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Intervention de Anne-Laurence Petel

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Laurence Petel, rapporteure :

Nous sommes tous fortement attachés à l'Arménie. À ce pays ami si éprouvé au cours de l'histoire, des liens forts, historiques, culturels et affectifs, nous unissent. Dans quelques jours – beau hasard du calendrier –, les époux Manouchian, héros de la Résistance française, feront leur entrée au Panthéon. Ils y entreront en tant qu'Arméniens, ce qui constitue un symbole fort de la contribution des étrangers à la Résistance française et de l'attachement des Arméniens à la France, qui les a accueillis, recueillis après le génocide de 1915. Face à l'exode forcé, en trois jours et dans des conditions dramatiques, de plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh, il serait incompréhensible que nous restions, nous députés français, silencieux et indifférents.

Plusieurs étapes ont conduit aux événements dramatiques de septembre 2023. L'offensive éclair du 19 septembre, lancée par le président Ilham Aliyev, a constitué la phase ultime d'une opération de reconquête par la force engagée par l'Azerbaïdjan.

Lors de la chute de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), la population arménienne du Haut-Karabakh, redoutant d'être absorbée par l'Azerbaïdjan, a proclamé son indépendance. Le conflit subséquent a tourné à l'avantage de l'Arménie, qui a conquis une portion de territoire composée de sept districts la reliant au Haut-Karabakh.

En 2016 et surtout en 2020, lors de la guerre dite de quarante-quatre jours, les Azerbaïdjanais reconquirent non seulement ces districts mais également deux-tiers du Haut-Karabakh. Cette guerre fit des milliers de morts et de blessés. L'Azerbaïdjan y reçut l'appui de la Turquie, qui a notamment transféré 5 000 djihadistes depuis la Syrie. Un cessez-le-feu fragile fut conclu le 9 novembre 2020. Alors même que cet accord lui était très favorable, la partie azerbaïdjanaise n'a eu de cesse d'en violer les termes.

À compter du 12 décembre 2022, de prétendus militants écologistes azerbaïdjanais, profitant de l'inertie des forces russes, bloquèrent les convois à destination de Stepanakert, qui ne pouvaient passer que par le corridor de Latchine. Ils entravèrent ainsi le ravitaillement des populations civiles au début de l'hiver. Ce blocage des communications routières a été aggravé par des coupures d'électricité et de gaz.

Au printemps 2023, les autorités de Bakou installèrent un poste de contrôle à l'entrée du couloir de Latchine et restreignirent drastiquement les conditions de passage, qui fut bloqué à partir de juillet 2023, y compris pour les convois humanitaires. En neuf mois, la nasse du régime azerbaïdjanais s'est refermée sur les hommes, les femmes et les enfants de ce territoire considéré comme ancestral par le peuple arménien.

L'opération militaire du 19 septembre paracheva cet étranglement progressif. Elle n'a pas présenté de difficulté majeure pour les forces azerbaïdjanaises, tant les forces du Haut-Karabakh avaient été affaiblies par la guerre précédente et par le blocus imposé à partir de décembre 2022, qui ont laissé les populations sans vivres, sans médicaments et sans carburant. De surcroît, la Russie, désignée garante de la libre circulation des biens et des personnes par l'accord de cessez-le-feu de novembre 2020 et dont les 2 000 soldats devaient assurer la protection de la population, a refusé d'intervenir, laissant la population arménienne du Haut-Karabakh sans défense face à son agresseur. Sans ressources et exsangue, l'armée de défense de la République autoproclamée d'Artsakh fut contrainte à la reddition dès le lendemain de l'attaque.

