Il ne s'agit pas ce soir d'examiner un texte visant à interdire, par principe, le recours à des cabinets de conseil privés, mais de fixer un cadre clair pour mettre fin à des dérapages considérables. Il ne s'agit pas d'examiner un texte qui viserait à nier une réalité ancienne, à savoir le besoin pour les pouvoirs publics de s'appuyer sur des compétences extérieures. Il est des domaines techniques où elles sont utiles aux administrations ; encore faut-il que cela se fasse en toute transparence.
Il ne s'agit pas non plus de nier que de petites avancées ont été réalisées dans la période récente. Elles l'ont certainement été sous la pression de l'actualité, mais aussi – nous l'espérons – par la prise de conscience qu'une gestion de l'État « en mode start-up » n'a de sens que si notre horizon politique se limite à ressasser des « PowerPoint », à monter des « benchmarks », à organiser des « briefings », ou à accumuler des post-its sur un « paperboard ».
Madame la ministre, est-ce là votre horizon indépassable ? Pouvons-nous juger acceptable que l'État dépense plus d'un milliard d'euros en prestations de cabinets de conseil privés, comme ce fut le cas en 2021, sans transparence, sans contrôle, sans cadre ? Pouvons-nous juger acceptable que derrière la réforme inique de l'assurance chômage, on trouve des cabinets de conseil aux manettes ? Que derrière l'amputation des APL, qui précarise les familles monoparentales et les étudiants, McKinsey tire les ficelles ? Pouvons-nous juger acceptable que nos deniers publics servent à rémunérer grassement des cabinets aux dirigeants pantouflards, qui ont des intérêts particuliers ?
On dit que Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Au-delà des dérives et scandales qui ont été révélés, c'est la nécessité d'une prise de conscience morale et politique qui nous réunit aujourd'hui. Il est temps pour le Gouvernement de sécher ses larmes de crocodile face à la crise de confiance démocratique qu'il encourage et alimente sans cesse, et de renoncer à ses tentatives de vider la présente proposition de loi qui est, elle, au service d'une probité renforcée.
N'oublions pas que tout a été fait pour tenter de torpiller l'arrivée du texte ici, puis d'en amoindrir la portée. Je pense notamment à la tentative assez indécente du Gouvernement de faire supprimer l'interdiction de recourir à des cabinets privés pour étudier l'impact de ses lois sur notre société. Selon lui, une telle interdiction ne serait pas justifiée. Allez donc dire cela à ceux dont vous allez sucrer l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ! Allez dire cela à ceux que vous allez contraindre à travailler gratuitement ! Allez dire cela à ceux à qui vous avez arraché deux ans de vie ! Vous qui imposez l'injustifiable, vous n'attendrissez personne.
Trois questions doivent guider notre réflexion. Comment empêcher des prestataires externes d'influencer des politiques publiques censées porter un projet de société ? Comment prévenir la destruction de compétences internes ? Comment relever nos services publics de l'émiettement, de la diminution du nombre de fonctionnaires, de la fermeture de services ? L'augmentation de 45 % en à peine trois ans – entre 2018 et 2021 – des dépenses de l'État en prestations de cabinets de conseil est symptomatique d'une politique de déresponsabilisation des pouvoirs publics, qui utilisent nos deniers pour faire réaliser par d'autres leurs propres missions.
Je terminerai en rappelant que ce texte nous arrive du Sénat, où il a été voté à l'unanimité, et qu'il est issu d'une démarche transpartisane dans laquelle des groupes politiques siégeant sur des bancs bien éloignés les uns des autres ont travaillé de concert. Il nous revient, dans un esprit de responsabilité, de nous en tenir à l'esprit initial de la loi et à son champ d'application. Rien n'empêchera en effet le législateur d'aller plus loin a posteriori, ni la majorité présidentielle, puisqu'elle a l'air si déterminée à accabler les collectivités territoriales, d'étudier en détail le recours à des cabinets à l'échelle locale.
Aborder dès aujourd'hui ce sujet reviendrait à aller à l'encontre d'un consensus parlementaire et à diluer le sens même du texte en y intégrant des mesures sans pertinence ni utilité avérée. Au niveau local, le recours à des prestataires externes est déjà encadré par le code de la commande publique et fait l'objet d'un contrôle auprès des assemblées délibérantes. De surcroît, les prestations y sont en général bien différentes de celles auxquelles l'État recourt, lui, à tour de bras, sans avoir à en référer à qui que ce soit.