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Intervention de Christine Arrighi

Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, rapporteure :

Chers collègues, 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. Elle nous donne ainsi une idée de la vie quotidienne dans un monde où la température moyenne aurait augmenté de 1,5 degré, selon la limite fixée par l'accord de Paris sur le climat. En France, 2023 a également été, après 2022, la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée. Concrètement, dans le Tarn, département voisin de celui où je suis élue, Albi a dépassé un nouveau record en comptabilisant trente-deux jours à plus de 35 degrés. Je ne vais pas multiplier les constats du dérèglement climatique, largement débattu dans cette commission, mais, d'après de nombreuses études scientifiques, il est amené à s'aggraver d'ici à la fin du siècle si nous n'agissons pas davantage. M. Christophe Béchu le répète : habituons-nous à une hausse des températures moyennes de 4 degrés.

Le phénomène de l'artificialisation des sols est tout aussi inquiétant. Dans l'Hexagone, la surface artificialisée est passée de 2,9 millions d'hectares en 1982 à plus de 5 millions en 2018. Les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols, inscrits dans la loi « climat et résilience », n'ont pas eu le temps de produire leurs effets qu'ils sont déjà contestés.

Si j'ai évoqué ces deux sujets, c'est que le projet de l'autoroute A69 entre Toulouse et Castres représente le type même de chantier qu'il ne faut plus lancer. Engagé dans les années 1990, il concentre les contradictions de notre politique de transition écologique et d'aménagement du territoire. Il a été déclaré d'utilité publique par le Gouvernement par un décret du 19 juillet 2018, en dépit d'un avis négatif de l'Autorité environnementale, qui a dénoncé un projet « anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de la pollution de l'air, d'arrêt de l'érosion de la biodiversité et de l'artificialisation du territoire et d'évolution des pratiques de mobilité ». Cet avis n'est pas une opinion : il se fonde sur les normes que nous adoptons.

Un tel projet n'est pas seulement une aberration écologique, il est également une injustice sociale. Si elle voyait le jour, l'A69 deviendrait la deuxième autoroute la plus chère de France : 20 euros pour un aller-retour entre Toulouse et Castres pour les particuliers ; 26,50 euros pour les véhicules utilitaires légers des artisans – des chiffres qui risquent d'augmenter encore avec l'inflation puisque le contrat de concession, signé en 2022, est indexé sur elle depuis 2020.

Pour ces raisons écologiques et sociales, une forte mobilisation citoyenne s'est élevée contre l'A69 : 61 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne s'y déclarent défavorables. Une pétition déposée sur le site de l'Assemblée nationale a recueilli plus de 50 000 signatures. Plus de 1 500 scientifiques, dont dix membres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), des représentants de l'IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, et du Conseil national de la protection de la nature ont appelé le Président de la République à renoncer à ce projet que l'on peut qualifier d'écocide.

Or l'État le maintient. Cette obstination interroge d'autant plus au vu du montage juridique et financier du projet et de son opacité. L'État a choisi de confier la concession de l'A69 à la société Atosca, filiale de NGE Concessions, détenue à 60 % par deux sociétés de capital risque de droit luxembourgeois et une société suisse, pour une durée de cinquante-cinq ans. Mais l'accès aux informations est entravé, puisque les annexes au contrat de concession sont consultables uniquement sur rendez-vous, à Paris, quand elles ne sont pas couvertes par le secret des affaires.

En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances, je suis investie des pouvoirs que confère l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). J'ai sollicité à trois reprises l'administration pour obtenir communication de l'intégralité des annexes du contrat de concession, sans occultation et sans que l'on ne m'oppose le secret des affaires, qui ne m'est pas opposable. On m'a d'abord répondu qu'il fallait que j'aille les consulter à La Défense. Quand j'ai objecté que je souhaitais qu'elles soient mises à ma disposition à mon bureau, elles m'ont été envoyées caviardées. La troisième fois, en invoquant l'article 57, je les ai enfin obtenues non caviardées.

Afin de faire toute la lumière sur les nombreuses zones d'ombre autour de ce projet, qui suscite une forte opposition locale, nous avons déposé, avec mes collègues écologistes, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute A69. En application des dispositions de l'article 141, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale, la présidente du groupe Écologiste-Nupes, Cyrielle Chatelain, a choisi d'exercer son droit de tirage. Notre commission n'a donc pas à se prononcer sur l'opportunité de la commission d'enquête : elle doit vérifier que les trois conditions requises pour sa création sont réunies, conformément à l'article 140 de notre règlement.

Premièrement, la commission d'enquête doit déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête et les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Dans le cas présent, la commission vise à faire toute la lumière sur les contours du contrat de concession, en interrogeant la société concessionnaire Atosca et certains responsables politiques, membres du Gouvernement, élus locaux, scientifiques et membres de la société civile. Il sera ensuite question de prendre précisément connaissance du montage juridique et financier du projet et de la répartition des capitaux constituant Atosca.

Deuxièmement, aucune commission d'enquête ni mission ayant le même objet n'a achevé ses travaux il y a moins de douze mois.

Enfin, le garde des Sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à la Présidente de l'Assemblée nationale, dans un courrier du 6 décembre 2023, qu'il n'avait pas connaissance d'une procédure en cours susceptible de recouvrir le périmètre de la commission d'enquête envisagée.

Toutes les conditions sont donc réunies pour créer cette commission, nécessaire à l'exercice de notre mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement. Je vous remercie pour votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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