Intervention de Guislaine David

Séance en hémicycle du lundi 26 février 2024 à 18h00
L'école publique face aux politiques de tri social

Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU :

Il y aurait beaucoup à dire sur la situation de l'école publique face aux politiques de tri social. Ces dernières occupent le devant de la scène depuis l'annonce du choc des savoirs et de la création des groupes de niveau au collège ; mais bien avant cela, elles étaient à l'œuvre dans le premier degré. Deux points me semblent essentiels pour les élèves de maternelle et d'élémentaire.

Le premier point concerne le resserrement de l'enseignement sur les apprentissages dits fondamentaux, en cours depuis sept ans : on fait plus de français et plus de mathématiques, alors même que la France est le pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – qui y consacrait déjà le plus d'heures. Depuis 2017, dans les classes de CP et de CE1, on procède à des évaluations mettant en avant les compétences dites bas niveau : en lecture, elles sont ainsi centrées sur le décodage et le déchiffrage, le sens et la compréhension étant laissés de côté. On favorise donc, en classe, des exercices susceptibles d'être utiles pour ces évaluations. Pourtant, comprendre le sens, y compris implicite, d'un texte en travaillant sur le lexique est ce qui permet d'appréhender le monde et d'agir sur lui.

Quand on renvoie l'acquisition d'une partie des savoirs émancipateurs à la famille, on creuse les inégalités ; en effet, seules les familles des milieux favorisés, à fort capital culturel, parviennent à l'assurer. Or les évaluations, qui seront d'ailleurs généralisées à tous les niveaux de l'école primaire, tendent à réduire les apprentissages à ce qui sera évalué. Il faudrait au contraire se focaliser sur ce que les élèves sont en train d'apprendre pour mettre, comme le recommande la recherche en éducation, l'évaluation au service des apprentissages ; il faudrait analyser les productions et les difficultés des élèves pour leur permettre de progresser.

Les programmes scolaires de CP et CE1 seront revus pour la rentrée 2024 ; ceux des autres niveaux suivront. Le ministère a explicitement demandé au Conseil supérieur des programmes (CSP) de s'appuyer sur les guides et circulaires pédagogiques produits depuis 2017 par le Conseil scientifique de l'éducation nationale (CSEN) – qui travaille avec une partie des chercheurs, mais pas avec tous. Cette incessante remise en cause des programmes déstabilise le travail des professeurs des écoles, contraints de s'adapter dans l'urgence. Le temps accordé aux apprentissages est comprimé, comme si tous les élèves apprenaient au même rythme, alors que c'est faux : chaque enfant apprend – y compris à marcher ou à parler – à son propre rythme, et les cycles à l'école primaire devraient permettre de prendre le temps nécessaire pour chacun. Cette politique a pour conséquence de laisser certains élèves au bord de la route et de favoriser ceux qui réussissent le mieux. C'est ce que nous craignons, sachant que les manuels de français et de mathématiques, qui seront labellisés par le ministère sur la base d'un référentiel du CSEN, risquent d'être axés sur certains fondamentaux seulement.

Le deuxième point est relatif au traitement actuel de la difficulté scolaire. Gabriel Attal, dans le cadre de la politique du choc des savoirs, a remis sur la table la question du redoublement. Plutôt que de faire de la remédiation et de la prévention, on externalise la difficulté en sortant l'élève de la classe et en lui faisant porter la responsabilité de son échec. Le ministère va imposer le passage en classe supérieure sous conditions, assorti de stages de réussite et d'un accompagnement personnalisé ; en cas de difficultés, on proposera le redoublement. Mais quid des élèves qui n'atteignent pas le niveau requis au terme du stage de réussite ?

Les prises en charge hors de la classe n'ont pas éradiqué la grande difficulté scolaire : on pratique des stages de remise à niveau depuis 2008 ; s'ils fonctionnaient, les résultats seraient différents. La recherche a montré l'absence d'effet positif durable tant du redoublement, mesure socialement inégalitaire, que du traitement de la difficulté scolaire en dehors de la classe. C'est bien dans la classe qu'on doit favoriser la prévention et la remédiation grâce à des moyens spécifiques : une politique de mixité sociale, une réduction des effectifs par classe – profitons de la baisse démographique pour y arriver ! – et un renforcement de la formation des enseignants. Il faut consolider les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et prévoir des postes surnuméraires afin d'avoir plus de maîtres que de classes. Enfin, il est essentiel de respecter la liberté pédagogique et de faire confiance aux enseignants.

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