Au sein de la cellule « idées et perspectives » de la campagne Macron, des consultants analysaient des enquêtes d'opinion et des contributions de citoyens pour construire les propositions du candidat – tout un programme !
Nous ne sommes pas sûrs que les Français aient choisi le meilleur candidat, mais c'était un bon choix pour les cabinets de conseil, en particulier McKinsey. Ce sont d'ailleurs les abus et ladite affaire McKinsey qui ont alerté l'opinion publique sur le recours massif de l'État à ces cabinets et conduit à la création de la commission d'enquête sénatoriale dont sont issues les propositions que nous examinons ce soir.
Il faut dire que c'est à McKinsey que le Gouvernement a confié la gestion de la crise du covid, pour un montant de 12 millions d'euros. McKinsey, encore, qui a été payé 4 millions pour suggérer à l'État de baisser les APL de 5 euros. McKinsey, toujours, qui a facturé près d'un demi-million d'euros l'organisation d'un colloque sur l'avenir du métier d'enseignant, colloque qui n'a jamais eu lieu. McKinsey, enfin, qui n'a pas payé un seul euro d'impôts en France en dix ans, et dont les dirigeants se seraient payé le luxe de mentir sous serment lors de leur audition par la commission d'enquête.
Néanmoins, nous aurions tort de n'incriminer que McKinsey. Ce cabinet, devenu symbolique, n'est que l'arbre qui cache la forêt de la privatisation de la décision publique vers laquelle nous nous dirigeons si nous ne prenons pas de mesures. Nous constatons déjà les effets de cette privatisation lorsque l'État va jusqu'à s'en remettre à des cabinets de conseil pour définir sa stratégie militaire, les choix budgétaires du ministère des armées ou le plan d'économies de Bercy, la lutte contre la radicalisation, la gestion de la crise sanitaire, la stratégie nationale de santé, la réforme de l'aide au logement, les états généraux de la justice ou encore l'avenir du métier d'enseignant.
Cette privatisation de la décision publique a un coût. Il revient en moyenne quatre fois plus cher de recourir à un consultant plutôt qu'à un fonctionnaire : 2 à 3 milliards d'euros par an de dépenses publiques sont consacrés aux cabinets de conseil – un montant supérieur au budget de certaines régions et proche de celui du ministère de la santé, alors que la France a déjà l'un des niveaux de dépenses publiques les plus élevés au monde !
Au vu de ces chiffres, l'encadrement du recours des collectivités locales aux cabinets de conseil est à terme nécessaire. Toutefois, nous ne sommes pas dupes : inclure ces dernières dans la présente proposition de loi nuirait à l'adoption d'un texte commun aux deux chambres dans un délai rapide et permettrait au Gouvernement de renvoyer ces dispositions aux calendes grecques.
Enfin, le recours massif aux cabinets de conseil se traduit par une perte de savoir-faire des fonctionnaires, des ministères et de l'État lui-même, donc, in fine, par une perte de souveraineté. Si le recours à ces cabinets peut se justifier pour gérer une situation exceptionnelle ou apporter un regard extérieur sur un dossier, il doit être strictement justifié, encadré et transparent : ces trois piliers forment notre politique en la matière.
Nous voterons ce texte, car nous approuvons la limitation des dérives du recours aux cabinets de conseil pour ce qui est des conflits d'intérêts, de la réalité des prestations ou de l'opacité des contrats. Cependant, nous estimons qu'il n'encadre pas suffisamment le recours de la puissance publique aux prestations de ces cabinets et que nous risquons de continuer à aller vers la privatisation de la décision publique.