Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution européenne visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan et à exiger le respect de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie – laquelle est menacée, voire à certains égards mise en cause –, proposition de résolution européenne qui a été transmise à notre commission le 17 janvier 2024.

En application de l'article 151-6 de notre règlement, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d'un délai d'un mois, à compter du dépôt d'un tel texte pour, le cas échéant, l'examiner et déposer son propre rapport.

La question de la sécurité des Arméniens et de l'intégrité territoriale de l'Arménie, où je me suis rendu quelques jours à peine avant les événements à l'origine du texte que nous allons examiner, et qui a donné lieu à un rapport d'information publié le 18 octobre 2023, intéresse au plus haut point notre commission. Il était inenvisageable d'escamoter ce débat ou de faire fi de l'incidence et de la signification particulières du texte, qui a été adopté par la commission des affaires européennes.

Le Haut-Karabakh, territoire essentiellement peuplé de personnes d'origine arménienne – jusqu'aux événements, hélas, que j'ai évoqués –, s'était autoproclamé – cet aspect de la question détermine beaucoup de choses, notamment les relations entre la République d'Arménie et la République d'Artsakh – en sécession de l'Azerbaïdjan lors de l'effondrement de l'Union soviétique.

Une première guerre, de 1988 à 1994, a abouti à une situation d'indépendance de fait mais les autorités de l'Azerbaïdjan n'ont jamais accepté cet état des choses. Du 27 septembre au 9 novembre 2020, une offensive très dure a abouti à la reprise par la force de plusieurs districts périphériques, isolant les territoires de l'Artsakh de la République d'Arménie. Cette offensive s'est conclue par un accord dont certaines conditions n'ont pas été respectées par la République d'Azerbaïdjan, notamment la libre circulation entre l'Arménie et le Haut-Karabakh, qui aurait dû être garantie par un couloir contrôlé par les autorités et destiné à en assurer la fluidité.

À partir de décembre 2022, un blocus inflexible a été imposé par les Azerbaïdjanais, avec la fermeture de cette seule voie de communication reliant l'Arménie au Haut-Karabakh, le désormais célèbre corridor de Latchine, en violation totale des accords conclus, les autorités russes, qui s'étaient portées garantes de la liberté de circulation entre ces deux blocs, ayant abdiqué leurs responsabilités. Le 19 septembre 2023, une dernière offensive éclair a abouti à la reconquête intégrale du Haut-Karabakh par les armées de l'Azerbaïdjan, dans des conditions terribles. En quelques jours, quelque 100 000 habitants d'origine arménienne ont dû tout abandonner, leurs terres et leurs biens, pour rejoindre l'Arménie dans des conditions d'extrême précarité pour échapper, non sans justification, à des violences annoncées et programmées au cas où ces populations auraient souhaité demeurer dans le Haut-Karabakh.

Un véritable nettoyage ethnique du Haut-Karabakh a eu lieu. Il n'a pas empêché l'Azerbaïdjan, comme je l'ai indiqué à la commission en octobre, de donner le signal de ne pas vouloir en rester là, des revendications étant proférées concernant le Sud de l'Arménie pour relier le Nakhitchevan au reste du pays.

Nous avons alors assisté à une triple mise en cause par les autorités azerbaïdjanaises. La revendication du corridor de Zanguezour met en cause la souveraineté de la République d'Arménie et pourrait couper son territoire en deux si les deux parties du territoire de l'Azerbaïdjan étaient reliées. La mise en cause de la souveraineté de l'Arménie sur les enclaves territoriales azerbaïdjanaises procède d'un renversement complet des responsabilités et de la doctrine : les Azerbaïdjanais, qui réclamaient le Haut-Karabakh au nom de leur souveraineté sur l'enclave se trouvant sur leur territoire, réclament désormais la souveraineté sur des enclaves se situant sur le territoire arménien.

La troisième remise en cause, qui affleure dans certains discours du président Aliyev, est bien plus profonde et bien plus grave ; elle consiste à dénier aux Arméniens le droit d'occuper la République d'Arménie et d'y faire vivre une culture autonome, légitimement installée dans cette partie du territoire. Il y a, en surplomb des événements, une remise en cause radicale de la légitimité des Arméniens à occuper un territoire souverain.

Grâce à l'action de la France, qui a notamment accepté de livrer des armements défensifs à l'Arménie, l'asymétrie entre les forces de cette dernière et celles de l'Azerbaïdjan a été réduite, à défaut d'atteindre la parité sur le plan militaire. Par ailleurs, grâce à l'agenda de l'Azerbaïdjan, qui s'est proposé pour organiser la 29ème convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) à la fin de l'année, les tensions se sont quelque peu – provisoirement et, je le crains, précairement – apaisées, le président Aliyev ayant même laissé entendre qu'il n'était pas exclu de parvenir à un traité de paix entre les deux pays. Il n'en demeure pas moins que la situation sur place reste fragile et appelle le maintien de notre vigilance.

Dès lors, nous ne pouvons que saluer l'initiative de la présidente du groupe d'amitié France-Arménie, Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure de la proposition de résolution européenne que nous examinons ce matin, et de plusieurs autres collègues, d'avoir posé les termes de ce débat.

Notre état d'esprit est le suivant : veiller à ce que la guerre ne reprenne pas et à ce que la souveraineté de la République d'Arménie ne soit pas mise en cause davantage qu'elle ne l'est déjà. Cet esprit de responsabilité nous anime et fonde nos amendements.

La tension est toujours vive et légitime entre la morale de la conviction, selon laquelle les victimes d'une situation intolérable doivent obtenir réparation, et la morale de responsabilité, selon laquelle il faut tout faire pour assurer la survie, l'indépendance et la souveraineté de la République d'Arménie.

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