Intervention de Sophie Vénétitay

Séance en hémicycle du lundi 26 février 2024 à 18h00
L'école publique face aux politiques de tri social

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU :

Après le primaire, passons au secondaire ! Je suis heureuse de revenir dans cette salle pour débattre du tri social des élèves – une question d'actualité. On en a beaucoup parlé depuis le mois de janvier, mais la question n'est pas nouvelle : cela fait bien plus de vingt-huit jours que l'école y est confrontée. J'aborderai deux sujets : les réformes des collèges et des lycées depuis plusieurs années et le problème de l'école privée.

Depuis quelques années, les collèges et les lycées sont le théâtre d'une remise en cause du beau projet de l'école publique. L'école gratuite, laïque et obligatoire ne trie pas les élèves ; elle a pour ambition de les faire réussir toutes et tous, et de participer à la construction de leur liberté de conscience. Or les groupes de niveau, mesure phare du choc des savoirs, représentent bien une forme de tri social : on nous annonce, en effet, qu'on va répartir les collégiens selon leurs résultats, en regroupant les élèves les plus faibles, les élèves handicapés et les élèves allophones. Pour nous, enseignants, c'est inacceptable.

N'oublions pas ce qui s'est passé, de ce point de vue, au lycée : les réformes menées par Jean-Michel Blanquer ont fragilisé l'école publique, renforçant le tri social. Les données statistiques montrent en effet que la réforme des spécialités a aggravé les inégalités de genre comme les inégalités sociales. Ainsi, les filles, qui choisissaient déjà rarement les filières scientifiques, s'engagent encore moins souvent dans ces matières. Les élèves de catégories socioprofessionnelles favorisées ont parfaitement su tirer profit de la nouvelle architecture du lycée et du baccalauréat, faisant les bons choix, tandis que les élèves de milieux défavorisés n'ont pas forcément eu les codes nécessaires. La réforme Blanquer a donc instauré une sorte de lycée d'initiés, exacerbant le tri social.

Parcoursup incarne la dernière étape de ce tri : la plateforme a aggravé la ségrégation sociale et scolaire en légitimant l'enseignement privé dans sa capacité à offrir aux élèves des parcours d'études supérieures – les formations du privé y sont mises au même niveau que celles du public. Le privé s'est par ailleurs largement engouffré dans les failles de Parcoursup en matière d'accompagnement des élèves, pour favoriser toujours les mêmes parmi eux. C'est ainsi que le tri social, qui existait déjà, s'est trouvé amplifié du collège au supérieur, en passant par le lycée.

Il m'est difficile de ne pas m'arrêter quelques instants sur la question de l'école privée. Deux chiffres permettent de saisir l'effet que celle-ci exerce sur notre modèle scolaire : sur les 200 collèges à l'IPS (indice de position sociale des élèves) le plus haut, 75 % sont privés ; sur les 200 collèges à l'IPS le plus faible, 98 % sont publics. Les collèges privés détruisent la mixité sociale dans le public. Pourtant, le privé sous contrat bénéficie de financements publics à hauteur de près de 9 milliards d'euros dans le budget pour 2024 – une hérésie quand on sait qu'il ne joue pas le jeu et mine la cohésion sociale. On demande beaucoup à l'école publique sans lui en donner les moyens ; on demande bien peu à l'école privée sans la contrôler suffisamment et en la laissant libre d'organiser le tri social.

Le dualisme scolaire dont participent tant les réformes prévues dans le cadre du choc des savoirs que la réforme du lycée et Parcoursup, qui favorisent l'enseignement privé, ne représente pas seulement une menace pour notre école publique : quand les élèves et leurs familles se rendent compte que celle-ci ne tient pas ses promesses, c'est toute notre démocratie qui est en péril.

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