Tout d'abord, je souhaite rappeler que nous sommes des sondeurs et non des législateurs. Dès lors, je me garderai de répondre à un certain nombre de questions qui ont été posées.
Ensuite, ce n'est pas forcément parce qu'il existe des données d'opinion ou des attentes de la part des Français qu'il faut pleinement les satisfaire. Les acteurs politiques peuvent avoir des convictions qui ne sont pas nécessairement celles les plus spontanément exposées par nos compatriotes. Ce jeu d'interaction fait précisément partie de l'objet de la relation entre les Français et les législateurs qui, en tant que tels et tout en ayant conscience des attentes des premiers, peuvent avoir une vision différente de ceux-ci et leur expliquer les engagements qui peuvent effectivement être pris et les raisons qui les sous-tendent.
En outre, les Français que nous sommes conduits à interroger dans nos enquêtes ne sont pas des experts et ne se posent pas ces questions avec autant d'intention ou d'intensité que nous sommes en train de le faire. Dans ce contexte, le travail qui est entrepris aujourd'hui et dans le cadre des États généraux de l'information est appréhendé positivement par nos compatriotes, ce qui n'était pas évident au départ.
D'un point de vue extérieur, la question de l'indépendance et de l'éducation aux médias apparaît primordiale. L'accès à l'information et sa « digestion » sont assez socialement marqués. Or l'école constitue un des acteurs clefs capables de limiter les différences sociales ou les différences culturelles inhérentes aux individus. L'école a plus globalement vocation à rappeler le rôle joué par la démocratie, son fonctionnement, son essence, mais également la fragilité de ses acquis, dont n'ont pas toujours conscience les jeunes générations, notamment celles qui évoluent dans des univers où le capital culturel est différent. De fait, dans nos travaux, nous constatons qu'au-delà de la variable d'âge, leur rapport à l'information se décline différemment en fonction des variables sociales et culturelles.
Nos enquêtes ne font pas nettement ressortir de la part des Français le sentiment qu'il existerait un système de concentration dans les médias ou une emprise qui s'exercerait sur certains médias privés. Comme je l'ai mentionné précédemment, le surplus de confiance dont font l'objet les médias publics par rapport aux médias privés demeure limité. La taille joue ici un rôle : dans un pays comme la France, ce qui est « gros » paraît plutôt suspect. Ainsi, les médias qui sont aux mains d'acteurs ayant des intérêts économiques ou financiers suscitent une forme d'appréhension négative. De plus, les Français que nous interrogeons ne parviennent pas toujours à distinguer les médias privés des médias publics, ni ne connaissent les principaux actionnaires des groupes de médias et leur récente évolution. En particulier, l'évolution éditoriale du JDD n'est pas perçue de manière précise par l'ensemble des citoyennes et des citoyens.
Par ailleurs, les efforts déployés par les rédactions en matière de rénovation ou de modernisation, notamment s'agissant des maquettes des titres de la presse écrite, ne sont pas toujours identifiés spontanément par les personnes interrogées, y compris par les lecteurs réguliers. En résumé, les transformations éditoriales mettent également du temps à être perçues par les individus, dont les comportements sont également marqués par des effets d'habitude de consommation.
De son côté, l'idée d'une lutte contre les fake news apparaît surtout assignée aux médias qualifiés de traditionnels plutôt qu'aux autres types de médias. Les Français ont fréquemment le sentiment de connaître par avance les opinions des « experts » qui prennent la parole et que l'on retrouve de plateau en plateau pour évoquer des sujets différents, un jour le coronavirus, un autre la guerre en Ukraine ou l'attaque du Hamas en Israël. Cette impression vient évidemment renforcer le sentiment de défiance ou la remise en cause d'une forme d'expertise. Les Français ont ainsi du mal à dissocier dans cette parole ce qui relève de l'information, de l'analyse et du commentaire. La sincérité de ces avis est dans ce cas fortement interrogée.
Le niveau de confiance dans la PQR a également été mentionné, de même que la diminution simultanée de ses ventes. Ceci témoigne notamment de la volonté des lecteurs d'avoir une aide pour mieux comprendre leur vie quotidienne, pour trouver des solutions concrètes. Le reproche adressé à la fois au monde politique et aux médias est souvent résumé de la manière suivante : « Vous ne nous connaissez pas, vous ne nous comprenez pas et vous parlez de sujets éloignés de nos préoccupations, qui n'intéressent qu'un petit cercle fermé ». Cette critique est ainsi adressée à une forme perçue d'entre-soi. À l'inverse, la PQR semble plus proche car elle traite de problèmes qui intéressent la vie quotidienne de ses lecteurs.
Je souhaite par ailleurs mettre en exergue un aspect extrêmement sensible. Nous faisons face à des générations qui n'ont pas été culturellement exposées au fait qu'il fallait payer pour obtenir de l'information. Il est donc peu évident qu'elles pourront désormais être convaincues de débourser des sommes, même modestes au regard d'autres dépenses, pour obtenir une information qui leur semble aujourd'hui facilement accessible et qui s'inscrit d'ailleurs dans une démarche différente de celle qui prévalait par le passé. Désormais, avec le développement des plateformes et des réseaux sociaux, on ne va plus chercher l'information ; c'est elle qui vient à nous. L'aspect le plus singulier concerne les différentes notifications que nous pouvons recevoir sans même toujours les avoir sollicitées. Certes, un certain public s'est habitué à s'abonner à des publications, alors que dans les années 2000, la quasi-totalité des articles en ligne étaient gratuits. Néanmoins, ce public est surtout composé de générations qui avaient par le passé l'habitude d'aller au kiosque ou de souscrire à des abonnements, ce qui n'est pas le cas des plus jeunes générations.
Enfin, on ne peut complètement considérer que la jeunesse serait aujourd'hui désinformée. Elle continue à être informée, mais ne cherche plus nécessairement à creuser de manière systématique l'information. Elle entend parler de beaucoup de choses, mais n'est pas toujours en mesure de développer les contenus informationnels. L'exposition nette à l'information demeure, mais de manière peut-être plus superficielle que celles de générations plus anciennes.