Psychologue clinicienne, j'ai longtemps exercé en pédopsychiatrie, du bébé à l'adolescence. L'association que je préside existe depuis 2014. Elle s'est implantée sur le territoire du 19e arrondissement de Paris, à partir du déploiement du défi des dix jours sans écran, en collaboration avec Jacques Brodeur, un Québécois qui a modélisé les pratiques qui se sont ensuite généralisées sur le territoire. Je précise enfin que je viens à la place de Janine Busson qui a sa propre association dans le nord de la France et milite depuis très longtemps sur cette thématique.
Nous déplorons à la fois le contenu des programmes et le temps d'écran. Les dessins animés restent majoritairement faits de rythmes, de sons et d'images saccadés, qui ne correspondent pas aux besoins des enfants et sont conçus pour les capter le plus longtemps possible. Les formats sont souvent un tunnel de plusieurs épisodes, devant lesquels les enfants restent captifs au-delà du nécessaire ; et les parents se retrouvent en difficulté face à une offre à jet continu. L'offre à six heures du matin n'a pas lieu d'être pour des enfants, puisque toutes les recherches internationales montrent que regarder un petit dessin animé avant d'aller à l'école abîme l'attention secondaire requise pour les apprentissages. Il faudrait programmer les dessins animés pour les jeunes enfants à la sortie de l'école ou pendant les vacances, et non pas à jet continu. Les familles se retrouvent débordées, impuissantes qu'elles sont à réguler la consommation d'écran.
La question de la captation par le neuro-marketing se pose également. Il s'agit de la façon dont des contenus de promotion apparaissent incidemment : Oui-Oui qui prend une tablette tactile tout seul ou Garfield vautré avec de la malbouffe devant la télévision. Ces contenus inclus dans les dessins animés font l'apologie d'une pratique qui n'est pas conforme aux besoins des enfants. Or les enfants s'identifient à ces personnages et sont pris par quelque chose qui les dépasse. De la même façon, quand les publicités sont trop proches d'un dessin animé, le jeune enfant ne fait pas la différence avec le dessin animé. Il est ainsi content de retrouver les produits dérivés et devient un acteur des achats des familles, ce qui est très problématique. Cette pression d'achat fait en effet intrusion dans la relation parents-enfant, en défaveur de l'autorité parentale, qui n'a plus la main. Ces mécanismes sont bien connus. Cela abîme et fatigue les familles au quotidien.
Avant l'adolescence, les écrans contribuent à formater un âge qui n'existe pas vraiment, qui n'existe qu'au sens du marketing : celui de la préadolescence, qui incite les jeunes à se transformer, avant même la transformation pubertaire, en de futurs acheteurs – de sacs à main et de produits féminins pour les filles, d'autres produits pour les garçons. Les familles en sont dépassées. Tout cela est fabriqué par la télévision et par les contenus numériques au sens large. Cela n'appartient pas à la transmission familiale mais devient une norme sociale dans laquelle les enfants s'engouffrent. D'autres éléments sont très connus : bain d'incitation à la culture du viol ou aux violences sexistes et sexuelles, au racisme, dans des émissions de piètre qualité, du type téléréalité. Ces contenus nous posent problème.
La télé, éventuellement la télé publique, aurait une mission d'éducation à un usage raisonné des écrans, qui nous paraîtrait salutaire. Elle pourrait relayer qu'il faut préserver le sommeil, réduire le temps d'écran à une quantité qui n'empiète pas sur les devoirs scolaires, sur l'aide aux tâches domestiques quotidiennes, sur la vie sociale et familiale ainsi que la communication intrafamiliale. Il serait de salubrité publique que des campagnes très simples soient menées sur des canaux publics. Qu'ils offrent par ailleurs des contenus de qualité serait à l'honneur du service public, en contraste avec les produits plus marchands des chaînes privées.