d'une situation difficile.
Cette proposition de loi permettra également d'éviter que des milliers de personnes ne puissent accéder à un logement faute de pouvoir justifier de revenus suffisants, d'un garant, ou même de la possibilité de souscrire à une garantie des loyers impayés privée, réservée aujourd'hui aux ménages les plus aisés. Elle évitera aussi à des milliers de personnes de falsifier leur fiche de paie ou leur déclaration de revenus, ce qui est bien souvent pour elles la dernière solution pour obtenir un logement. Je vous invite tous à lire l'article publié à ce propos par Le Monde en date du 28 décembre 2023.
Si j'étais taquin, chers collègues de la majorité, je dirais que c'est une proposition de loi de l'authentique « en même temps » que je vous présente aujourd'hui, car elle est en même temps gagnante pour les propriétaires et gagnante pour les locataires. Elle a d'ailleurs su naguère réunir des personnalités aussi différentes que Jean-Louis Borloo et Cécile Duflot.
Venons-en au dispositif. L'article 1er reprend, dans leurs grandes lignes, les dispositions inscrites à l'article 23 de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « Alur », adoptée en 2014.
Premièrement, il crée une garantie universelle des loyers (GUL) publique et gratuite, ouverte à l'ensemble des locataires et des propriétaires, dans des conditions à préciser par décret.
Deuxièmement, il crée une agence nouvelle épaulée, le cas échéant, par des centres agréés, et qui serait dotée de larges prérogatives de puissance publique, non seulement pour indemniser les propriétaires en cas de sinistre et pour se retourner contre les locataires de mauvaise foi, mais aussi et surtout pour proposer des aides et un accompagnement sur mesure aux locataires en difficulté. Les amendements présentés par certains collègues précisent utilement ce point. La GUL n'est pas un droit à l'impayé de loyer ni une simple indemnisation du propriétaire, c'est une véritable « sécurité sociale du logement », qui protège et accompagne propriétaire et locataire lorsque la situation sociale de ce dernier ne lui permet plus de payer son loyer.
Pourquoi cette GUL, adoptée en 2014 et dont la mise en œuvre était prévue à partir du 1er janvier 2016, n'a-t-elle jamais vu le jour ? Sans qu'aucune difficulté juridique ou technique y ait, à ma connaissance, fait obstacle, la seule raison à la disparition de ce dispositif tient à son coût, estimé dans l'étude d'impact du projet de loi Alur à 700 millions d'euros et dont il était prévu d'assurer le financement par une nouvelle taxe locative. Le déploiement du visa pour le logement et l'emploi (Visale), dont le coût avoisine les 100 millions d'euros par an, destiné à des publics vulnérables et accusant un taux de recouvrement d'environ 50 % – très supérieur, donc, à celui pris en compte pour les estimations de la loi Alur, qui se situe autour de 10 % –, montre que l'estimation de 700 millions d'euros en 2014 était très vraisemblablement surévaluée.
Pourquoi revenir à la GUL si le dispositif Visale existe ? Aussi remarquable que soit le travail d'Action logement en la matière, la GUL permettra d'aller beaucoup plus loin que le dispositif Visale, dont l'insuffisance n'est pas à imputer à Action logement, mais à sa conception même.
Premièrement, le public cible de Visale est trop restreint, la garantie n'étant pas ouverte aux retraités et aux personnes en recherche d'emploi, qui doivent être les plus aidées, ni même aux fonctionnaires. Quant à l'ouverture aux indépendants et aux saisonniers, promise en 2023, elle n'est toujours pas actée.
Un tel élargissement n'est pas naturel pour Action logement. Les salariés étant normalement le public prioritaire qui doit bénéficier du produit de la participation des employeurs à l'effort de construction (Peec), je ne peux que comprendre la réticence des partenaires sociaux à utiliser celle-ci pour une autre finalité.
Deuxièmement, le niveau des engagements hors bilan devient problématique, malgré la maîtrise du coût du dispositif. Au bout du compte, c'est bien l'État qui sera garant de la garantie Visale accordée.
Troisièmement, l'accompagnement social visant au relogement du locataire en situation d'impayés ne figure pas parmi les missions d'Action logement, alors qu'il doit être une priorité politique pour des raisons d'efficacité et d'humanité.
Enfin, et c'est peut-être le point le plus important, le caractère non universel de la garantie Visale était justifié, en théorie, en ce qu'elle représentait un atout pour les locataires les moins favorisés sur le modèle de la discrimination positive. La réalité est bien différente : Visale fonctionne plutôt comme un stigmate que comme un avantage comparatif. Soyons clairs, pour la majorité des bailleurs, la garantie Visale est et restera synonyme de locataire en difficulté. Ces bailleurs préféreront toujours louer à une personne ayant des revenus confortables et bénéficiant d'un ou de plusieurs garants. Ainsi, depuis janvier 2016 et le lancement de la garantie Visale, 2,7 millions de visas ont été certifiés – le visa est, pour le futur locataire, la preuve vis-à-vis du futur propriétaire qu'il bénéficie de la couverture Visale. Or, moins de la moitié de ces visas a donné lieu à l'émission d'un contrat Visale. Dans plus d'un cas sur deux, le propriétaire n'a donc pas souhaité louer son bien à une personne ayant fait de la garantie Visale un atout de son dossier de candidature à la location.
Quant aux professionnels de l'immobilier, ils auront, en cas de location intermédiée, toujours intérêt à privilégier la garantie des loyers impayés (GLI) des assurances privées, dont ils dégagent un intérêt négocié. J'en veux pour preuve que, si nous ne faisons pas la GUL, ce sont eux qui la feront à notre place. Comme elle l'a clairement dit lorsque nous l'avons auditionnée, la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) milite pour le déploiement d'un système d'assurance privée universelle en cas de location intermédiée. Un tel système sera évidemment payant et seuls les dossiers les plus solides pourront y être éligibles.
Pour toutes ces raisons, je pense que la GUL s'imposera comme la sécurité sociale s'est un jour imposée face aux différents systèmes privés d'assurance maladie. Il faut même aller plus loin et les amendements qui proposent de la rendre obligatoire me semblent aller dans le bon sens, même si nous ne pourrons pas les examiner. Rendre obligatoire la GUL et supprimer toute possibilité de cautionnement ou toute garantie de loyers impayés privée, c'est s'assurer que tous les locataires seront traités sur un pied d'égalité. Je proposerai également des amendements dans cette perspective.
Chers collègues, vous avez l'occasion de prendre au mot notre nouveau ministre en restaurant la confiance entre les locataires et les propriétaires : saisissez cette chance !