La conséquence de cette opération militaire a été immédiate : ce territoire peuplé d'Arméniens a subi un nettoyage ethnique. Plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh, soit la quasi-totalité d'entre eux, ont fui en quelques jours vers la République d'Arménie voisine. Il n'en reste qu'une trentaine. Pour la première fois depuis 2 500 ans, il ne reste plus d'Arméniens au Haut-Karabakh, qui est considéré comme le berceau de la culture arménienne. Ce processus relève d'une stratégie délibérée d'éradication de la présence arménienne au Haut-Karabakh et d'un mécanisme d'effacement de la mémoire, qui provoque le départ forcé des populations ainsi que la dégradation du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires passés sous contrôle de l'Azerbaïdjan, et inclut la réécriture de l'histoire. Ces faits sont documentés par des images satellites produites par l'université de Durham, en Angleterre.

L'objet premier et fondamental de la proposition de résolution est de condamner, de la façon la plus ferme, l'offensive azerbaïdjanaise du 19 septembre 2023, ainsi que l'exode qu'elle a provoqué et les exactions commises par les troupes de l'Azerbaïdjan à cette occasion. Elle traite également des enjeux d'intégration des populations réfugiées, de garantie de leur droit au retour et de préservation de leur patrimoine culturel et religieux.

Face à ce drame, la France n'est pas restée sans réaction. Au contraire, elle est aux avant-postes du soutien à cette fragile démocratie du Caucase. Notre pays a été le premier à dépêcher une aide humanitaire pour la prise en charge des blessés du Haut-Karabakh transférés en Arménie, pour l'accueil des réfugiés et pour le renforcement de cette aide à plus long terme, à titre bilatéral, ainsi que par l'intermédiaire des agences des Nations Unies et de la Croix-Rouge. La France a débloqué une aide humanitaire de 29,5 millions d'euros, auxquels s'ajoutent l'envoi de cinq tonnes de matériel médical par avion et le rapatriement à Paris de blessés graves ou de grands brûlés après l'explosion d'un dépôt de carburant à Stepanakert le 25 septembre.

Malheureusement, la volonté expansionniste d'Ilham Aliyev ne se limite pas au seul territoire du Haut-Karabakh. À la suite d'opérations militaires entamées dès 2021, amplifiées à partir de mai 2022 et qui ont culminé les 12, 13 et 14 septembre 2022, l'Azerbaïdjan occupe des pans entiers du territoire de la République d'Arménie, sur une surface comprise entre 140 et 200 kilomètres carrés.

L'ambition expansionniste du régime azerbaïdjanais prend la forme de la revendication récurrente d'un corridor extraterritorial pour relier l'Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan. Cette revendication, à laquelle s'ajoutent les propos bellicistes et anti-arméniens dont Ilham Aliyev est coutumier, fait craindre une opération militaire visant à imposer l'ouverture du corridor du Zanguezour et s'emparer de tout ou partie du Sud de l'Arménie. Cette dernière fait preuve de bonne volonté, dans la mesure où elle ne s'oppose pas à l'usage des voies de communication avec le Nakhitchevan par les Azerbaïdjanais, dès lors que la souveraineté arménienne y demeure pleine et entière, ce qui est une demande légitime s'agissant d'un pays souverain.

Cette possibilité fait partie de l'accord de cessez-le-feu de 2020 mais la position de l'Arménie ne semble pas satisfaire l'Azerbaïdjan, toujours plus gourmand. Qu'Ilham Aliyev nourrisse une obsession expansionniste et des buts cachés est démontré par le refus de l'Azerbaïdjan de renoncer au corridor de Zanguezour au profit d'un passage proposé par l'Iran sur son territoire. Encore récemment, il a affirmé le caractère azerbaïdjanais de l'Arménie et d'Erevan.

C'est pourquoi le second objet majeur de la proposition de résolution consiste à exiger le respect de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie.

