Tout d'abord, l'Assemblée nationale dispose probablement du meilleur rapport sur la coopération française réalisé depuis une dizaine d'années, le rapport de 2018 de M. Hervé Berville, alors parlementaire en mission, qui a abouti au texte de loi le 4 août 2021, une loi travaillée avec l'ensemble des acteurs, notamment de la société civile et des collectivités locales. Ce rapport est remarquable et je regrette qu'il soit à peine cité dans le rapport de M. Fuchs et de Mme Tabarot. Malheureusement, il a été largement remis en cause par les décisions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement de juillet 2023 concernant un certain nombre de principes de base, notamment en matière de déliement de l'aide.
La question de l'efficacité de l'aide publique au développement est en effet traitée dans ce document. En tant qu'ex-directeur du développement et de la coopération à l'ancien ministère de la coopération et au ministère des affaires étrangères, je peux témoigner du grand contrôle, jusqu'au dernier centime, des sommes de l'APD, pour s'assurer qu'elles ne profitent pas à des opérations de blanchiment ou à des financements de terrorisme. Ce contrôle est particulièrement rigoureux jusqu'au dernier bénéficiaire, ce qui est d'ailleurs techniquement très difficile à mettre en œuvre, dans des pays où il n'existe pas d'état civil. Nous sommes soumis à des audits permanents sur nos opérations. Il est très difficile, sur du prêt ou sur du don, de détourner de l'argent public.
Ensuite, la question fondamentale consiste à savoir si la destination de cet argent est la plus optimale, en termes de besoins. À cet égard, 90 % des projets que nous avons en portefeuille ne sont pas financés, le plus souvent pour des raisons liées aux capacités de mise en œuvre. À ce titre, l'exemple le plus emblématique concerne le projet du plus grand barrage hydroélectrique au monde, le projet Grand Inga, à l'embouchure du fleuve Congo, dont il est question depuis vingt ans. De fait, de nombreux projets, notamment d'infrastructure, manquent aujourd'hui non de financement, mais d'une véritable capacité de mise en œuvre et d'une démonstration de leur pertinence.
Par ailleurs, je n'ai pas parlé de culpabilité de l'Occident vis-à-vis de qui que ce soit. Je pourrais dire plus précisément qu'il existe des problèmes de responsabilité croisée et de solidarité à l'échelle planétaire. J'ai simplement mis en lumière le cas du continent africain, qui ne produit pas de CO2, mais qui dispose en revanche de capacités de captation de CO2 très importantes et qui fournit là un service environnemental. Dans une logique économique, ce service environnemental doit trouver un financement.
La question du renforcement des capacités de contrôle par les ambassades de l'aide publique au développement qui transite par l'AFD ou de son émancipation est récurrente, depuis de nombreuses années. Localement, et je suis bien placé pour le dire, la capacité de l'ambassade à pouvoir gérer l'ensemble des partenariats français, y compris privés, constitue un véritable sujet. Il est certain que la mise en cause du statut d'ambassadeur par le gouvernement est un handicap terrible, lorsque l'on sait que pour travailler dans certains pays africains, il est nécessaire d'opérer un apprentissage long, pour être en mesure d'appréhender les réalités anthropologiques, sociologiques, politiques et linguistiques d'un pays. Il n'est pas possible d'exercer ce métier dans de bonnes conditions et de servir au mieux la France en étant parachuté.
Je souhaite également évoquer la situation du Niger, dont j'étais très proche, pour un ensemble de raisons. Il me semble extrêmement grave de n'avoir pas parlé des 25 millions de Nigériens qui du jour au lendemain sont trouvés sous sanction de la Cedeao, indirectement appuyée par la France, sans médicaments, sans produits vivriers, sans essence, ni énergie. Simultanément, la France a décidé d'arrêter son APD. Le réseau des dix-sept ONG que je préside a donc été obligé de licencier plus de 50 personnes sur place, de suspendre ses programmes en direction de la mère et de l'enfant, de la lutte contre la malnutrition, de l'insertion des jeunes et de la promotion de l'agroécologie, soit des dizaines de projets en direction des populations les plus vulnérables.
En disant « la France arrête de vous aider », nous avons contribué au ressentiment à l'encontre des Français. En outre, la junte au pouvoir se détourne de sa mission de sécurité et de lutte contre les groupes armés pour redistribuer les prébendes après avoir évincé un certain nombre de politiques et de dirigeants d'entreprises publiques. Le pays est désormais dans une situation dramatique. En tant que citoyen français et ancien diplomate, je trouve que cette attitude est absolument contre-productive pour notre image. Cette même erreur a déjà été accomplie par le passé au Togo et en République démocratique du Congo, et nous l'avons reproduite au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Par ailleurs, le franc CFA demeure un élément de fantasme important. Le billet de banque est fabriqué à Chamalières et s'appelle le franc ; 50 % des dépôts de la zone Cemac sont en France. Aujourd'hui, en compagnie d'un certain nombre d'experts africains, nous travaillons sur ces questions depuis un certain temps et nous savons qu'il faut sortir du rattachement à l'euro. Dès lors, un rattachement à un panier de devises représentatives des activités commerciales de la zone me paraît absolument évident. Une certaine marge de flexibilité est également nécessaire.
En conclusion, deux questions, qui n'ont pas été abordées lors de notre discussion, me semblent incontournables concernant le franc CFA. D'une part, la parité actuelle ne constitue-t-elle pas une prime aux importations ? Si tel est bien le cas, il y a là un sérieux problème pour pouvoir établir des politiques de souveraineté alimentaire. D'autre part, le crédit à l'économie tel qu'il existe encore, favorise-t-il le financement dans les pays concernés ? Cela ne me semble pas certain.