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Intervention de Serge Tisseron

Réunion du jeudi 1er février 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Serge Tisseron, psychiatre, président de l'association « 3-6-9-12 -Apprivoiser les écrans et grandir » :

Ma première proposition, c'est d'informer les familles. Le temps d'écran des plus petits, avant 3 ou 4 ans, est un excellent indicateur du temps d'écran ultérieur. Plus un enfant consomme d'écran de télévision petit, plus il consommera d'écrans de toutes sortes plus tard. Quand quelqu'un lui offrira une tablette, il ne voudra pas perdre les avantages acquis, comme c'est bien connu en France, et gardera donc son temps de télévision auquel il ajoutera le temps de tablette ; de la même façon plus tard, avec le temps de smartphone. La réduction du temps d'écran chez le tout-petit est une mesure prioritaire, parce qu'elle a des conséquences bien au-delà. Cela signifie informer les parents par tous les moyens possibles – affiches, emballages des produits numériques.

Le fait qu'on ait beaucoup lutté contre les chaînes de télé pour les enfants de moins de 3 ans ne veut pas dire que tous les programmes leur soient totalement inadaptés – n'oublions pas que les chaînes de télé spécifiquement dédiées aux enfants de moins de 3 ans n'avaient que des programmes très abrutissants. Des études montrent que certains programmes peuvent être intéressants sur de toutes petites périodes.

Les produits dérivés sont un énorme problème : ils transforment nos enfants en prescripteurs familiaux de produits dont ils ne connaissent pas les tenants et les aboutissants. Comme ils les ont vus à la télé, ils les défendent mordicus à leurs parents qui finissent parfois par céder. Cela est répété depuis plusieurs années, mais rien n'a guère changé.

Pour en revenir à la signalétique, beaucoup de parents pensent que, si un film n'est pas interdit aux moins de 12 ans et qu'il passe en première partie de soirée ou prime time, il est forcément adapté à leur enfant de moins de 12 ans. C'est un énorme problème. Mme Frédérique Bredin m'avait chargé d'une mission en 2018 pour penser la question des enfants et des écrans à l'heure numérique. À l'époque, j'avais proposé que l'actuelle commission de classification du cinéma, qui impose des interdictions ayant valeur de loi, soit redoublée par une commission de classification enfant qui, pour les films désignés comme des films pour enfants par les producteurs et les réalisateurs, statuerait sur les âges préférables. Cela n'aurait aucune valeur obligatoire, comme l'évaluation selon la norme Pan European Game Information (PEGI) pour les jeux vidéo, mais une valeur indicative. Cette commission pourrait d'ailleurs s'appuyer sur les préconisations des producteurs et des réalisateurs, qui sont les mieux placés pour savoir ce qu'ils ont fait, jusqu'à ce que preuve soit donnée qu'ils avaient trompé sur le contenu de leur programme. Ces préconisations pourraient être enrichies de pictogrammes sur le modèle PEGI : « contient des actes violents », « contient des propos problématiques », « contient des scènes qui peuvent faire peur ».

L'éducation, ce n'est pas seulement les enfants, c'est aussi l'école. Vous avez peut-être lu dans la presse que l'Estonie, qui a la quatrième place mondiale en mathématiques et la cinquième en compréhension d'écrit, familiarise très tôt les enfants avec le numérique. Ce qui est important, c'est d'élever les enfants dès l'élémentaire à comprendre à la fois comment fonctionne le numérique, notamment les algorithmes dans les jeux vidéo, qui les amènent à jouer toujours plus longtemps et à acheter toujours plus de produits virtuels dans les jeux à premier accès gratuit ou free-to-play, et comment le cerveau est manipulé par ces algorithmes. Plus un enfant sera tôt informé sur la façon dont le cerveau est manipulé, plus il aura des éléments pour se protéger. L'avenir dans le numérique appartient à ceux qui en connaîtront les enjeux.

Pour les ados, il y a d'autres campagnes.

Je voudrais également dire l'importance de former des personnes ressources. Il y a beaucoup d'intervenants sur lesquels les parents, les enfants pourraient s'appuyer : les enseignants, s'ils étaient formés au numérique dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE) ; les professeurs documentalistes sur lesquels on ne s'appuie pas assez ; les psychologues de l'éducation nationale, dont la formation a été repensée, mais qui pourrait l'être encore plus dans le sens de l'éducation au numérique ; le fameux service sanitaire, qui joue un rôle important et qui pourrait être encore plus développé.

La politique de la ville doit également prendre sa part. Les enfants qui ne vont pas en crèche courent un plus grand risque de passer leur journée devant la télé. Il faudrait des crèches ou des équivalents disponibles pour tous les enfants, et des espaces de jeu collectif pour les plus grands – parcs, aires de jeu, etc. J'insiste toujours sur l'ouverture des gymnases et des cours de récréation des écoles. Il est scandaleux de voir des enfants jouer au ballon dans la rue, au milieu des voitures, devant une école fermée le samedi et le dimanche, alors qu'ils pourraient jouer dans sa cour. Le même raisonnement vaut pour les bibliothèques.

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