La France, de ce point de vue, n'a pas ménagé les efforts de sa diplomatie pour amener ses partenaires à condamner plus fermement le recours à la force et ses conséquences, à défendre le principe de l'intégrité territoriale de l'Arménie et à œuvrer en faveur de la signature d'un traité de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ses efforts pour sensibiliser ses partenaires européens ont notamment permis une implication de l'Allemagne dans la médiation, Olaf Scholz ayant assisté à certaines rencontres de négociation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Afin d'aider la République d'Arménie à défendre son intégrité territoriale, la France a renforcé sa coopération militaire avec elle. Un accord de coopération militaire a été signé le 23 octobre dernier entre nos deux pays. Un attaché militaire de défense avait préalablement été nommé à l'ambassade de France. Une représentation consulaire a été ouverte à Goris, dans le Sud du pays, convoité par l'Azerbaïdjan. L'accord prévoit également l'envoi d'un conseiller de défense auprès du ministre arménien de la défense. Ces décisions font de la France le premier pays occidental à s'engager concrètement pour le renforcement des capacités de défense de la République d'Arménie.

Par ailleurs, la mission de l'Union européenne en Arménie (EUMA) joue un rôle très utile. Depuis février 2023, elle patrouille le long de la frontière arméno-azerbaïdjanaise du côté arménien, l'Azerbaïdjan ayant refusé qu'elle soit déployée sur son sol, pour stabiliser la situation et rassurer les populations. Cette présence, même purement civile et non armée, a certainement contribué à freiner les ardeurs de l'Azerbaïdjan. Toutefois, les heurts ont repris il y a quelques jours, provoquant la mort de quatre personnes en Arménie.

Le 13 novembre, les États membres de l'Union européenne (UE) ont décidé de renforcer les moyens humains et matériels de l'EUMA, ce qui portera bientôt à deux cents le nombre de ses membres. Lors du même Conseil européen des affaires étrangères, ils ont décidé de fournir à l'Arménie un soutien non létal au titre de la Facilité européenne pour la paix (FEP).

L'Arménie est dans une situation géopolitique délicate. Elle est bordée, à l'Ouest et à l'Est, par deux États – la Turquie et l'Azerbaïdjan – avec lesquels ses frontières sont fermées. Alliée de l'Azerbaïdjan, la Turquie ne cache guère son projet d'empire panturc. La Russie, de son côté, s'est clairement éloignée de l'Arménie, en signe de désapprobation du rapprochement d'Erevan avec les États occidentaux. Quant à l'Iran, il tend à voir dans l'Arménie un axe de transit vers la Russie et un débouché commercial indispensable. La République islamique observe avec préoccupation les visées territoriales azerbaïdjanaises dans le Sud de l'Arménie.

L'Arménie est au carrefour d'enjeux géostratégiques. Chaque puissance régionale joue sa partition, sans égards pour ses droits et sa souveraineté. Dans ce contexte, la France et l'UE doivent être au rendez-vous.

La proposition de résolution avance une série de demandes organisées selon trois axes principaux : renforcer davantage la coopération avec l'Arménie ; maintenir la pression sur l'Azerbaïdjan, notamment en dénonçant les accords relatifs aux visas et en reconsidérant les accords gaziers et pétroliers ; ne pas hésiter à recourir à l'outil des sanctions, pour punir les auteurs de crimes de guerre et saisir les avoirs des dirigeants en cas de nouvelle violation de l'intégrité territoriale de l'Arménie.

Si la proposition de résolution encourage la recherche des voies conduisant à la signature d'un traité de paix durable avec l'Azerbaïdjan, elle rappelle aussi que cette paix ne pourra être bâtie que sur la sécurité et la justice, donc sur le respect des droits des habitants du Haut-Karabakh et sur l'intégrité des frontières de la République d'Arménie.

L'Arménie est l'un des rares pays du Caucase dont le fonctionnement politique et judiciaire est très largement conforme aux critères d'une véritable démocratie. Les Arméniens ont consenti beaucoup d'efforts et ont fait preuve de courage pour se rapprocher de l'Europe et améliorer les standards de leur vie politique et de leurs institutions : leur récente adhésion, très courageuse, à la Cour pénale internationale (CPI) en offre la preuve. Il nous incombe de ne pas les abandonner à ce moment crucial de leur histoire.

Mes chers collègues, je vous appelle donc à voter cette proposition de résolution.

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