Conçu pour devenir la maison commune de la musique, le Centre national de la musique (CNM) a dû faire face, dès sa création en 2020, aux conséquences de la crise sanitaire. Ses interventions, largement saluées par la filière musicale, ont ainsi été financées en grande partie par des crédits exceptionnels versés par le ministère de la culture ; cela a conduit son schéma de financement à s'écarter significativement du modèle initialement imaginé. Le CNM a un rôle clef à jouer dans le cadre d'une politique ambitieuse, définie à la sortie de la crise sanitaire, ayant pour objectif de porter la France en tête de la production de contenus culturels et de faire vivre l'exception culturelle française.
Le sénateur Julien Bargeton a été chargé de définir une stratégie de financement de la filière musicale en France, favorisant le développement international et la diversité de la création. Je tiens à saluer son travail remarquable sur ce sujet. Il ressort de son rapport que 30 à 40 millions d'euros supplémentaires doivent être alloués au CNM pour lui permettre de remplir ses missions. Plusieurs pistes ont été esquissées pour mobiliser ces moyens nouveaux.
Plutôt qu'une augmentation de la contribution budgétaire versée par l'État au CNM ou l'affectation à son profit d'une fraction de la taxe sur les services numériques, l'institution d'une taxe sur la consommation de musique en flux est apparue comme la solution la plus adaptée. Néanmoins, à la faveur des concertations entre le Gouvernement et les acteurs de la filière musicale, l'idée d'une contribution volontaire versée par les plateformes a pu être envisagée comme une solution alternative. En dépit des efforts déployés par le ministère de la culture et alors que les discussions se sont poursuivies jusqu'au dernier moment, les plateformes ne sont toutefois pas parvenues à trouver un accord pour financer le CNM à hauteur de plus de 8 millions d'euros. Comme M. Bargeton, j'estime que la voie de la contribution volontaire n'était pas la plus adéquate. Même dans l'hypothèse d'un accord, elle reposait sur la bonne volonté de l'ensemble des acteurs et pouvait être remise en cause à tout moment.
L'instauration d'une taxe sur le streaming musical ne présente pas cet écueil et permet en outre de rééquilibrer le modèle de financement du CNM. Ce dernier bénéficie actuellement de trois sources pérennes de financement : des crédits budgétaires à hauteur de 27 millions d'euros, la contribution des organismes de gestion collective (OGC) et, pour un montant compris entre 30 et 35 millions d'euros, une fraction du produit de la taxe sur les spectacles de variétés. Une taxe sur le streaming permettrait de faire contribuer le secteur de la musique enregistrée au même titre que le spectacle vivant. C'est le sens de cette proposition de loi, déposée dans un contexte bien particulier qui, comme vous le savez, a évolué la semaine dernière.
L'article 1er prévoit la création d'une taxe assise sur les revenus des plateformes issus des abonnements qu'elles proposent ainsi que des contreparties qu'elles perçoivent pour la diffusion de messages publicitaires. Il prévoit un double mécanisme de progressivité, avec des taux compris entre 0 % et 1,75 % en fonction du niveau de revenus des plateformes et un taux réduit temporaire applicable aux sociétés réalisant moins de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le Sénat a adopté deux amendements créant une taxe de même nature ; le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture prévoit quant à lui l'instauration d'une taxe ayant une assiette similaire, à laquelle s'applique un taux unique de 1,2 %. Je salue cette évolution depuis la première lecture. J'ai toutefois estimé nécessaire que nous discutions de cette proposition de loi car nous n'avons pas pu vraiment débattre de ce sujet la semaine dernière. J'ai également voulu m'assurer que, même si les paramètres des deux taxes sont différents, le schéma de financement du CNM ne serait pas remis en cause par l'instauration de celle prévue dans le PLF. Il m'a été confirmé que le taux de 1,2 % permettrait d'obtenir au moins 15 millions d'euros de recettes affectées, auxquels s'ajoutent les 3 millions d'euros versés par les OGC. Au total, le financement serait donc suffisant.
Un taux unique a l'avantage de la simplicité et permet de traiter de manière identique l'ensemble des plateformes. Cela garantit la conformité de la taxe aux règles européennes en matière d'aides d'État et aux engagements pris par la France dans le cadre du pilier 1 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), visant à modifier l'imposition des entreprises du secteur numérique.
Pour que le dialogue soit le plus abouti possible, j'ai rencontré les acteurs du secteur. Les arguments des opposants à cette taxe sont connus : elle pourrait remettre en cause le modèle économique des plateformes, qui ne dégagent pas encore toutes des bénéfices, et pourrait être perçue comme un impôt injuste car ne frappant qu'une partie des acteurs du secteur de la musique enregistrée. Les plateformes font également valoir qu'elles reversent 70 % de leur chiffre d'affaires à leurs ayants droit. Il est vrai que leur modèle économique implique qu'elles investissent massivement et sur une longue durée avant de dégager des bénéfices. Elles enregistrent cependant des chiffres d'affaires considérables, compris entre 450 millions d'euros pour les plus petites et plusieurs milliards pour celles qui se déploient au niveau mondial. En outre, d'autres diffuseurs, comme la radio ou la télévision, sont assujettis à des taxes spécifiques ou à des modèles de régulation qui contraignent leur modèle économique et qui ne trouvent pas à s'appliquer aux plateformes. Je ne pense donc pas que cette taxe supplémentaire puisse entraîner la disparition de ces acteurs, qui ont joué, ne l'oublions pas, un rôle déterminant dans le redressement de l'industrie de la musique enregistrée après la crise du disque – le modèle conçu par les plateformes permet au secteur musical de vivre.
Une incertitude demeure toutefois quant à la façon dont cette taxe sera répercutée. Cela dépendra en grande partie du contenu des contrats passés entre les plateformes et leurs ayants droit – principalement les maisons de disques. Même s'il est encore trop tôt pour en être certain, je ne pense pas qu'elle se traduira par un renchérissement du coût des abonnements.
Il convient de rappeler qu'elle portera sur une assiette très large qui, pour certaines entreprises, est déjà soumise à la taxe sur les services numériques ou à la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels sur la diffusion en vidéo (TSV). Même si son taux peut paraître faible, ne sous-estimons pas l'effort qui est ainsi demandé aux plateformes.
Lors des débats ultérieurs sur cette taxe, nous pourrons nous appuyer sur les travaux menés dans le cadre de la préparation de cette PPL. Si besoin, le taux et l'assiette pourront être adaptés, afin d'assurer un financement pérenne de la filière musicale. Compte tenu de l'intégration de la taxe dans le PLF, le présent texte n'a plus lieu d'être et je le retirerai après notre discussion générale. Il me semblait toutefois important que nous débattions de ce sujet aujourd'hui.